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plus brillant coloris, il étoit difficile qu’elles manquassent de plaire à tous les peuples policés.

L’auteur a choisi un héros véritable au lieu d’un héros fabuleux ; il a décrit des guerres réelles & non des batailles chimériques. Il n’a osé employer que des fictions qui fussent des images sensibles de la vérité ; ou bien il a pris le parti de les renfermer dans les bornes de la vraissemblance & des facultés humaines. C’est pour cette raison qu’il a placé le transport de son héros au ciel & aux enfers dans un songe, où ces sortes de visions peuvent paroître naturelles & croyables.

Les êtres invisibles sans l’entremise desquels les maîtres de l’art n’oseroient entreprendre un poëme épique, comme l’ame de saint Louis & quelques passions humaines personnifiées, sont ici mieux ménagées que dans les autres épopées modernes ; & l’ouvrage entier soutient son éclat, sans être chargé d’une infinité d’agens surnaturels.

L’auteur n’a fait entrer dans son poëme que le merveilleux convenable à une religion aussi pure que la nôtre, & dans un siecle où la raison est devenue aussi sévere que la religion même.

Tout ce qu’il avance sur la constitution de l’univers, les lois de la nature & de la morale, dévoilent un génie supérieur, aussi sage philosophe qu’excellent physicien. Son ouvrage ne respire que l’amour de l’humanité : on y déteste également la rébellion & la persécution.

La sagesse dans la composition, la dignité dans le dessein, le goût, l’élégance, la correction & les plus belles images, y regnent éminemment. Les idées les plus communes y sont ennoblies par le charme de la poésie, comme elles l’ont été par Virgile. Quel poëme enfin que la Henriade, dit un de nos collegues (au mot Epopée), si l’auteur eût connu toutes ses forces lorsqu’il en forma le plan ; s’il y eût déployé le pathétique de Mérope & d’Alzire, l’art des intrigues & des situations ! Mais c’est au tems seul qu’il appartient de confirmer le jugement des vivans, & de transmettre à la postérité les ouvrages dont ils font l’éloge.

Comme je n’ai parlé dans ce discours que des poëtes épiques de réputation, je ne devois rien dire de Chapelain & de quelques autres, dont les ouvrages sont promptement tombés dans l’oubli.

Chapelain (Jean), né à Paris en 1595, & l’un des premiers de l’académie françoise, mourut en 1674. Il fut pensionné par le cardinal de Richelieu, par le duc de Longueville, & par le cardinal Mazarin. Cet homme comblé des présens de la fortune, fut cinq ans à méditer son poëme de la Pucelle. Il l’avoit divisé en vingt-quatre chants, dont il n’y a jamais eu que les douze premiers chants d’imprimés. Quand ils parurent, ils avoient pour eux les suffrages des gens de lettres, & entr’autres de l’évêque d’Avranches. « Les bienfaits des grands avoient déja couronné ce poëme, & le monde prévenu par ces éloges l’attendoit l’encensoir à la main. Cependant si-tôt que le public eut lû la Pucelle, il revint de son préjugé, & la méprisa même avant qu’aucun critique lui eût enseigné par quelle raison elle étoit méprisable. La réputation prématurée de l’ouvrage, fut cause seulement que le public instruisit ce procès avec plus d’empressement. Chacun apprit sur les premieres informations qu’il fit, qu’on bâilloit comme lui en la lisant, & la Pucelle devint vieille au berceau ». (Le Chevalier de Jaucourt.)

Poeme historique, (Poésie didactique.) espece de poëme didactique qui n’expose que des actions & des évenemens réels, & tels qu’ils sont arrivés, sans en arranger les parties selon les regles méthodiques, & sans s’élever plus haut que les causes naturelles ; tels sont les cinquante livres de Nonnus sur la vie& les exploits de Bacchus, la Pharsale de Lucain, la

Guerre punique de Silius Italicus, & quelques autres.

Les poëmes historiques ont des actions, des passions & des acteurs, aussi bien que les poëmes de fiction. Ils ont le droit de marquer vivement les traits, de les rendre hardis & lumineux. Les objets doivent être peints d’un coloris brillant, c’est une divinité qui est censée peindre. Elle voit tout sans obscurité, sans confusion, & son pinceau le rend de même. Il lui est aisé de remonter aux causes, d’en développer les ressorts ; quelquefois même elle s’éleve jusqu’aux causes surnaturelles. Tite-Live racontant la guerre punique, en a montré les évenemens dans le récit, & les causes politiques dans les discours qu’il fait tenir à ses acteurs ; mais il a dû rester toujours dans les bornes des connoissances naturelles, parce qu’il n’étoit qu’historien, Silius Italicus qui est poëte, raconte de même que le fait Tite-Live ; mais il peint par-tout ; il tâche toujours de montrer les objets eux-mêmes, au lieu que l’historien se contente souvent d’en parler & de les désigner.

Le poëme de la Guerre civile de Pétrone, peint les évenemens de l’histoire avec ce style mâle & nerveux que l’amour de la liberté fait aimer. M. le président Bouhier a traduit ce poëme en vers françois, & c’est ainsi qu’il faut rendre les Poëtes. (D. J.)

Poeme lyrique, s. m. (Littérat.) les Italiens ont appellé le poëme lyrique ou le spectacle en musique, Opera, & ce mot a été adopté en françois.

Tout art d’imitation est fondé sur un mensonge : ce mensonge est une espece d’hypothese établie & admise en vertu d’une convention tacite entre l’artiste & ses juges. Passez-moi ce premier mensonge, a dit l’artiste, & je vous mentirai avec tant de vérité que vous y serez trompés, malgré que vous en ayez. Le poëte dramatique, le peintre, le statuaire, le danseur ou pantomime, le comédien, tous ont une hypothese particuliere sous laquelle ils s’engagent de mentir, & qu’ils ne peuvent perdre de vûe un seul instant, sans nous ôter de ceste illusion qui rend notre imagination complice de leurs supercheries ; car ce n’est point la vérité, mais l’image de la vérité qu’ils nous promettent ; & ce qui fait le charme de leurs productions, n’est point la nature, mais l’imitation de la nature. Plus un artiste en approche dans l’hypothese qu’il a choisie, plus nous lui accordons de talent & de génie.

L’imitation de la nature par le chant a dû être une des premieres qui se soient offertes à l’imagination. Tout être vivant est sollicité par le sentiment de son existence à pousser en de certains momens des accens plus ou moins mélodieux, suivant la nature de ses organes : comment au milieu de tant de chanteurs l’homme seroit-il resté dans le silence ? La joie a vraissemblablement inspiré les premiers chants ; on a chanté d’abord sans paroles ; ensuite on a cherché à adapter au chant quelques paroles conformes au sentiment qu’il devoit exprimer ; le couplet & la chanson ont été ainsi la premiere musique.

Mais l’homme de génie ne se borna pas long-tems à ces chansons, enfans de la simple nature ; il conçut un projet plus noble & plus hardi, celui de faire du chant un instrument d’imitation. Il s’apperçut bientôt que nous élevons notre voix, & que nous mettons dans nos discours plus de force & de mélodie, à mesure que notre ame sort de son assiette ordinaire. En étudiant les hommes dans différentes situations, il les entendit chanter réellement dans toutes les occasions importantes de la vie ; il vit encore que chaque passion, chaque affection de l’ame avoit son accent, ses inflexions, sa mélodie & son chant propres.

De cette découverte naquit la musique imitative & l’art du chant qui devint une sorte de poésie, une