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cela est fréquent, qu’il y ait alors des nausées & des vomissemens, le malade n’a plus guere qu’environ dix jours de vie.

Lorsque le pouls de l’extrémité du cubitus droit qui appartient au rein de ce côté, se plonge & se replonge après dix-neuf battemens considérables, c’est un grand prognostic de mort, de cent il n’en réchapera pas un ; & si c’est après sept battemens, sans se relever que long-tems après, le malade n’a plus que quelques heures à vivre. Ce pouls fort précipité tenant du trémuleux, indique des ventosités dans cet organe. Il y a encore du remede.

Ces dérangemens des différens pouls ne sont pas les seuls dont les Chinois tirent des signes dans l’examen & le prognostic des maladies ; ils considerent avec la même attention, & peut-être le même fruit, les différentes modifications que peut prendre chacun de ces pouls ; ils sont en effet susceptibles de tous les caracteres qui constituent les pouls internes, externes & monstrueux ; & la différente combinaison de ces pouls rend les présages extrèmement étendus & compliqués. Nous passerons tout ce détail trop long & sans doute ennuyeux, sous silence ; nous en userons de même à l’égard des pouls externes & internes, parce que les signes qu’ils fournissent relativement à leur différente situation & à leur combinaison sont prodigieusement multipliés ; nous nous contenterons de faire observer que les pouls externes sont toujours plus favorables que les autres, parce qu’ils indiquent que la maladie se porte au-dehors & n’attaque aucun viscere considérable ; outre les signes qu’ils présentent au médecin pour connoître la maladie & en prognostiquer l’issue, ils lui fournissent des indications pour placer avantageusement les remedes : c’est une maxime reçue chez les praticiens chinois, que lorsque le pouls est feou, superficiel, externe, facile à sentir en posant simplement le doigt, il faut faire suer le malade, & lorsqu’il est tschin, profond, & comme rentrant, il faut purger ; ils ne sont cependant pas si scrupuleusement attachés à cette regle, qu’ils ne s’en écartent dans quelques occasions qui sont rares : ils ont une autre maxime assez analogue à celle-là, qui est de purger dans les maladies internes, & de faire suer dans celles qui ont leur siege à l’extérieur. Cependant lorsque dans une maladie intérieure le pouls est externe, ils tirent leurs indications de ce signe ; il survient quelquefois après midi une chaleur intérieure : si le pouls est superficiel & comme vuide, c’est-à-dire, mou, faites suer, recommandent-ils, par le moyen des sommités de l’arbre kouei : de même quand la poitrine est embarrassée, on use communément d’une potion qui, en faisant aller par bas, dégage la poitrine, & qui pour cela s’appelle pectorale ; si cependant le pouls est superficiel, ne purgez point, cela est mortel.

Nous remarquerons en général, sur les pouls monstrueux ou mortels, qu’ils sont tous des signes d’une mort plus ou moins prochaine ; les uns l’annoncent dès le jour même, comme le pouls, fon fæ, bouillon de marmite ; d’autres, dans deux jours, comme le siun tao, qui désigne aussi quelquefois le saignement de nez ; il y en a qui ne l’annoncent que pour trois, quatre jours, ou même pour plus long-tems, pour des années entieres, pour quatre ou cinq ans : on prétend encore que l’empereur Hoamti en a observé qui marquent qu’on ne doit mourir que dans vingt ou trente ans ; ces prédictions paroissent bien hasardées, il doit arriver rarement que le médecin puisse les voir se vérifier.

Réflexions sur la doctrine des Chinois sur le pouls : 1°. sur les différences. Il n’y a pas lieu de douter que les différences des pouls, établies par les Chinois, ne soient fondées sur l’observation ; la maniere dont elles sont exprimées & peintes fait voir évidemment leur

origine ; cependant il n’en est pas moins certain que la plûpart sont indéterminées & arbitraires. Les objets qui leur ont servi de point de comparaison ne sont rien moins que fixes & décidés, chacun peut souvent s’en faire une idée très-différente ; il y en a même qui ne présentent aucune image sensible, qui n’offrent aucun sujet d’analogie ; quel rapport en effet peut-il y avoir entre le battement d’une artere & le mouvement de l’eau qui se glisse à-travers une fente, & un homme qui défait sa ceinture, ou qui, voulant entortiller quelque chose, n’a pas assez d’étoffe pour en faire le tour, & une motte de terre, &c. &c. &c. On ne sauroit disconvenir qu’il n’y ait quelqu’une de ces comparaisons heureuses, qui servent à donner une idée assez exacte du pouls ; telles sont celles du pouls glissant, avec des perles, du feou ho, avec des flots qui se succedent ; du trémuleux, avec les vibrations des cordes d’instrument ; du tanche même, avec une pierre lancée par une arbalète ; du vuide, avec le trou d’une flûte, ou l’orifice d’un vase, &c. &c. Cette façon de peindre les modifications du pouls a bien ses avantages, il seroit très à souhaiter qu’on pût trouver pour tous les pouls connus des objets de comparaison assortis ; il est certain qu’on saisiroit plus facilement & qu’on en retiendroit mieux les différens caracteres : parmi ces différences il s’en trouve quelques-unes très-conformes à celles que Galien a établi & que tous les Médecins reconnoissent ; mais la plûpart sont nouvelles pour nous, & paroissent bien minutieuses & bien difficiles à saisir. Ce ne doit cependant pas être une raison pour les regarder comme chimériques : 1°. parce que c’est une absurdité que de nier une chose parce qu’on ne la comprend pas ; 2°. parce qu’il est au-moins très-imprudent de prononcer sur des objets qu’on ne connoît pas ; 3°. parce que les Chinois s’étant adonnés particulierement à ce genre d’étude, il n’est pas étonnant qu’ils soient allés plus loin que nous & qu’ils n’aient des lumieres supérieures aux nôtres ; 4°. enfin, parce que moins légers que nous, ils portent dans l’examen de ce signe une application singuliere dont nous sommes peu capables : je ne prétends cependant pas garantir la vérité de tout ce qu’ils avancent ; mais je voudrois qu’on suspendît son jugement sur des choses qu’on ne connoît pas, & qu’on ne les condamnât qu’après un mûr examen fondé sur des observations répétées.

2°. Sur les causes. La théorie que les Chinois donnent du pouls, ne paroît pas s’écarter beaucoup des idées que nous en avons : d’ailleurs, comme elle tient à leur système général de Médecine & d’économie animale peu connu, nous n’avons pas pû la développer exactement ; si quelque endroit choque notre façon de penser, peut-être le défaut n’est que dans les termes & dans le tour de phrase, ou mérite-t-il encore mieux d’être attribué à la mal-adresse de ceux qui nous ont transmis leurs sentimens, & qui ont prétendu les éclaircir. Quoi qu’il en soit, la comparaison du corps humain avec un luth, ou un autre instrument harmonique, nous paroît très-juste ; la division du corps en deux parties latérales, très-lumineuse ; l’influence des différens visceres sur le pouls, très-conforme à la plus saine doctrine répandue parmi nous : les filiations & les correspondances des visceres entr’eux sont sans doute bien apperçues en général, peut être sont elles mal déterminées & mal exprimées ; leurs idées sur la circulation du sang ne sont pas assez clairement exposées. La maniere dont ce mouvement produit le pouls n’est point suffisamment détaillée, il n’est pas possible de savoir si c’est en irritant les vaisseaux, ou en les distendant, qu’il en occasionne les battemens. Ce qu’ils disent sur les faisons mérite d’être constaté, elles influent sans contredit sur le pouls, elles doivent en variant y occasionner des changemens, mais en résulte-t-il les effets