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faculté, la dureté ou la mollesse des arteres ; les autres différences pouvant être produites par différences causes, ne sauroient déterminer au juste quelle est la véritable, alors on combine plusieurs caracteres ensemble ; & pour éviter encore plus sûrement l’erreur, on y joint l’examen des autres signes anamnestiques. Par exemple, la grandeur du pouls peut être augmentée par la faculté forte, l’artere molle, & l’usage pressant ; on peut encore ajouter à ces causes celles qui sont accidentelles extérieures, telles que le boire, le manger, les bains & les médicamens chauds, les passions d’ame vive, &c. ainsi la grandeur du pouls est un signe générique, & par conséquent équivoque de ces différentes causes ; mais elle désigne la faculté forte, si elle est jointe à la véhémence ; l’artere molle, si elle est accompagnée de mollesse dans le pouls ; & l’usage, si aucun de ces caracteres ne s’y rencontrent avec elle, & si la vîtesse & la fréquence augmentent ; ce sera aussi un signe que la distension ne répond point à l’usage ; on connoîtra l’action des causes extérieures en général en tâtant le pouls à diverses reprises, parce que les impressions qu’elles font sur le pouls ne sont pas durables ; la grandeur du pouls, occasionnée par le boire & le manger, est parmi celles-ci la plus constante, elle est jointe à la véhémence, celle qui est un effet de la colere n’en differe que par la durée, elle est très-passagere, cette cause d’ailleurs se manifeste dans les yeux menaçans, rouges & en feu, de même que sur le visage ; mais si le malade retient sa colere & veut l’empêcher de paroître, le pouls alors devient inégal & embarrassé, tel qu’il est dans la contrainte & la perpléxité ; après les bains chauds, le pouls est grand & mol, les vaisseaux & l’habitude du corps souples & humides ; après un remede échauffant, la grandeur du pouls augmente, & les environs de l’artere sont d’une chaleur brûlante ; ce signe est, suivant Galien, très-important à saisir, & d’une grande ressource vis-à-vis des malades qui trompent les médecins, & qui prennent des remedes à leur insu & contre leur avis. Mais pour mieux s’assûrer de la vérité du fait, Galien dit qu’il faut, en tâtant le pouls, faire jurer au malade qu’il n’a rien pris, il hésitera d’abord, & son pouls deviendra sur le champ inégal, marquant la crainte & l’indécision, & décélant par-là le secret qu’il vouloit cacher. Si cette regle est bien juste, on pourroit souvent arracher à des malades des secrets qu’ils n’osent avouer. Galien raconte s’en être servi avec succès vis-à-vis d’un malade qui prétendoit prouver l’ignorance des Médecins ; & pour mieux tromper Galien qui s’étoit déja apperçu d’une semblable tricherie, il prit des remedes en bols ; Galien s’en apperçut au pouls, il interrogea le malade qui soutint opiniâtrément le contraire, & fit venir, pour le certifier, tous ses domestiques, gagés pour ne le pas contredire. Galien alors lui prit le bras en lui tâtant le pouls, & lui proposa en même tems de jurer pour le convaincre ; le malade balança, fit des difficultés, le pouls devint très-inégal, & Galien l’assûra avec plus d’opiniâtreté qu’il avoit pris quelques remedes, le malade fut obligé d’en convenir. J’ai fait, il n’y a pas long-tems, une observation assez analogue : une fille me demandoit quelques secours pour une suppression de regles qui duroit depuis quatre mois ; après différentes questions, je lui demandai s’il ne pouvoit pas y avoir quelque sujet de craindre qu’elle fût enceinte, elle me protesta vivement le contraire ; cependant il y avoit quelques signes douteux ; je voulus essayer, pour m’éclaircir mieux sur un fait aussi important & aussi obscur, le conseil de Galien ; je lui tâtai le pouls que je trouvai assez régulier, & je lui dis que je ne la pourrois croire que sur son serment, que si elle juroit n’être pas enceinte, je lui ferois les remedes les plus convenables ; dans

l’instant elle changea de couleur, & son pouls manqua presque entierement ; je n’hésitai point alors de lui dire que j’étois convaincu qu’elle étoit enceinte, & que je me garderois bien de lui ordonner le moindre remede : elle fut obligée ainsi de m’avouer ce qui en étoit.

