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propagation de l’évangile : toutes ces choses prédites & accomplies exactement dans les tems marqués par la providence, sont des témoignages éclatans de cette vérité, que les nuages de l’incrédulité ne pourront jamais obscurcir. D’ailleurs si les actions libres se déroboient à la connoissance de Dieu, il apprendroit par les événemens une infinité de choses qu’il auroit sans cela ignorées : dès-là son intelligence ne seroit pas parfaite, puisqu’elle emprunteroit ses connoissances du dehors. Ce qui est emprunté marque la dépendance de celui qui emprunte : emprunter est la preuve qu’on n’a pas tout en soi. La dépendance, le défaut, ou le besoin répugnant à l’infini, l’infini possede donc en lui-même & sans emprunt les connoissances des actions libres des hommes ; s’il ne les connoissoit que par l’évenement, il dépendroit de lui pour le plus de ses perfections ; & dès-lors il ne seroit plus l’infini absolu pour l’intelligence. Il n’y a personne qui ne voie qu’il vaut beaucoup mieux connoître les choses que de les ignorer. N’est-ce pas une chose absurde que de supposer un Dieu dont les vûes sont extrèmement bornées & limitées par rapport au gouvernement du monde ? car tel est le dieu de Socin. Sa providence ne peut former aucun plan, aucun système. Comme on suppose qu’il ménage & respecte la liberté humaine, il doit être fort embarrassé pour amener au point qu’il desire, & pour faire entrer dans ses desseins tant de volontés bisarres & capricieuses. On peut même supposer qu’il en est plusieurs qui ne s’ajusteront pas aux arrangemens de sa providence.

La comparaison que fait l’objection entre la prescience divine & la prescience des Astronomes, que Dieu auroit parfaitement instruits des regles invariables des mouvemens célestes, & qui feroient des observations de la derniere justesse, est défectueuse. On peut bien supposer que les Astronomes ne pourroient pas prévoir les éclipses, si le soleil ou la lune pouvoient quelquefois se détourner de leur cours, indépendamment de quelque cause que ce soit, & de toute regle. La raison en est que ces Astronomes, quelque bien instruits qu’on les suppose sur l’ordre des mouvemens célestes, n’auroient toujours qu’une science finie dont la lumiere ne les éclaireroit que dans l’hypothèse que le soleil & la lune suivroient constamment leur cours. Or dans cette hypothese on suppose que ces deux astres s’en détourneroient quelquefois ; par conséquent leur prescience par rapport aux éclipses seroit quelquefois en défaut : mais il n’en est pas de même d’une intelligence infinie, qui sait tout s’assujettir, & ramener à des principes fixes & sûrs, les choses les plus mobiles & les plus inconstantes.

PRESCRIPTIBLE, adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est sujet à la prescription. Ce terme est opposé à celui d’imprescriptible, qui se dit des choses que l’on ne peut prescrire, comme le domaine du roi qui est imprescriptible. Voyez Prescription. (A)

PRESCRIPTION, s. f. (Jurisprud.) est un moyen d’acquérir le domaine des choses en les possédant comme propriétaire pendant le tems que la loi requiert à cet effet. C’est aussi un moyen de s’affranchir des droits incorporels, des actions & des obligations, lorsque celui à qui ces droits & actions appartiennent, néglige pendant un certain tems de s’en servir, & de les exercer.

On entend quelquefois par le terme de prescription, le droit résultant de la possession nécessaire pour prescrire ; comme quand on dit que l’on a acquis la prescription, ce qui signifie que par le moyen de la prescription on est devenu propriétaire d’une chose, ou que l’on est libéré de quelque charge ou action.

La prescription paroît en quelque sorte opposée au droit des gens, suivant lequel le domaine ne se trans-

fere que par la tradition que fait le propriétaire d’une

chose dont il a la liberté de disposer ; elle paroît aussi d’abord contraire à l’équité naturelle, qui ne permet pas que l’on dépouille quelqu’un de son bien malgré lui & à son insu, & que l’un s’enrichisse de la perte de l’autre.

Mais comme sans la prescription il arriveroit souvent qu’un acquéreur de bonne foi seroit évincé après une longue possession, & que celui-là même qui auroit acquis du véritable propriétaire, ou qui se seroit libéré d’une obligation par une voie légitime, venant à perdre son titre, pourroit être dépossédé ou assujetti de nouveau, le bien public & l’équité même exigeoient que l’on fixât un terme après lequel il ne fût plus permis d’inquiéter les possesseurs, ni de rechercher des droits trop long-tems abandonnés.

Ainsi comme la prescription a toujours été nécessaire pour assurer l’état & les possessions des hommes, & conséquemment pour entretenir la paix entre eux, & qu’il n’y a guere de nation qui n’admette la prescription, son origine doit être rapportée au droit des gens. Le droit civil n’a fait à cet égard que suppléer au droit des gent, & perfectionner la prescription en lui donnant la forme qu’elle a aujourd’hui.

Les motifs qui l’ont fait introduire ont été d’assurer les fortunes des particuliers en rendant certaines, par le moyen de la possession, les propriétés qui seroient douteuses, d’obvier aux procès qui pourroient naître de cette incertitude, & de punir la négligence de ceux qui ayant des droits acquis tardent trop à les faire connoître, & à les exercer ; la loi présume qu’ils ont bien voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu’ils ont laissé prescrire ; aussi on donne à la prescription la même force qu’à la transaction.

Justinien, dans une de ses novelles, qualifie la prescription, d’impium præsidium ; cette expression pourroit faire croire que la prescription est odieuse ; mais la novelle n’applique cette expression qu’à propos d’usurpateurs du bien d’église, & qui le retiennent de mauvaise foi : & il est certain qu’en général la prescription est un moyen légitime d’acquérir & de se libérer : les lois mêmes disent qu’elle a été introduite pour le bien public, bono publico usucapio intro lucta est ; & ailleurs la prescription est appellée patronam generis humani.

La loi des douze tables avoit autorisé & réglé la prescription ; on prétend même qu’elle étoit déja établie par des lois plus anciennes.

On ne connoissoit d’abord chez les Romains d’autre prescription que celle qu’ils appelloient usucapion.

Pour entendre en quoi l’usucapion différoit de la prescription, il faut savoir que les Romains distinguoient deux sortes de biens, les uns appellés res mancipi, les autres res nec mancipi.

Les biens appellés res mancipi, dont les particuliers avoient la pleine propriété, étoient les meubles, les esclaves, les animaux privés, & les fonds situés en Italie ; on les appelloit res mancipi, quod quasi manu caperentur, & parce qu’ils passoient en la puissance de l’acquéreur par l’aliénation qui s’en faisoit par fiction, per æs & libram, de manu ad manum, que l’on appelloit mancipatio.

Les biens nec mancipi étoient ainsi appellés, parce qu’ils ne pouvoient pas être aliénés par la mancipation ; les particuliers étoient censés n’en avoir que l’usage & la possession ; tels étoient les animaux sauvages & les fonds situés hors de l’Italie, que l’on ne possédoit que sous l’autorité & le domaine du peuple romain auquel on en payoit un tribut annuel.

On acquéroit irrévocablement du véritable propriétaire, en observant les formes prescrites par la loi.

On acquéroit aussi par l’usage, usu, lorsqu’on tenoit la chose à quelque titre légitime ; mais de celui