Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont on se sert pour faire la porcelaine des Indes. Le petuntse est une pierre qui paroît d’abord avoir beaucoup de ressemblance avec plusieurs des pierres à qui nous donnons le nom de grès dans ce pays-ci, mais qui, quand on vient à examiner sa nature de près, se trouve fort différente. Le grès frappé avec l’acier donne beaucoup d’étincelles, celle-ci n’en donne presque point, & avec beaucoup de peine : deux morceaux de grès frottés l’un contre l’autre ne laissent point de traces de lumiere : deux morceaux de petuntse frottés pendant quelque tems l’un contre l’autre dans l’obscurité, laissent une trace de lumiere phosphorique, à-peu-près comme deux morceaux de spath fusible frottés de la même maniere. Le grès mis en poudre assemblé dans un petit tas humecté & mis sous le four d’une fayancerie ne fait point corps, & reste friable ; le petuntse traité de la même maniere se lie & prend un commencement de fusion. Le grain de petuntse paroît plus fin & plus lié que celui du grès, de façon qu’il représente une espece d’argille spathique pétrifiée. Si nous joignons à ces qualités celle de n’être dissoluble dans aucun acide, pas même après avoir passé au feu, vous serez assûré d’avoir un véritable petuntse.

Le kaolin est une terre blanche remplie de morceaux plus ou moins gros d’un sable vitrifiable & parsemé d’une grande quantité de paillettes brillantes qui sont un véritable talc ; elle paroît être un detritus d’un de ces granits talqueux & brillans, dans lequel la terre blanche qui lie les grains de sable gris auroit abondé en très-grande quantité. Comme, suivant la manipulation des Chinois, on jette le kaolin tel qu’il est dans des cuves pleines d’eau, & qu’après l’avoir un peu laissé reposer, on ne prend que l’eau qui surnage ; on voit aisément que le sable vitrifiable reste au fond, & que par conséquent il n’entre point dans le kaolin préparé qui ne reste composé que de la terre blanche & du talc ; l’un & l’autre paroît indissoluble dans les acides. Il est difficile de croire, comme quelqu’un l’a avancé, que la terre blanche ne soit que le talc plus affiné ; quelque soin que l’on prenne à broyer le talc avec de l’eau, il ne produira jamais une matiere gluante comme la terre blanche ; il faut donc regarder cette terre blanche comme une véritable argille dont le gluten est nécessaire pour lier le petuntse qui n’en a point, & rendre la pâte susceptible d’être travaillée. Il est vrai que dans le kaolin en pain & tout préparé pour le mêler avec le petuntse tel que les Chinois le travaillent, on voit encore beaucoup de paillettes talqueuses, mais on doit se souvenir que dans les expériences de la Lithogéognosie de M. Poth, le mélange du talc avec l’argille & la pierre vitrifiable en accélere la fusion.

Lorsque les Chinois veulent faire une porcelaine plus blanche & plus précieuse, ils substituent à la place du kaolin une terre blanche qu’ils nomment hoa-ché ; elle s’appelle hoa, parce qu’elle est glutineuse, & qu’elle approche en quelque sorte du savon. Par la description qu’en donne le P. d’Entrecolles, & par celle qu’on trouve dans le manuscrit d’un médecin chinois, qui est entre les mains de M. de Jussieu, on ne peut pas douter que le hoa-ché des Chinois ne soit la même terre décrite dans l’histoire naturelle de Pline, dans le traité des pierres de Théophraste, dans Mathiole sur Dioscoride, & dans le metallotheca de Mercati, sous le nom de terre cimolée, ainsi appellée, parce que les anciens qui la tiroient de l’île de Cimole dans l’Archipel d’où ils la faisoient venir principalement pour dégraisser leurs étoffes, ne connoissoient point encore l’usage du savon. Cette graisse, qui n’est attaquable par aucun acide, est une argille très-blanche & très-pure ; exposée seule sous le four d’une fayancerie, elle commence à prendre une fusion au point qu’on pourroit en faire des va-

