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tres insectes aquatiques. Les polypes en avalent qui sont plus longs & plus gros que leur corps ; la bouche & le corps se dilatent, & le ver se trouve replié de maniere qu’il n’en reste aucune partie au-dehors du corps des polypes. Lorsque deux de ces insectes attaquent un même ver, ils l’avalent chacun par une de ses extrémités ; & lorsque leurs bouches se rencontrent sur le milieu du ver, il arrive quelquefois que l’un des polypes n’est pas arrêté par cet obstacle, il avale l’autre polype avec la portion du ver qui se trouve dans son corps ; mais au bout d’une heure ce polype sort sain & sauf du corps de celui qui l’avoit englouti ; il n’y perd que sa proie. On a vû aussi des polypes avaler leurs bras lorsqu’ils étoient entrelacés avec leur proie ; au bout de vingt-quatre heures le bras sortoit du corps du polype sans paroître y avoir été altéré. Ces faits prouvent que les polypes ne se mangent pas les uns les autres, ou au moins qu’ils ne peuvent pas digérer leurs semblables. M. Trembley est parvenu à introduire des polypes vivans dans l’estomac d’autres polypes. Après y être restés pendant quatre ou cinq jours, ils en sont toujours sortis vivans, au-lieu que les autres animaux qui leur servent de nourriture n’y peuvent pas vivre plus d’un quart-d’heure. Les polypes mangent plus en été qu’en hiver ; le volume des alimens qu’ils peuvent prendre en une seule fois est triple ou quadruple de celui de leur corps. Ils se passent de nourriture pendant long-tems ; M. Trembley en a eu qui ont vécu pendant quatre mois sans aucun aliment, mais le volume de leur corps étoit diminué ; au contraire, l’accroissement des polypes est fort prompt lorsqu’ils mangent beaucoup & souvent. La couleur des alimens, leur présence ou leur absence, la contraction ou la dilatation du corps des polypes, font varier leur couleur, & la rendent plus ou moins foncée.

M. Trembley a nourri des polypes qui vivoient encore après deux ans ; ces insectes sont sujets à avoir de petits poux, très-communs dans les eaux, qui les incommodent, & qui même les mangent & les font mourir. Pour avoir des polypes il faut les chercher dans les recoins que forment les fossés, les mares & les étangs, dans ces endroits où le vent pousse & rassemble les plantes qui flottent sur l’eau ; on les trouve indifféremment sur toutes sortes de corps, sur toutes les plantes aquatiques ; ils sont posés sur le fond des fossés, ou suspendus à la superficie de l’eau. Il est plus difficile de les trouver en hiver qu’en été, parce qu’ils restent au fond de l’eau avec les plantes.

Leeuwenhock & l’auteur anonyme, dont il a déja été fait mention, avoient découvert au commencement de ce siecle la génération naturelle des polypes. M. Trembley n’ayant aucune connoissance de ces observations, fit la même découverte en 1741 ; il apperçut, le 25 Février, sur le corps d’un polype une petite excrescence d’un verd foncé ; dès le lendemain, cette excrescence avoit environ un quart de ligne de longueur & une figure à-peu-près cylindrique ; le 28, elle étoit longue au-moins d’une demi-ligne ; le même jour, quatre bras commencerent à pousser sur cette excrescence ; ils avoient déja trois lignes de longueur le 18 de Mars, lorsque le jeune polype se sépara de sa mere. Cette séparation se fait aisément, parce qu’alors les deux polypes ne tiennent l’un à l’autre que par un fil très-délié ; ils s’appuient sur quelque corps, & le moindre effort qu’ils font en se contractant, suffit pour rompre le foible lien qui les unissoit. Les bras ne poussent pas tous ensemble ; il n’en paroît d’abord que quatre ou cinq ; les autres sortent dans la suite, & même après que le jeune polype est séparé du corps de sa mere. C’est ainsi que M. Trembley appelle le polype, qui produit ou qui a