Tout le monde sait l’histoire d’Erasistrate à l’occasion de Seleucus, dont il connut, par le moyen du pouls, la passion pour sa belle-mere, que ce prince déguisoit cependant avec une extrème attention ; Erasistrate observa que son pouls étoit plus agité, plus ému, irrégulier toutes les fois que sa belle-mere s’offroit à ses yeux, ou même qu’on lui en parloit. Ce trait d’histoire a fourni le sujet d’une petite comédie, sous le titre du médecin d’amour.

On peut faire sur la dureté, la vîtesse, la fréquence & la quantité de distension du pouls le même raisonnement, ces caracteres désignent des causes différentes ; mais en combinant plusieurs caracteres, & ayant aussi recours à la valeur des autres signes, on peut, dans le système de Galien, deviner assez juste la cause qui doit être accusée. On doit sur-tout se rappeller ce qui a été dit sur les causes du pouls. Voyez aussi Galen. de caus. puls. l. IV. & de proeragit. expuls. l. I.

La distension de l’artere & sa contraction ayant des usages différens, doivent aussi avoir différentes significations ; l’usage de la contraction étant d’expulser l’excrément fuligineux provenu de l’adustion du sang, il s’ensuit que lorsqu’on la trouvera vîte, grande, &c. on pourra présumer qu’il y a beaucoup d’excrément ; c’est pour cela qu’on l’observe telle, dans les fievres putrides, dans les dartres rongeantes dans les enfans, dans ceux qui mangent de mauvais alimens, &c. mais il faut être bien exercé à tâter le pouls pour sentir cette contraction ; ceux, dit Galien, qui, par défaut d’habitude, ne peuvent pas l’appercevoir, traitent, ce qu’on en dit, de verbiage inutile, inanem loquacitalem ; la distension servant à rafraîchir le sang dénotera lorsqu’elle augmentera en grandeur, en vitesse, en fréquence, l’excès de la chaleur ; les variétés & les inégalités qui se trouveront dans l’une & l’autre, signifieront ou la surabondance de chaleur, ou l’accumulation d’excrémens fuligineux, suivant que la distension ou la contraction prédominera. Hérophile s’étoit beaucoup étendu sur cette proportion ou sur le rythme, mais Galien se plaint de ce qu’il a plutôt donné des observations qu’une méthode rationelle, comme si les faits, quels qu’ils soient, n’étoient pas infiniment préférables à tous les plus beaux raisonnemens, ils sont la véritable richesse du philosophe-médecin, & le plus sur guide pour le praticien : mais Galien, raisonneur impitoyable & intéressé par-là même à penser autrement, lui reproche de n’avoir débité là-dessus que des absurdités, des erreurs & des confusions.

Les pouls inégaux indiquent toujours une foiblesse de la faculté absolue ou relative ; absolue, si le pouls est en même tems foible & petit ; relative, s’il est grand & fort, alors la quantité des humeurs, la compression des arteres, leurs obstructions sont annoncées ; celui qui marque, suivant lui, le plus de foiblesse, c’est le pouls qui manque tout-à-fait, savoir l’intermittent ; c’est aussi un des signes les plus fâcheux, il est plus à craindre que les pouls les plus irréguliers, mais continus. Pour le prouver, Galien n’a pas recours à des observations, mais à une comparaison qu’il fait du pouls régulier à la santé, du pouls irrégulier à la maladie, & enfin du pouls intermittent à la mort : il remarque cependant que les vieillards, les enfans & les femmes sont moins en danger avec ce pouls que les jeunes gens. Le pouls rare ne differe de l’intermittent que par le degré, aussi n’est-il guere moins funeste que lui. Le pouls intermittent, dans une seule pulsation, est encore