ses ; il faut la séparer d’une terre rouge de la même

espece, que Pline appelle cimolia purpurascens, qui se trouve toujours dans son voisinage, & de quelques parties jaunâtres qui se trouvent mêlées avec elle : plus elle est seche, plus elle devient blanche ; elle contient très-peu de sable ; & lorsqu’elle est bien seche & qu’on la met dans de l’eau, elle y fait un petit sifflement approchant de celui de la chaux. Lorsqu’elle est seche, elle s’attache très-fortement à la langue, & elle emporte parfaitement les taches sur les étoffes ; lorsqu’après l’avoir délayée dans de l’eau & appliquée dessus, on vient à frotter l’étoffe lorsqu’elle est seche. Voilà tous les caracteres auxquels on peut la reconnoître ; on peut ajouter qu’il s’en trouve en France en plus d’un endroit.

On emploie cette terre à la place du kaolin en la joignant avec le petuntse ; sa préparation est bien décrite dans la relation du P. d’Entrecolles ; il ne prescrit pas exactement les doses, parce que cette terre étant très-gluante, on est le maître d’en mettre moins, & la pâte se travaille toujours très-aisément ; on croit cependant que la dose de parties égales est celle qui réussit le mieux.

Pour ce qui regarde les manipulations que les Chinois emploient pour former une pâte, soit du petuntse & du kaolin, soit du petuntse & du hoa-ché, ou terre cimolée, toutes celles qui sont décrites dans les lettres du P. d’Entrecolles sont très-vraies & fort exactes ; si l’on en excepte ce que le P. d’Entrecolles dit de la crême qu’il prétend se former sur la surface de l’eau, dans laquelle on a délayé les matieres : il est certain qu’il ne se forme point de crême sur la surface de cette eau qui ait une épaisseur très-apparente. Le P. d’Entrecolles voyant que les ouvriers ne prenoient que la surface de cette eau, a conjecturé l’existence de la crême sans l’avoir bien examinée. Cette opération ne se fait que pour avoir les parties les plus subtiles de chaque matiere qui n’ayant pas encore eu le tems, à cause de leur extrème finesse, de se précipiter au fond, se trouvent enlevées avec l’eau qui est à leur surface. Ce que dit ensuite le P. d’Entrecolles, confirme cette opinion. Il assûre que les ouvriers, après avoir enlevé la premiere surface de l’eau, agitent la matiere avec une pelle de fer, pour reprendre un moment après la surface de l’eau, comme ils avoient fait la premiere fois. Comment pourroit-on imaginer qu’une matiere de cette espece qui n’est point dissoluble dans l’eau pût reproduire la seconde fois une crême à sa surface ?

Il faut même avoir attention, après avoir agité la matiere & l’eau, de ne pas attendre trop long-tems à prendre la surface de l’eau, sans quoi on n’auroit rien ou presque rien.

Pour ce qui est de ce qu’il dit de conserver les pains que l’on fait avec le mélange des matieres longtems humides avant d’en former des vases, cela paroît de la plus grande utilité ; l’eau dont cette pâte est abreuvée se putréfie avec le tems, & contribue par-là à affiner & à mieux disposer les matieres à se joindre.

C’est par cette raison que l’on recommande de conserver les pains formés avec la pâte dans des caves humides, & même de les couvrir de linges, sur lesquels on jette un peu d’eau de tems en tems ; au bout de quelques semaines, la putréfaction s’y apperçoit au point de rendre la pâte d’un verd bleuâtre.

Ce qui paroît de plus embarrassant, c’est que le P. d’Entrecolles fait entendre dans ses lettres que la porcelaine des Chinois ne va au four qu’une seule fois, & que l’on met l’émail, autrement dit la couverte, sur les vases à cru, & avant qu’ils ayent eu la moindre cuisson, rien ne paroît si extraordinaire que cette manœuvre ; comment peut-on imaginer que des pieces aussi grandes que celles que l’on fait à la Chine