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il faut se servir du supin, lorsqu’il n’y a avant le prétérit aucun complément ; j’ai fait poursuivre les ennemis : & il ne peut y avoir de doute, que quand il y a quelque complément avant le prétérit. Des exemples vont éclaircir tous les cas.

Je l’ai fait peindre, en parlant d’un objet masculin ou féminin au singulier ; je les ai fait peindre, au pluriel : c’est le ou la du premier exemple, & les du second, qui sont le complément principal du verbe peindre, & non de j’ai fait ; j’ai fait a pour complément l’infinitif peindre. Communément quand il y a un infinitif après fait, il est le complément immédiat & principal de fait qui est alors un supin.

Les vertus que vous avez entendu louer ; les affaires que vous avez prévu que vous auriez : dans chacun de ces deux exemples, que, qui veut dire lesquelles vertus ou lesquelles affaires, n’est point le complément du prétérit composé ; dans la premiere phrase, que est complément de louer ; dans la seconde, que est complément de vous auriez ; c’est pourquoi l’on fait usage du supin.

Je l’ai entendu chanter, par le supin, en parlant d’une cantate, parce que la qui précede n’est pas le complément du prétérit j’ai entendu, mais du verbe chanter qui est ici relatif. Au contraire, en parlant d’une chanteuse, il faut dire, je l’ai entendue chanter, par le participe, parce que la qui précede le prétérit en est le complément principal, & non pas de chanter qui est ici absolu.

En parlant d’une femme on dira également je l’ai vu peindre, par le supin, & je l’ai vue peindre, par le participe, mais en des sens très-différens. Je l’ai vu peindre, veut dire, j’ai vu l’opération de peindre, elle ; ainsi la qui précede le prétérit n’en est pas le complément ; il l’est de peindre, & peindre est le complément objectif de j’ai vu, qui, pour cette raison, exige le supin. Je l’ai vue peindre, veut dire, j’ai vu elle dans l’opération de peindre ; ainsi la qui est avant le prétérit, en est ici le complément principal, c’est pourquoi il est nécessaire d’employer le participe. On peut remarquer en passant que peindre, dans la seconde phrase, ne peut donc être qu’un complément accessoire de je l’ai vue ; d’où l’on doit conclure qu’il est dans la dépendance d’une préposition sousentendue, je l’ai vue dans peindre, ou comme je l’ai déja dit, je l’ai vue dans l’opération de peindre : car les infinitifs sont de vrais noms, dont la syntaxe a les mêmes principes que celle des noms. Voyez Infinitif.

Le mot en placé avant un prétérit en est quelquefois complément ; mais de quelle espece ? C’est un complément accessoire ; car en est alors un adverbe équivalent à la proposition de avec le nom indiqué par les circonstances : Voyez Adverbe & Mot. Ainsi il ne doit point introduire le participe dans le prétérit, & l’on doit dire avec le supin, plus d’exploits que les autres n’en ont lu, & en parlant de lettres, j’en ai reçu deux.

L’usage veut que l’on dise, les chaleurs qu’il a fait, & non pas faites ; la disette qu’il y a eu, & non pas eue. « Une exception de cette nature étant seule, dit M. l’abbé d’Olivet, & si connue de tout le monde, n’est propre qu’à confirmer la regle, & qu’à lui assurer le titre de regle générale ». Opusc. page 375.

§. IV. Des verbes pronominaux. Tous les verbes pronominaux forment leurs prétérits par l’auxiliaire être ; & l’on y ajoute le supin, si le complément principal est après le verbe ; au contraire, on se sert du participe mis en concordance avec le complément principal, si ce complément est avant le verbe.

1°. Elle s’est fait peindre, avec le supin, parce que peindre est le complément principal de fait, & que le pronom se, qui précede, est complément de peindre

& non de fait ; c’est comme si l’on disoit, elle a fait peindre soi.

Elle s’est crevé les yeux, avec le supin, parce que les yeux est complément principal de crevé, & que se en est le complément accessoire ; elle a crevé les yeux à soi.

Elle s’est laissé séduire, & non pas laissée, parce que se n’en est pas le complément principal, mais de séduire qui l’est lui-même de laissé : elle a laissé séduire soi.

Pour les mêmes raisons il faut dire, elle s’est mis des chimeres dans la tête ; elle s’est imaginé qu’on la trompoit ; elle s’étoit donné de belles robes, &c.

2°. Voici des exemples du participe, parce que le complément principal est avant le verbe.

Elle s’est tuée, & non pas tué, parce que le pronom est complément principal du prétérit ; c’est comme si l’on disoit, elle a tué soi. Par les mêmes raisons, il faut dire, elles se sont repenties ; ma mere s’étoit promenée ; mes sœurs se sont faites religieuses ; nos troupes s’étoient battues long-tems.

Il faut dire, elle s’est livrée à la mort, & par un semblable principe de syntaxe, elle s’est laissée mourir, c’est-à-dire, elle a laissé soi à mourir ou à la mort.

Les deux doigts qu’elle s’étoit coupés ; parce que le complément principal du prétérit c’est que, qui veut dire lesquels deux doigts, & que ce complément est avant le verbe. De même faut-il dire, les chimeres que cet homme s’est mises dans la tête ; ces difficultés vous arrêtent sans cesse, & je ne me les serois pas imaginées ; voilà de belles estampes, je suis surpris que vous ne vous les soyez pas données plûtôt.

Cette syntaxe est la même, quelle que soit la position du sujet, avant ou après le verbe ; & l’on doit également dire, les lois que les Romains s’étoient prescrites ou que s’étoient prescrites les Romains ; ainsi se sont perdues celles qui l’ont cru ; comment s’est élevée cette difficulté ? &c.

Maiherbe, Vaugelas, Bouhours, Regnier, &c. n’ont pas établi les mêmes principes que l’on trouve ici ; mais ils ne sont pas plus d’accord entr’eux qu’avec nous ; &, comme le dit M. Duclos, Rem. sur le ch. xxij. de la II. part. de la Gramm. gén. « ils donnent des doutes plutôt que des décisions, parce qu’ils ne s’étoient pas attachés à chercher un principe fixe. D’ailleurs, quelque respectable que soit une autorité en fait de science & d’art, on peut toujours la soumettre à l’examen ».

Ainsi l’usage se trouvant partagé, le parti le plus sage qu’il y eut à prendre, étoit de préférer celui qui étoit le plus autorisé par les modernes, & sur-tout par l’académie, & qui avoit en même tems l’avantage de n’établir que des principes généraux : car, selon la judicieuse remarque de M. l’abbé d’Olivet, Opusc. page 386, « moins la Grammaire autorisera d’exceptions, moins elle aura d’épines ; & rien ne me paroît si capable, que des regles générales, de faire honneur à une langue savante & polie. Car supposé, dit-il ailleurs, pag. 380, que l’observation de ces regles générales nous fasse tomber dans quelque équivoque ou dans quelque cacophonie ; ce ne sera point la faute des regles ; ce sera la faute de celui qui ne connoîtra point d’autres tours, ou qui ne se donnera pas la peine d’en chercher. La Grammaire, dit-il encore en un autre endroit, pag. 366, ne se charge que de nous enseigner à parler correctement. Elle laisse à notre oreille, & à nos réflexions, le soin de nous apprendre en quoi consistent les graces du discours ». (B. E. R. M.)

Participe, (Jurisprud.) en matiere criminelle signifie celui qui a eu quelque part à un crime ; un accusé a quelquefois plusieurs complices, participes, fauteurs & adhérens. On entend par complices ceux