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noit quelque corps, communauté ou province.

On appelloit un tel réglement pragmatique, soit parce qu’il prescrivoit les formes que l’on devoit pratiquer dans une certaine matiere, soit parce que ce réglement n’étoit interposé qu’après avoir pris l’avis des gens pragmatiques, c’est-à-dire des meilleurs praticiens, des personnes les plus expérimentées ; sanction étoit le terme qui caractérisoit une ordonnance ; en effet sanctio dans la loi est la partie qui prononce quelque peine contre les contrevenans.

Les lettres de l’an 1105, par lesquelles Philippe I. defendit de s’emparer des meubles des évêques de Chartres décédés, sont par lui qualifiées en deux endroits, pragmatica sanctio.

Mais les deux plus fameuses ordonnances qui soient connues sous le nom de pragmatique sanction, sont la pragmatique de saint Louis, du mois de Mars 1268 ; l’autre est la pragmatique sanction faite à Bourges par Charles VII. au mois de Juillet 1438.

La pragmatique de saint Louis ne contient que six articles ; elle ordonne :

Que les églises du royaume, les prélats, patrons & collateurs ordinaires, jouissent pleinement de leur droit, & que la jurisdiction qui appartient à chacun lui soit conservée.

Que les églises cathédrales & autres, aient la liberté des élections.

Elle défend le crime de simonie.

Elle veut aussi que les promotions, collations, provisions & dispositions des prélatures, dignités & autres bénéfices & offices ecclésiastiques, soient faites selon le droit commun, la disposition des conciles & l’institution des saints Peres.

Saint Louis défend ensuite qu’il soit exigé dans son royaume aucune imposition ni levée de deniers de la part de la cour de Rome. Ces sortes d’exactions & de charges très-pesantes ayant, dit-il, très-misérablement appauvri le royaume, il n’excepte que le cas où ce seroit pour une cause raisonnable & pour urgente nécessité, & du consentement du roi & de l’église de France.

Enfin il confirme toutes les libertés, franchises, immunités, prérogatives, droits & privileges accordés par lui & les rois ses prédécesseurs, aux églises, monasteres, lieux de piété, religieux & personnes ecclésiastiques.

Pour expliquer maintenant ce qui donna occasion à la pragmatique sanction faite par Charles VII, il faut d’abord rappeller quel étoit alors l’état de l’église.

L’extension que les fausses decrétales avoient donnée à l’autorité des papes, avoit bien-tôt dégénéré en abus ; ce fut la source des desordres qui inonderent l’Eglise dans les douzieme & treizieme siecles ; ces malheurs s’accrurent encore pendant le grand schisme sous les antipapes.

Le concile de Constance entreprit une réforme sous le titre de reformatione in capite & in membris ; mais dès qu’il vint à toucher aux prétentions du pape, aux privileges des cardinaux, aux nouveaux usages utiles à la cour de Rome, il y eut tant d’opposition, qu’on fut obligé de se séparer sans en venir à-bout.

L’Eglise croyoit voir finir les malheurs où le schisme l’avoit plongée, par l’élection de Martin V. les antipapes étoient morts ou avoient cédé.

Martin V. avoit promis devant & après son sacre, de travailler à la réforme de l’Eglise dans son chef & dans ses membres. Il avoit été ordonné au concile de Constance, de tenir fréquemment des conciles généraux ; on en avoit indiqué un à Pavie ; la contagion qui étoit dans cette ville le fit transférer à Sienne, d’où Martin V. le fit transférer à Basle.

Eugene IV. successeur de Martin V. lequel mourut avant la premiere session du concile de Basle, voulut dissoudre ce concile, parce qu’il avoit déclaré que

le pape même étoit soumis aux decrets des conciles généraux.

Le concile déposa Eugene, & élut en sa place Amédée VIII. duc de Savoye, sous le nom de Felix V.

Eugene de son côté, après avoir transféré le concile à Ferrare, & de Ferrare à Florence, excommunia les peres du concile de Basle, ensorte que le schisme recommença de nouveau ; le concile & le pape envoyerent chacun de leur côté des ambassadeurs dans les différentes cours pour les attirer dans leur parti.

La France & l’Allemagne desapprouverent également les sentences du pape contre le concile, & celles du concile contre le pape.

Charles VII. qui se trouvoit alors à Bourges, y fit assembler les états ; il fit examiner dans l’assemblée les vingt-trois decrets que le concile de Basle avoit déja faits.

Le clergé de France, qui tenoit le premier rang dans cette assemblée, accepta tous les decrets du concile de Basle ; mais néanmoins avec certaines modifications, non pas que le roi ni l’Eglise de France aient voulu diminuer l’autorité de ce concile, mais parce que les decrets des conciles, en ce qui concerne la discipline, ne doivent être reçus qu’eu égard aux circonstances des tems & des lieux.

Pour autoriser les decrets du concile de la maniere dont ils étoient acceptés, le roi donna le 14 Juillet 1438, une ordonnance qui fut appellée la pragmatique sanction.

Cette ordonnance est composée de trois sortes de decrets ou dispositions.

La plus grande partie a été tirée du concile de Basle, sauf les modifications qui y ont été ajoutées. Le clergé de France en recevant les decrets du concile de Basle, y en ajouta plusieurs ; & le roi Charles VII. en confirmant le tout, y a joint aussi quelques réglemens, tant en forme de préface que de conclusion. Le tout ensemble forme la pragmatique sanction.

Entr’autres dispositions qu’elle renferme, elle rétablit les élections aux bénéfices, prive les papes des annates, & maintient que les conciles généraux ont le pouvoir de réformer le chef & les membres.

Le clergé arrêta par une délibération solemnelle, de faire ses instances auprès du roi Charles VII. pour l’exécution des decrets de la pragmatique, & de supplier S. M. de donner ordre à ses parlemens & ses autres officiers, de les observer & de les faire observer inviolablement. Le roi étant à Bourges le 7 Juillet 1437, en ordonna l’enregistrement dans toutes ses cours, & l’exécution dans tous les pays de son obéissance ; elle fut registrée au parlement le 13 Juillet 1439.

Le même prince, par sa déclaration du 7 Août 1441, aussi registrée au parlement, ordonna que les decrets du concile de Basle, rapportés dans la pragmatique, n’auroient exécution que du jour de la date de la pragmatique, sans avoir égard à la date des decrets du concile.

Plusieurs ont crû que la pragmatique avoit été faite pendant le schisme ; ils se sont fondés sur le témoignage de Louis XI. qui le dit ainsi dans une lettre au pape Pie II. & sur une lettre de Léon X. qui le dit de même, laquelle est rapportée dans le cinquieme concile de Latran, & dans le titre I. du concordat ; mais le parlement de Paris dans ses remontrances, & le plus grand nombre de nos meilleurs auteurs, ont soutenu que la pragmatique n’a point été faite pendant le schisme. La maniere de concilier ces différens sentimens est expliquée dans les mémoires du clergé, tome X. pag. 77 & 78.

Eugene IV. voulut en faire réformer la pragmatique, du-moins en quelques articles ; mais Charles VII.