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La travée du pont de charpente qui auroit 36 piés de long ou d’ouverture d’une palée à l’autre, & ce seroit une des plus grandes travées que l’on fait dans l’usage de construire, peseroit pour une partie de 4 piés & demi de largeur qu’auroit à porter un pieu d’entre ceux qui seroient espacés à cette distance, à-peu-près 41 milliers, compris le pavé & le sable du dessus ; il resteroit à ce pieu une force excédente de 32458 livres, pour résister d’une part aux voitures chargées, dans le cas même où leurs essieux viendroient à se casser, & pour compenser d’autre part la diminution de force sur les pieux qui auront été chassés obliquement ; car on sait que la force des pieces ainsi inclinées, est à celle des pieux qui sont posés debout, comme les co-sinus de l’angle que forment la direction de la charge avec la piece inclinée est au sinus total.

Il est bon de remarquer que les nœuds & de certains vices inévitables sur la qualité des bois doivent en diminuer encore la force ; mais cela pourra se trouver compensé en rapprochant les liernes & les moises jusqu’à six piés de distance entr’elles, ainsi que l’on est assez dans l’usage de le faire au-dessus des basses eaux ; car pour ce calcul on ne doit compter la longueur des pieux que par la distance qui se trouve d’une moise à l’autre. Un pilot de 12 piés & 9 pouces de gros que l’on supposera excéder de 3 piés le dessus du terrein, pourroit porter 111018 livres ou environ moitié plus que le précédent, ce qui devient assez bien proportionné à cause du plus grand fardeau que les pilots sont destinés à porter ; on n’a pareillement fait le calcul du pilot que pour 3 piés de longueur ; la partie qui a pris fiche & qui est entretenue par le terrein, ne pouvant plier, elle ne doit pas entrer en considération sur la diminution de force qu’occasionne la longueur des pieces.

En supposant les pilots espacés de 4 piés de milieu en milieu, & la maçonnerie du poids de 160 livres, le pié cube, ils pourroient porter un mur de près de 47 piés de hauteur ; ce qui viendroit assez bien à ce que donne l’expérience par rapport à la construction des ponts de maçonnerie de moyenne grandeur.

Si l’on vouloit faire porter un plus grand fardeau sans changer un certain espacement convenu pour les pieux ou les pilots, il faudroit augmenter leur grosseur en raison sous-triplée des poids ; ainsi pour une charge octuple, par exemple, il suffiroit de doubler leur diametre, & ce au lieu d’augmenter leur superficie dans la raison du poids dont ils devront être chargés, comme il sembleroit, à la premiere inspection, que cela devroit être pratiqué.

Cette regle que donne l’expérience est aussi conforme à ce qui arrive pour les bois inclinés ou posés horisontalement, leur résistance étant en raison du quarré de leur hauteur ; ainsi dans l’un & l’autre cas on voit que pour des pieces qui auroient même longueur, & dont la grosseur de l’une seroit double de celle de l’autre, la quantité du bois employé dans la plus grosse piece ne seroit que quadruple, lorsque sa force pour porter un fardeau de toute sorte de sens seroit octuple ; d’où il suit qu’il y aura de l’économie à employer par préférence des grosses pieces, lorsque leur prix augmente en moindre raison que la superficie de ces pieces prises dans le sens de leur grosseur.

On n’a parlé jusqu’à présent que des pieux ou des pilots de chêne ; mais on peut employer d’autre bois plus ou moins forts ; c’est à quoi il faudra avoir égard dans le calcul. Pour cet effet on va donner le rapport de la force de différentes especes de bois d’après les expériences qui en ont été faites pour les rompre, ces pieux étant chargés sur leur bout :

Le chêne 12 Saule 9
Sapin 9 Frêne 7
Peuplier 7 L’aune 7

Essais de Physique de Musschembroeck, pag. 357.

On voit par ces expériences que le bois de chêne est le plus fort, que le sapin l’est moins, quoique pour porter, étant chargé dans une position horisontale, il soit plus fort à-peu-près d’un cinquieme que le chêne, suivant l’expérience de M. Parent, Mémoire de 1707 ; le frêne qui est aussi plus dur que le sapin, & qui pourroit porter un plus grand poids que l’on y suspendroit étant placé horisontalement, se trouve cependant moins fort pour porter dans la position verticale : cela peut provenir de ce que le fil du bois de frêne est moins droit que celui du bois de sapin.

Les calculs que l’on vient de donner sur la force des pieux & des pilots pour déterminer leur espacement entr’eux, paroissent assez bien convenir aux applications qu’on en a faites ; mais l’on ne doit pas toujours s’en rapporter au calcul dans un genre comme celui-ci où l’on manque d’expériences faites assez en grand sur la force des bois chargés debout, & où de certaines considérations physiques, & encore peu connues, pourroient induire à erreur ; il faut donc consulter en même tems, comme on voit, l’expérience de ce qui se pratique avec le plus de succès.

On est dans l’usage d’espacer les pieux des ponts de bois depuis 4 jusqu’à 5 piés, & les pilots de fondation depuis 3 jusqu’à 4 piés, & quelquefois quatre & demi, le tout de milieu en milieu. M. Bultet, dans son traité d’Architecture, est d’avis que l’on doit espacer les pilots, tant pleins que vuides, c’est-à-dire de deux piés en deux piés, lorsqu’ils auront un pié de gros ; ainsi il en entreroit 16 dans une toise quarrée isolée, & ce nombre se trouvera réduit à 9 lorsque les pilots de bordage seront rendus communs avec les parties environnantes.

On trouve dans d’autres auteurs, traité des Ponts par M. Gautier, pag. 68. qui avoit acquis de la réputation pour ce genre de construction, qu’il faut mettre environ 18 à 20 pilots dans la toise quarrée des fondations.

Ce qui se pratique dans les plus grands ouvrages fait connoître qu’il suffit d’espacer ces pilots à 3 piés pour le plus près de milieu en milieu, il n’en entrera pour lors que 9 dans le premier cas ci-devant cité & seulement 4 dans le second, ce qui est bien suffisant, au lieu de 18 ou 20 proposés ci-dessus.

Battage ou enfoncement des pieux. Les pieux & les pilots sur-tout doivent être enfoncés jusqu’au soc ou tuf, & autre terrein assez ferme & solide pour porter le fardeau dont on aura à les charger, sans jamais pouvoir s’enfoncer davantage sous ce fardeau ; il faut par conséquent pénetrer les sables & les terres de peu de consistance, & qui seroient d’ailleurs susceptibles d’être affouillés par le courant de l’eau.

On doit pour cet effet commencer par reconnoître les différentes couches de terrein & leur épaisseur, au moyen d’une sonde de fer d’environ 2 pouces de grosseur, battue & chassée au refus jusque sur le roc ou terrein solide, afin de savoir la longueur & grosseur que l’on aura à donner aux pieux ou aux pilots pour chaque endroit où il conviendra d’en battre.

On se sert pour battre les pilots d’une machine que Vitruve, Philander, Baldus & Perrault ont nommée mouton. Ce nom se donne plus particulierement à la piece de bois ou de fonte qui sert à battre le pilot, & l’équipage employé pour faire mouvoir le mouton se nomme le plus ordinairement sonnette.

On fait les moutons plus ou moins pesans, suivant la force des pieux, la fiche que l’on doit leur donner & la nature du terrein. Cela varie depuis 400 jusqu’à 1200 liv. & plus : on emploie ordinairement un mouton de 6 à 700 livres pour les pilotis ; il est tiré par