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rent forcés à descendre du trone, & Casimir IV. auroit eu le même sort, s’il n’eût fléchi sous les remontrances de ses sujets. Poussés à bout par la tyrannie de Boleslas I I. dans le treizieme siecle, ils s’en délivrerent en le chassant.

Une nation qui est parvenue à déposer ses rois, n’a plus qu’à choisir les pierres pour élever l’édifice de sa liberté, & le tems amene tout. Casimir le grand, au quatorzieme siecle, pressé de finir une longue guerre, fit un traité de paix, dont ses ennemis exigerent la ratification par tous les ordres du royaume. Les ordres convoqués refuserent de ratifier ; & ils sentirent dès ce moment qu’il n’étoit pas impossible d’établir une république en conservant un roi.

Les fondemens en furent jettés avant la mort même de Casimir ; il n’avoit point de fils pour lui succéder ; il proposa son neveu Louis, roi de Hongrie. Les Polonois y consentirent ; mais à des conditions qui mettoient des entraves au pouvoir absolu : ils avoient tenté plus d’une fois de le diminuer par des révoltes ; ici c’est avec des traités. Le nouveau maître les déchargeoit presque de toute contribution ; il y avoit un usage établi, de défrayer la cour dans ses voyages ; il y renonçoit. Il s’engageoit pareillement à rembourser à ses sujets les dépenses qu’il seroit contraint de faire, & les dommages même qu’ils auroient à souffrir dans les guerres qu’il entreprendroit contre les puissances voisines : rien ne coûte pour arriver au trone.

Louis y parvint, & les sujets obtinrent encore que les charges & les emplois publics seroient desormais donnés à vie aux citoyens, à l’exclusion de tout étranger, & que la garde des forts & des châteaux ne seroit plus confiée à des seigneurs supérieurs au reste de la noblesse, par une naissance qui leur donnoit trop de crédit. Louis possesseur de deux royaumes, préféroit le séjour de la Hongrie, où il commandoit en maître, à celui de la Pologne, où l’on travailloit à faire des lois. Il envoya le duc d’Oppellen pour y gouverner en son nom : la nation en fut extrèmement choquée, & le roi fut obligé de lui substituer trois seigneurs polonois agréables au peuple : Louis mourut sans être regretté.

Ce n’étoit pas assez à l’esprit républicain, d’avoir mitigé la royauté ; il frappa un autre grand coup, en abolissant la succession ; & la couronne fut déférée à la fille cadette de Louis, à condition qu’elle n’accepteroit un époux que de la main de l’état. Parmi les concurrens qui se présenterent, Jagellon fit briller la couronne de Lithuanie, qu’il promit d’incorporer à celle de Pologne. C’étoit beaucoup : mais ce n’étoit rien, s’il n’avoit souscrit à la forme républicaine. C’est à ce prix qu’il épousa Hedwige, & qu’il fut roi.

Il y eut donc une république composée de trois ordres : le roi, le sénat, l’ordre équestre, qui comprend tout le reste de la noblesse, & qui donna bientôt des tribuns sous la dénomination de nonces. Ces nonces représentent tout l’ordre équestre dans les assemblées générales de la nation qu’on nomme dietes, & dont ils arrêtent l’activité, quand ils veulent, par le droit de veto. La république romaine n’avoit point de roi : mais dans ses trois ordres, elle comptoit les plébéiens, qui partagecient la souveraineté avec le sénat & l’ordre équestre ; & jamais peuple ne fut ni plus vertueux, ni plus grand. La Pologne différente dans ses principes, n’a compté son peuple qu’avec le bétail de ses terres. Le sénat qui tient la balance entre le roi & la liberté, voit sans émotion la servitude de cinq millions d’hommes, autrefois plus heureux lorsqu’ils étoient Sarmates.

