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portant pour le pronostic des maladies ; cependant il passe rapidement sur cette partie intéressante, qui fournit peu au raisonnement, & que l’observation seule peut établir & confirmer. Le pronostic roule sur ces trois points principaux ; quelle sera l’issue de la maladie, dans quel tems elle aura lieu, & comment, par quelle voie elle se fera. La décision de ces trois questions est fondée sur la connoissance qu’on a de la nature de la maladie & de la force de la faculté, connoissance qu’on peut obtenir par le pouls. Le pouls foible, languissant, petit, inégal indique la foiblesse absolue de la faculté ; lorsqu’il est alternativement fort & foible, c’est un signe que la foiblesse n’est que respective ; c’est-à-dire que la faculté est forte, mais chargée, alors le pronostic est moins fâcheux : à cette inégalité de force se joignent pour l’ordinaire les inégalités en grandeur, en vîtesse, en fréquence ; l’excès des pulsations fortes, grandes, sur les pulsations foibles, petites, &c. marque l’empire de la faculté sur l’abondance des humeurs, & annonce le combat & la victoire, c’est-à-dire une crise favorable ; elle est prochaine lorsque les pouls inégaux & petits augmentent en force & en grandeur ; lorsque les miures décurtés remontent vîte & considérablement, la crise est toujours plus décisive & plus complette ; lorsque les pouls ont été inégaux & irréguliers avant d’être égaux, réglés, grands & forts dans le tems que se fait la crise, le pouls doit être fort & bien élevé ; les évacuations qui ne sont pas accompagnées & précédées de ces pouls sont toujours mauvaises. La vîtesse de la contraction est nécessaire, dit Galien, parce que contractio excernit, l’excrétion est un effet de la contraction ; mais cette vîtesse doit être modérée, sans quoi le pouls seroit mauvais & acritique. On peut distinguer, relativement aux modifications du pouls, deux couloirs généraux pour les évacuations critiques, l’un externe & l’autre intérieur : au premier se rapportent les sueurs & les hémorrhagies ; ces excrétions font le pouls plus grand & plus élevé ; celles qui se font par les organes internes sont le vomissement & la diarrhée, le pouls qui les annonce & qui les détermine est moins grand & comme rentrant. Outre ces caracteres généraux, chaque excrétion a, suivant lui, un pouls particulier, le pouls ondulant & celui de la sueur ; le pouls haut & vibrosus, fort analogue au dicrote, annonce les hémorragies par la matrice, les veines hémorroïdales & par le nez ; le pouls ondulant dur est le signe du vomissement. Le pouls devient souvent inégal dans plusieurs crises, & lorsqu’elles se font difficilement, & sur-tout lorsqu’il se prépare quelque évacuation bilieuse : multo vero magis ubi humores biliosi ad ventrem confluant. Synop. cap. lxxx. Avicenne a prétendu que le pouls petit dénotoit les crises par les selles. Lorsque le pouls, après avoir resté inégal dans les maladies pituiteuses, devient tout-à-coup véhément, il pronostique la terminaison de la maladie par un abcès, sur-tout dans un âge, un tempérament, une saison & un climat froid. Au reste, Gallen avertit soigneusement qu’il faut dans la prédiction des crises joindre aux connoissances qu’on tire de l’état du pouls les lumieres que peuvent fournir les autres signes examinés avec attention.

Tel est le systême des anciens sur le pouls ; telle est sur-tout la doctrine de Galien adoptée sur sa parole par un grand nombre de médecins illustres jusqu’au quinzieme & même au seizieme siecle, souvent commentée & prétendue prouvée par de longs & obscurs raisonnemens, jamais illustrée par aucune bonne observation. Comme Galien avoit poussé jusqu’au bout les divisions & subdivisions du pouls, aucun de ses sectateurs n’a pu enchérir sur lui. Struthius, un de ses commentateurs, dont l’ouvrage a resté douze cens ans perdu, ajoute seulement une description du pouls

