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si l’on pense que ces jardins de Marius étoient publics, & si l’on suppose avec quelque apparence de raison que l’on aura choisi le terrein le plus espacé.

Cet ouvrage surprenant, mais ridicule en lui-même, fut consumé par la foudre, comme si l’entreprise étoit trop audacieuse pour la Peinture. Pline rapporte nuement ce fait comme s’il étoit tout simple, cependant on peut le regarder comme une opération de l’art vraiment merveilleuse. (D. J.)

Portrait, (Prose & Poésie.) L’art de bien peindre les qualités particulieres de l’esprit & du cœur d’une personne, n’est pas une chose facile. Il faut aussi caractériser l’air qui forme la ressemblance.

« Mademoiselle de Chatillon étoit une grande fille bise & seche, d’une physionomie ambiguë, d’un maintien équivoque ; elle se présentoit de bonne grace, s’asseyoit de mauvaise grace, dansoit noblement, marchoit mal. Elle avoit ordinairement de l’esprit, rarement du bon sens, jamais de la raison. Elle étoit vive dans ses reparties, turbulente dans ses manieres, froide dans le courroux, évaporée dans la joie. Ses gestes, ses paroles, son action, tout avoit l’activité d’un éclair, tout annonçoit l’orage, la grêle, le tonnerre. Elle avoit du penchant à l’amour, & de l’aversion pour la galanterie. Délicatesse, inquiétude, discrétion, mystère, ménagement, petits soins, en un mot, toutes les graces riantes & légeres qui accompagnent la tendresse, lui déplaisoient mortellement. Elle vouloit du bruyant, du brusque, de l’éclat. Elle étoit coquette, mais par imitation après les modeles les plus vils & les plus décriés ».

M. de Saint-Evremont & l’abbé de Saint-Réal nous ont donné tous les deux le portrait de la belle Hortense Mancini, niece du cardinal Mazarin, qui avoit épousé le duc de la Meilleraye. On trouve bien des choses finement pensées dans l’un & l’autre tableau ; mais on y voudroit plus de laconisme & de précision : il faut savoir peindre fortement & en peu de mots.

« Les nations, dit M. de Voltaire, crurent l’Angleterre ensevelie sous ses ruines, jusqu’au tems où elle devint tout-à-coup plus formidable que jamais, sous la domination de Cromwel qui l’assujettit, en portant l’Evangile dans une main, l’épée dans l’autre, le masque de la religion sur le visage. & qui dans son gouvernement couvrit des qualités d’un grand roi tous les crimes d’un usurpateur ». Voilà dans ce peu de lignes toute la vie de Cromwel.

Voulez-vous un portrait de fiction noblement écrit, lisez celui d’Artenice par la Bruyere.

« Elle occupe, dit-il, les yeux & le cœur de ceux qui lui parlent : on ne sait si on l’aime, ou si on l’admire : il y a en elle de quoi faire une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l’amitié : trop jeune & trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de leur mérite, & ne croit avoir que des amis. Pleine de vivacités & capable de sentimens, elle surprend & elle intéresse ; & sans rien ignorer de ce qui peut entrer de plus délicat & de plus fin dans les conversations, elle a encore ces saillies heureuses qui entr’autres plaisirs qu’elles font, dispensent toujours de la réplique : elle vous parle comme celle qui n’est pas savante, qui doute, & qui cherche à s’éclaircir ; & elle vous écoute comme celle qui sait beaucoup, qui connoît le prix de ce que vous lui dites, & auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui vous échappe.

» Loin de s’appliquer à vous contredire avec esprit, & d’imiter Elvire qui aime mieux passer pour une femme vive, que marquer du bon sens & de la justesse, elle s’approprie vos sentimens, elle les croit siens, elle les étend, elle les embellit, vous êtes content de vous d’avoir pensé si-bien, & d’a-

voir mieux dit encore que vous n’aviez cru.

» Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit qu’elle parle, soit qu’elle écrive ; elle oublie les traits où il faut des raisons, elle a déja compris que la simplicité est éloquente. S’il s’agit de servir quelqu’un & de vous jetter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis discours, & les belles-lettres qu’elle met à tous usages, Artenice n’emploie auprés de vous que la sincérité, l’ardeur, l’empressement & la persuasion.

» Ce qui domine en elle, c’est le plaisir de la lecture, avec le goût des personnes de nom & de réputation, moins pour en être connue, que pour les connoître. On peut la louer d’avance de toute la sagesse qu’elle aura un jour, & de tout le mérite qu’elle se prépare par les années, puisqu’avec une bonne conduite elle a de meilleures intentions, des principes sûrs, utiles à celles qui sont comme elle exposées aux soins & à la flatterie ; & qu’étant assez particuliere, sans pourtant être farouche, ayant même un peu de penchant pour la retraite, il ne lui auroit peut-être manqué que les occasions, ou ce qu’on appelle un grand théâtre, pour y faire briller toutes ses vertus ».

L’auteur de Télémaque a fait en ce genre des portraits d’une grande beauté, mais il n’en a point fait qui soit au-dessus du portrait de la reine d’Egypte par l’abbé Terrasson. Il mérite bien d’être transcrit dans cet ouvrage.

« Le grand-prêtre de Memphis, conducteur du convoi de la reine, monta sur le pié du char, & se tenant de bout & la tête nue, il prononça ce discours.

» Inexorables dieux des enfers, voilà notre reine que vous avez demandée pour victime dans le printems de son âge, & dans le plus grand besoin de ses peuples. Nous venons vous prier de lui accorder le repos dont sa perte va peut-être nous priver nous-mêmes. Elle a été fidelle à tous ses devoirs envers les dieux. Elle ne s’est point dispensée des pratiques extérieures de la religion, sous le prétexte des occupations de la royauté ; & les seules pratiques extérieures ne lui ont point tenu lieu de vertu. On appercevoit au-travers des soins qui l’occupoient dans ses conseils, ou de la gaiété à laquelle elle se prétoit quelquefois dans sa cour, que la loi divine étoit toujours présente à son esprit, & regnoit toujours dans son cœur.

» De toutes les fêtes auxquelles la majesté de son rang, le succès de ses entreprises, ou l’amour de ses peuples l’ont engagée, il a paru que celles qui l’amenoient dans nos temples étoient pour elle les plus agréables & les plus douces. Elle ne s’est point laissé aller, comme bien des rois, aux injustices dans l’espoir de les racheter par ses offrandes ; & sa magnificence à l’égard des dieux a été le fruit de sa piété, & non le tribut de ses remords. Au lieu d’autoriser l’animosité, la vexation, la persécution, par les conseils d’une piété mal entendue ; elle n’a voulu tirer de la religion que des maximes de douceur, & elle n’a fait usage de la sévérité, que suivant l’ordre de la justice générale, & par rapport au bien de l’état.

» Elle a pratiqué toutes les vertus des bons rois avec une défiance modeste, qui la laissoit à peine jouir du bonheur qu’elle procuroit à ses peuples. La défense glorieuse des frontieres, la paix affermie au-dedans & au-dehors du royaume, les embellissemens, & les établissemens de différente espece ne sont ordinairement de la part des autres princes, que des effets d’une sagesse politique que les dieux, juges du fond des cœurs, ne récompensent pas toujours : mais de la part de notre reine, toutes ces choses ont été des actions de vertu,