produit des petits ; il est aussi-bien le pere que la mere, comme on le dira dans la suite. Avant que le jeune polype soit séparé de sa mere, il prend des alimens ; il saisit la proie qui se rencontre ; il l’approche de sa bouche & l’avale. Il croît très-promptement, lorsqu’il fait chaud & que les alimens ne manquent pas : vingt-quatre heures suffisent pour son accroissement, & deux jours après avoir paru sur le corps de sa mere, il s’en détache ; mais en hiver il y en a qui ne prennent leur accroissement qu’en quinze jours, & qui ne se séparent de leur mere qu’après cinq ou six semaines : lorsque la nourriture manque au jeune polype, il quitte sa mere plutôt qu’il ne le feroit, s’il n’étoit pas pressé par la faim. La cavité du corps du jeune polype communique avec celle du corps de la mere ; il est formé par un prolongement de la peau de cette mere. Les alimens qu’il prend, après avoir passé d’un bout à l’autre de son estomac, c’est-à-dire, de la cavité de son corps, car il n’y a point de visceres, entrent dans celui de la mere, & réciproquement ceux qu’elle prend entrent dans l’estomac du jeune polype. S’il y a plusieurs polypes sur la même mere, il suffit que l’un d’eux ou la mere prennent des alimens pour qu’ils soient tous nourris ; mais lorsqu’ils ont pris leur accroissement, & qu’ils approchent du tems où ils doivent se séparer de leur mere, le diametre de la partie postérieure de leur corps, qui tient à celui de la mere, s’accourcit ; l’orifice qui servoit de communication entre la cavité du corps de la mere & celle du corps du jeune polype, se ferme, & alors les alimens ne peuvent plus passer du corps de l’un dans celui de l’autre.

Les polypes sont très-féconds lorsqu’il fait chaud & que les alimens sont abondans. Un seul polype en produit environ vingt en un mois, & chacun de ces vingt commence à en produire d’autres quatre ou cinq jours après son apparition sur le corps de sa mere. M. Trembley en a vû une qui portoit sa troisieme génération ; du petit qu’elle produisoit sortoit un autre petit, & de celui-ci un troisieme. Un polype à longs bras, que le même auteur a observé, quinze jours après avoir commencé à sortir du corps de sa mere & neuf jours après s’en être séparé, avoit un pouce & un quart de longueur lorsqu’il étoit bien étendu ; dix jeunes polypes sortoient en même tems de son corps, & quatre ou cinq de ces jeunes étoient longs de sept à huit lignes ; il y en avoit huit d’entr’eux qui étoient parfaitement formés & en état de manger ; de plus, cinq de ces derniers produisoient des petits ; de l’un de ces cinq il en sortoit trois, de deux autres il en sortoit deux, & enfin les deux derniers en poussoient chacun un. Quelques-uns des polypes de cette seconde génération avoient déja des bras & prenoient même des pucerons : M. Trembley en fournissoit en abondance à ce groupe de polypes qu’il nourrissoit chez lui. Ceux qui n’ont pas tant d’alimens ne sont pas si féconds : M. Trembley n’en a jamais trouvé dans des fossés qui eussent plus de sept petits attachés à leur corps. Il s’est assuré par un grand nombre d’expériences que tous les polypes produisent des petits, qu’ils se multiplient par rejettons sans accouplement, sans aucune communication des uns avec les autres. On a apperçû sur ces insectes des corps sphériques que l’on pourroit regarder comme des œufs ; M. Trembley a soupçonné qu’un de ces corps étoit devenu un polype ; M. Allamand a eu le même soupçon : mais ni l’un ni l’autre n’a vérifié ce fait. M. Trembley a vû quelques polypes qui se séparent d’eux-mêmes en deux parties qui deviennent chacune un polype entier. Il y a des polypes qui ont un ou deux bras fourchus ; d’autres ont deux têtes l’une à côté de l’autre. M. Trembley en a vû un qui avoit une tête, des bras, & une bouche à chacune de ses extrémités, & qui mangeoit indifféremment par l’une ou par l’autre de ses