de l’amour, que Galien avoit omise de propos délibéré, assurant que l’amour n’avoit point de pouls particulier, & différent de celui d’un esprit agité. Struthius assure qu’il est toujours inégal, anonyme ; (c’est ainsi qu’il appelle le pouls dont les inégalités ne sont point déterminées, & n’ont point de nom propre) & irrégulier, & qu’il l’a trouvé ainsi dans une femme mariée qui avoit un amant ; toutes les fois qu’on lui en parloit, le pouls prenoit ce caractere ; ce qui revient aux pouls des passions, conformément aux observations rapportées plus haut d’Erasistrate & de Galien. Quoique cet auteur soit galéniste décidé, il ne laisse pas de critiquer quelquefois son maître. Son ouvrage mérite d’être lu ; il porte ce titre : sphigmicæ artis, à 1200 perditæ & desiderat. libr. V. en 1555. On peut aussi consulter le traité particulier de Francis. Vallerius, Médecin de Philippe le Grand, roi d’Espagne : pulsib. libell. padon. 1591. de Camillus Thesaurus de Corneto : de puls. opus absolutiss. lib. VI. Neapol. 1594. L’excellent ouvrage de Prosper Alpin, de præsagiend. vit. & mort. lib. VII. Patav. 1601, un des derniers qui ait suivi le systême de Galien, & peut-être celui de tous qui l’a le mieux développé. L’extrait qu’en a donné M. le Clerc dans son histoire de la Médecine, est trop abregé & très incomplet. (Hist. de la Médec. liv. III. chap. III. & part. 3.)

Réflexions sur la doctrine de Galien. 1°. Sur les différences. Il est impossible de ne pas s’appercevoir que la plus grande partie des différences que Galien établit, ne soit plutôt le fruit de son imagination & de son calcul que de ses observations ; l’esprit de division auquel il s’est laissé aller, l’a sans doute emporté trop loin, il a souvent donné ses idées pour des réalités, dé taillant plutôt ce que le pouls pouvoit être, que ce qu’il étoit en effet. Il ne dit pas j’ai observe un tel pouls, je l’ai vu varier de telle ou telle façon, il blâme au contraire ceux qui, comme Hérophile, n’ont donné que des observations sans ordre, sans méthode & sans raisonnement ; mais voici comme il s’énonce : le pouls étant un mouvement, il doit donc varier de la même maniere que les autres especes de mouvement ; mais ce mouvement peut se considérer dans un seul pouls, c’est-à-dire, une seule pulsation, ou bien dans plusieurs ; de la double variation, de la distinction entre la vitesse & la fréquence, entre l’inégalité d’une seule pulsation, & l’inégalité collective, &c. Le pouls étant composé de deux mouvemens, l’un de systole ou de contraction, & l’autre de diastole ou de distension, doit fournir de nouvelles différences, par rapport à la promptitude avec laquelle ces mouvemens se succéderont, à la maniere dont ils se succéderont, à l’ordre, la proportion qu’ils observeront, à la quantité de distension ou de contraction, &c. Il peut arriver que ces caracteres se combinent ensemble ; alors quel nombre prodigieux de différences n’en peut-il pas résulter ? Galien a suivi ce détail avec la derniere exactitude, & une extrème subtilité, & a par ce moyen multiplié les caracteres du pouls ; de façon, comme il dit lui-même, que la vie de l’homme suffit à peine pour en prendre une entiere connoissance. On conçoit bien la possibilité de toutes ces différences, mais on ne les observe pas ; elles éludent le tact le plus fin & le plus habitué ; Galien ne dit pas lui-même les avoir apperçues. Cependant il faut bien se garder d’englober dans la même condamnation toutes les différences qu’il a établies ; mais comme on est assuré que la plûpart sont arbitraires, on ne doit les admettre que d’après sa propre expérience. Il y a lieu de penser, & il est même certain, que plusieurs pouls décrits par Galien, sont conformes à l’observation. On sait que la haute réputation qu’il avoit à Rome, lui venoit principalement de