La république polonoise étant encore dans son enfance, Jagellon parut oublier à quel prix il regnoit : un acte émané du trone se trouva contraire à

ce qu’il avoit juré ; les nouveaux républicains sous ses yeux même, mirent l’acte en piece avec leurs sabres.

Les rois, qui avant la révolution décidoient de la guerre ou de la paix, faisoient les lois, changeoient les coutumes, abrogeoient les constitutions, établissoient des impôts, disposoient du trésor public, virent passer tous ces ressorts de puissance dans les mains de la noblesse ; & ils s’accoutumerent à être contredits. Mais ce fut sous Sigismond Auguste, au seizieme siecle, que la fierté républicaine se monta sur le plus haut ton.

Ce prince étant mort sans enfans en 1573, on pensa encore à élever de nouveaux remparts à la liberté ; on examina les lois anciennes. Les unes furent restraintes, les autres plus étendues, quelques-unes abolies ; & après bien des discussions, on fit un decret qui portoit que les rois nommés par la nation, ne tenteroient aucune voie pour se donner un successeur ; & que conséquemment ils ne prendroient jamais la qualité d’héritiers du royaume ; qu’il y auroit toujours auprès de leur personne seize sénateurs pour leur servir de conseil ; & que sans leur aveu, ils ne pourroient ni recevoir des ministres étrangers, ni en envoyer chez d’autres princes ; qu’ils ne leveroient point de nouvelles troupes, & qu’ils n’ordonneroient point à la noblesse de monter à cheval sans l’aveu de tous les ordres de la république ; qu’ils n’admettroient aucun étranger au conseil de la nation ; & qu’ils ne leur conféreroient ni charges, ni dignités, ni starosties ; & qu’enfin ils ne pourroient point se marier, s’ils n’en avoient auparavant obtenu la permission du sénat, & de l’ordre équestre.

Tout l’interregne se passa à se prémunir contre ce qu’on appelloit les attentats du trône. Henri de Valois fut révolté à son arrivée de ce langage républicain qui dominoit dans toutes les assemblées de l’état. La religion protestante étoit entrée dans le royaume sous Sigismond I. & ses progrès augmentoient à proportion des violences qu’on exerçoit contre elle. Lorsque Henri arriva à Cracovie on y savoit que Charles IX. son frere venoit d’assassiner une partie de ses sujets pour en convertir une autre. On craignoit qu’un prince élevé dans une cour fanatique & violente, n’en apportât l’esprit : on voulut l’obliger à jurer une capitulation qu’il avoit déja jurée en France en présence des ambassadeurs de la république, & sur-tout l’article de la tolérance, qu’il n’avoit juré que d’une façon vague & équivoque. Sans l’éloquent Pibrac, on ne sait s’il eût été couronné ; mais quelque mois après, le castellan de Sendomir Ossolenski, fut chargé lui sixieme, de déclarer à Henri sa prochaine déposition, s’il ne remplissoit plus exactement les devoirs du trône. Sa fuite précipitée termina les plaintes de la nation, & son regne.

C’est par tous ces coups de force, frappés en différens tems, que la Pologne s’est conservé des rois sans les craindre. Un roi de Pologne à son sacre même, & en jurant les pacta conventa, dispense les sujets du serment d’obéissance, en cas qu’il viole les lois de la république.

La puissance législative réside essentiellement dans la diete qui se tient dans l’ancien château de Varsovie, & que le roi doit convoquer tous les deux ans. S’il y manquoit, la république a le pouvoir de s’assembler d’elle-même : les diétines de chaque palatinat, précedent toujours la diete. On y prépare les matieres qui doivent se traiter dans l’assemblée générale, & on y choisit les représentans de l’ordre équestre : c’est ce qui forme la chambre des nonces. Ces nonces ou ces tribuns sont si sacrés, que sous le regne d’Auguste II. un colonel saxon en ayant blessé un legerement pour venger une insulte qu’il en avoit reçue, fut condamné à mort & exécuté, malgré