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des patriarches. On croit que Dieu la leur permit, ou du moins qu’il la toléra pour des vûes supérieures. S. Augustin ne la condamna qu’autant qu’elle est interdite dans la loi nouvelle par des lois positives. « La polygamie, dit ce pere, lib. II. cont. Faust. c. xlvij. n’étoit pas un crime lorsqu’elle étoit en usage. Si elle est aujourd’hui criminelle, c’est que l’usage en est aboli. Il y a différentes sortes de péchés, continue-t-il ; il y en a contre la nature, il y en a contre les usages & coutumes, & il y en a contre les lois. Cela posé, quel crime peut-on faire au S. homme Jacob d’avoir eu plusieurs femmes ? Si vous consultez la nature, il s’est servi de ces femmes pour avoir des enfans, & non pour contenter sa passion. Si vous avez égard à la coutume, la coutume autorisoit la polygamie. Si vous écoutez la loi, nulle loi ne lui défendoit la pluralité des femmes. Pourquoi donc la polygamie est-elle aujourd’hui un péché ? c’est qu’elle est contraire à la loi & à la coutume ».

Les lois de Moïse supposent manifestement cet usage, & ne le condamnent point. Les Rabbins permettent au roi jusqu’à dix-huit femmes, à l’exemple de Roboam roi de Juda qui en avoit autant ; & ils permettent aux Israélites d’en épouser autant qu’ils en peuvent nourrir. Toutefois les exemples de polygamie parmi les particuliers, n’étoient pas trop communs, les plus sages en voyoient trop les inconvéniens. Mais au lieu de femmes on prenoit des concubines, c’est-à-dire des femmes d’un second rang, ce qui n’étoit pas sujet aux mêmes désordres. On met cette différence entre une femme & une concubine, selon les Rabbins, qu’une femme étoit épousée par contrat, & qu’on lui donnoit sa dot ; au lieu que les autres se prenoient sans contrat, qu’elles demeuroient dans la soumission & la dépendance de la mere de famille, comme Agar envers Sara, & que les enfans des concubines n’héritoient pas des biens fonds, mais d’un présent que leur faisoit leur pere.

Jésus-Christ a rétabli le mariage dans son premier & légitime état, en révoquant la permission qui toléroit la polygamie & le divorce. Il ne permet aux Chrétiens qu’une seule femme, selon ces paroles de la Genese : Dieu créa au commencement l’homme mâle & femelle ; l’homme s’attachera à sa femme, & ils ne feront ensemble qu’une seule chair.

La polygamie n’est plus permise à-présent aux Juifs, ni en Orient, ni en Occident. Les empereurs Théodose, Arcade & Honorius, la leur défendirent par leurs rescrits de l’an 393. Les Mahométans qui ne se refusent pas cette liberté, ne l’accordent point aux Juifs dans leur empire. Les Samaritains fort attachés aux lois de Moïse, n’épousent qu’une seule femme, & font un crime aux Juifs de leur polygamie secrete en Orient.

Un auteur nommé Lyserus, natif de Saxe, & déguisé sous le nom de Theophilus Aletheus, donna sur la fin du siecle dernier, un gros ouvrage où il prétendoit prouver que la polygamie étoit non seulement permise, mais nécessaire, & qui fut imprimé à Lunden en Scanie, vers 1683. On peut voir dans les nouvelles de la république des lettres de Bayle, ann. 1685, mois d’Avril, l’extrait qu’il a donné de cet ouvrage extravagant, que quelques auteurs, & entre autres Brusmannus, ministre de Copenhague, ont pris la peine de refuter sérieusement. Le livre de ce dernier est intitulé : Monogamia triumphatrix, par opposition au titre de Polygamia triumphatrix, que porte celui de Lyserus.

Les Calvinistes & les Luthériens sont extrèmement opposés sur le fait de la polygamie, les premiers soutenant qu’elle est contraire à la loi naturelle, & taxant en conséquence d’adultere tous les anciens patriarches qui ont eu en même tems plusieurs femmes.

