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des qui les éclaireroient dans leurs fonctions. Le choix de ces aides fut d’abord à la discrétion des présidens ou premiers magistrats des provinces ; mais ils en abuserent au point qu’on fut obligé de le transférer à l’assemblée des évêques, de leur clergé, des magistrats, & des principaux citoyens. Le préfet du prétoire confirmoit cette élection. Dans la suite les empereurs se réserverent le droit de nommer à ces emplois.

Ces aides eurent différens noms ; ils s’appellerent comme à Rome, curatores urbis, commissaires ; servatores locorum, défenseurs des lieux ; vicarii magistratuum, vice-gérens des magistrats ; parentes plebis, peres du peuple ; defensores disciplinæ, inquisitores, discussores ; & dans les provinces greques, irenarchi, modérateurs ou pacificateurs. Leurs fonctions étoient très-étendues, & afin qu’ils l’exerçassent surement, on leur donna deux huissiers : les huissiers des barrieres, apparitores stationarii, avoient aussi ordre de leur obéir.

Il y eut entre ces nouveaux officiers de police, & les officiers romains, des démêlés qui auroient eu des suites fâcheuses, si les empereurs ne les eussent prévenues, en ordonnant que les aides des députés des consuls & des conservateurs des lieux seroient pris entre les principaux habitans, ce qui écarta d’eux le mépris qu’en faisoient les officiers romains. L’histoire de la police établie par les Romains dans les Gaules, nous conduit naturellement à celle de France où nous allons entrer.

Police de France. Il y avoit 470 ans que les Gaules étoient sous la domination des Romains, lorsque Pharamond passa le Rhin à la tête d’une colonie, s’établit sur ses bords, & jetta les fondemens de la monarchie françoise à Treves, ou il s’arrêta. Clodion s’avança jusqu’à Amiens : Mérouée envahit le reste de la province, la Champagne, l’Artois, une partie de l’île de France, & la Normandie. Childeric se rendit maître de Paris ; Clovis y établit son séjour, & en fit la capitale de ses états. Alors les Gaules prirent le nom de France, province d’Allemagne, d’où les François sont originaires.

Trois peuples partageoient les Gaules dans ces commencemens : les Gaulois, les Romains & les François. Le seul moyen d’accorder ces peuples, que la prudence de nos premiers rois mit en usage, ce sut de maintenir la police des Romains. Four cet effet ils distribuerent les primaties, les duchés & les comtés du premier ordre à leurs officiers généraux ; les comtes du second ordre à leurs mestres-de-camp & colonels, & les mairies à leurs capitaines, lieutenans, & autres officiers subalternes. Quant aux fonctions elles demeurerent les mêmes ; on accorda seulement à ces magistrats à titre de récompense, une partie des revenus de leur jurisdiction.

Les généraux, mestres-de-camp & colonels, accepterent volontiers les titres de patrice, primat, duc & comte ; mais les capitaines & autres officiers aimerent mieux conserver leurs noms de centeniers, cinquanteniers & dixainiers, que de prendre ceux de juges pédanés, ou maires de village. La jurisdiction des dixainiers fut subordonnée à celle des cinquanteniers, & celle-ci à celle des centeniers ; & c’est de là que viennent apparemment les distinctions de haute, moyenne & basse justice.

On substitua au préfet du prétoire des Gaules, dont le tribunal dominoit toutes ces jurisdictions, le comte du palais, comes palatii, qui s’appella dans la suite maire du palais, duc de France, duc des ducs.

Tel étoit l’état des choses sous Hugues Capet. Les troubles dont son regne fut agité, apporterent des changemens dans la police du royaume. Ceux qui possédoient les provinces de France s’aviserent de prétendre que le gouvernement devoit en être hérédi-

taire dans leur famille. Ils étoient les plus forts, &

Hugues Capet y consentit, à condition qu’on lui en feroit foi & hommage, qu’on le serviroit en guerre, & qu’au défaut d’enfans mâles, elles seroient reversibles à la couronne. Hugues Capet ne put mieux faire.

Voilà donc le roi maître d’une province, & les seigneurs souverains des leurs. Bien-tôt ceux-ci ne se soucierent plus de rendre la justice ; ils se déchargerent de ce soin sur des officiers subalternes, & de là vinrent les vicomtes, les vice-comites, les prevôts, præpositi juridicundo ; les viguiers, vicarii ; les chatelains, castillorum custodes ; les maires, majores villarum, premiers des villages.

Les ducs & comtes qui s’étoient réservé la supériorité sur ces officiers, tenoient des audiences solemnelles quatre fois ou six fois l’année, ou plus souvent, & présidoient dans ces assemblées composées de leurs pairs ou principaux vassaux, qu’ils appelloient assises.

Mais les affaires de la guerre les demandant tout entiers, ils abandonnerent absolument la discussion des matieres civiles aux baillis ; bailli est un vieux mot gaulois qui signifie protecteur ou gardien ; en effet les baillis n’étoient originairement que les dépositaires ou gardiens des droits des ducs & comtes. On les nomma dans certaines provinces sénéchaux ; sénéchal est un terme allemand qui se rend en françois par ancien domestique, ou chevalier, parce que ceux à qui les ducs & comtes confioient préférablement leur autorité, avoient été leurs vassaux. Telle est l’origine des deux degrés de jurisdiction qui subsistent encore dans les principales villes du royaume, la vicomté, viguerie, ou prevôté. & le bailliage ou la sénéchaussée.

La création des prevôts succéda à celle des baillis. Les prevôts royaux eurent dans les provinces de la couronne toute l’autorité des ducs & des comtes, mais ils ne tarderent pas à en abuser. Les prélats & chapitres éleverent leurs cris ; nos rois les entendirent. & leur accorderent pour juge le seul prevôt de Paris. Voilà ce que c’est que le droit de garde-gardienne, par lequel les affaires de certaines personnes & communautés privilégiées sont attirées dans la capitale.

On eut aussi quelqu’égard aux plaintes de ceux qui ne jouissoient pas du droit de garde-gardienne. On répandit dans le royaume des commissaires pour redresser les torts des prevôts, des ducs & des comtes, ce que ces seigneurs trouverent mauvais ; & comme on manquoit encore de force, on se contenta de réduire le nombre des commissaires à quatre, dont on fixa la résidence à Saint-Quentin, autrefois Vermande, à Sens, à Mâcon & à Saint-Pierre-le-Moutier. Aussi-tôt plusieurs habitans des autres provinces demanderent à habiter ces villes, ou le droit de bourgeoisie, qui leur fut accordé à condition qu’ils y acquerroient des biens & qu’ils y séjourneroient. De là viennent les droits de bourgeoisie du roi, & les lettres de bourgeoisie.

Ces quatre commissaires prirent le titre de baillis, & le seul prevôt de Paris fut excepté de leur jurisdiction. Mais en moins de deux siecles, la couronne recouvra les duchés & comtés aliénés ; les bailliages & sénéchaussées devinrent des juges royaux, & il en fut de même de ces justices qui ont retenu leurs anciens noms de vicomtés, duchés, & prevotés.

Les titres de bailli & de sénéchal ne convenoient proprement qu’aux vice-gérens des ducs & des comtes ; cependant de petits seigneurs subalternes en honorerent leurs premiers officiers, & l’abus subsista ; & de là vint la distinction des grands, moyens & petits bailliages subordonnés les uns aux autres, ceux de villages à ceux des villes, ceux-ci à ceux des provinces. De ces petits bailliages il y en eut qui devinrent royaux, mais sans perdre leur subordination.