Luther au contraire prétendoit que la polygamie étoit permise de droit naturel, & même qu’elle n’avoit pas été abolie par l’Evangile ; puisque par une consultation signée de lui, de Mélancthon, de Bucer & de plusieurs autres docteurs de son parti, & qu’on peut voir dans l’histoire des variations de M. Bossuet, il permit en 1539, à Philippe lantgrave de Hesse, d’épouser une seconde femme du vivant de sa premiere.

La polygamie successive est autorisée par les lois civiles, & tolérée dans l’Eglise, quoiqu’avec assez de répugnance, les conciles & les peres ayant souvent témoigné qu’ils ne louoient pas les secondes noces, & les canons ne recevant pas dans les ordres sacrés les bigames, à moins qu’ils n’ayent dispense. On lit dans Athénagore, que les secondes noces sont un adultere honorable, adulterium decorum ; & dans S. Basile, qu’elles sont une fornication mitigée, castigatam fornicationem, expressions trop fortes. Les Montanistes & les Novatiens condamnoient aussi les secondes noces ; mais l’Eglise sans en faire l’éloge, ni les conseiller, ne les a jamais blâmées. Je déclare hautement, dit S. Jerôme, epist. xxx. ad Pammach. qu’on ne condamne pas dans l’Eglise ceux qui se marient deux, trois, quatre, cinq & six fois, & même davantage ; mais si on ne proscrit pas cette répétition, on ne la loue pas. Calmet, dictionn. de la bibl. t. III. page 244.

Polygamie, (Jurisprud.) est le mariage d’un homme avec plusieurs femmes, ou d’une femme avec plusieurs hommes ; ainsi la polygamie comprend la bigamie, qui est lorsqu’un homme a deux femmes, ou une femme deux maris.

Le mariage, qui est d’institution divine, ne doit être que d’un homme & d’une femme seulement ; masculum & fæminam creavit eos, dit l’Ecriture : & ailleurs il est dit, & erunt duo in carne unâ.

Cette loi si sainte fut bientôt violée par Lamech, lequel fut le premier qui eut plusieurs femmes. Son crime parut plus grand aux yeux de Dieu que le fratricide même, puisque l’Ecriture dit que le crime de Lamech seroit puni jusqu’à la 77 génération, au-lieu que pour le meurtre d’Abel il est dit seulement qu’il sera vengé jusqu’à la septieme. Cependant la polygamie continua d’être pratiquée, les patriarches même de l’ancien Testament ne s’en abstinrent pas.

La pluralité des femmes fut pareillement en usage chez les Perses, chez les Athéniens, les Parthes, les Thraces ; on peut même dire qu’elle l’a été presque par tout le monde, & elle l’est encore chez plusieurs nations.

Elle étoit ainsi tolérée chez les Juifs à cause de la dureté de leur cœur ; mais elle fut hautement reprouvée par J. C.

Les Romains, séveres dans leurs mœurs, ne pratiquoient point d’abord la polygamie, mais elle étoit commune parmi les nations de l’orient. Les empereurs Théodose, Honorius & Arcadius la défendirent par une loi expresse l’an 393.

L’empereur Valentinien I. fit un édit par lequel il permit à tous les sujets de l’empire d’épouser plusieurs femmes. On ne remarque point dans l’histoire ecclésiastique que les évêques se soient recriés contre cette loi en faveur de la polygamie ; mais elle ne fut pas observée.

Saint Germain, évêque d’Auxerre, excommunia Cherebert fils de Lothaire, pour avoir épousé en même tems deux femmes, & même qui étoient sœurs ; il ne voulut pourtant pas les quitter, mais celle qu’il avoit épousée en second lieu mourut peu de tems après.

Charlemagne ordonna que celui qui épouseroit une seconde femme du vivant de la premiere, seroit puni comme adultere.