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doivent être battus à plomb, & les autres de chaque côté obliquement ; ou en décharge en sens opposé sur la longueur des palées, pour empêcher le deversement de l’édifice construit sur ces pieux.

On bat quelquefois des pieux plus petits de part & d’autre des palées pour les affermir à la hauteur des basses eaux, lorsque les principaux pieux ont beaucoup de longueur au-dessous de ces basses eaux au fond du lit de la riviere, ou bien aussi pour les préserver contre le choc latéral des glaces ; on les nomme pieux de basses palées ; ils doivent être battus à plomb, à quelques piés des grands pieux que l’on nomme aussi pieux d’étape ; & au droit du vuide ou intervale d’entre ces pieux, on les coëffe de chapeaux qui sont retenus entr’eux & contre les pieux d’étape avec des blochets moisés & assemblés à queue d’ironde sur les chapeaux.

Les pilots des batardeaux & ceux des crêches que l’on place quelquefois au pourtour des piles & au-devant des culées & murs pour plus de sûreté contre les affouillemens, doivent aussi être battus à plomb.

On est pareillement dans l’usage de battre les pilots de fondation à plomb ; cependant lorsque le terrein est de peu de consistance, il est à propos d’incliner un peu ceux du pourtour des paremens extérieurs vers le massif de la fondation ; par ce moyen on peut empêcher le deversement des pilotis qui ne pourroit avoir lieu sans le redressement de ceux qui seroient inclinés, à quoi le poids de la maçonnerie du dessus doit s’opposer ; ce sont les pilots des culées & murs de quai qui sont les plus exposés au déversement pour la poussée des terres du derriere.

Les pilots sont ordinairement présentés & posés par le petit bout ; ils entrent, dit-on, plus aisément dans le sens, & sont mieux battus au refus, ce qui est le but essentiel que l’on doit se proposer pour les ouvrages de maçonnerie, à fonder à cause de leur poids beaucoup plus considérable pour l’ordinaire que des édifices que l’on établit sur des pieux au-dessus des grandes eaux : cependant des expériences faites avec soin nous ont fait connoître que les pilots ferrés & battus le gros bout en bas, comparés avec ceux de même longueur & grosseur battus de sens contraire dans le même terrein, & avec le même équipage, étoient d’abord entrés avec plus de difficulté, mais toujours assez également, & qu’ils sont parvenus plûtôt d’environ un quart de tems au refus du mouton de 510 livres de pesanteur, à la même profondeur de 19 & 20 piés ; ce qui paroît devoir provenir de ce que le frottement qu’éprouvent ces derniers pilots, est à peu près égal, lorsqu’ils augmentent toujours, à ceux qui sont chassés le petit bout en bas.

On croit cependant qu’il convient de s’en tenir à l’usage ordinaire de battre les pilots le petit bout en bas ; cette disposition en plaçant la tête directement sous le fardeau, doit les rendre plus forts & moins vacillans.

A l’égard des pieux, le bout par lequel il convient de les mettre en fiche dépend de la hauteur à laquelle les basses eaux & les glaces doivent arriver contre ces pieux.

Lorsque le milieu de la longueur du pieu devra sensiblement se trouver au-dessous des basses eaux, il conviendra de les mettre en fiche par le petit bout, comme les pilots, parce que sa partie la plus forte se trouvera au-dessus des basses eaux, où est celle qui seche & mouille alternativement, & qui est pour cette raison la plus exposée à être endommagée. C’est aussi dans cette partie supérieure que se fait le choc des glaces, toutes causes de destruction plus importantes que celles que les pieux peuvent éprouver

dans leur partie inférieure par le frottement seul de l’eau.

Si le milieu de la longueur des pieux devoit se trouver élevé à la hauteur des eaux moyennes, au lieu de celle des basses eaux, comme cela arrive assez ordinairement aux grands ponts de charpente, il conviendroit, pour la raison que l’on vient d’expliquer ci-devant, de les battre le gros bout en bas.

Les pieux des grands ponts fournissent à raison de leur longueur, un motif de plus pour les battre le gros bout en bas ; ils se trouvent pour lors comme l’arbre dans la position la plus naturelle & la plus forte près la racine, pour résister aux ébranlemens auxquels ils sont plus exposés par leur longueur.

On ne doit d’ailleurs point avoir égard à ce qui peut concerner une certaine situation que quelques physiciens prétendent devoir être préférable pour la conservation des bois, relativement à leur opinion, sur la circulation de la seve. On renvoie aux expériences de M. Hales pour en juger. Statique des végétaux, pag. 135.

Espacemens. L’espacement des pieux & celui des pilots dépend de leur grosseur, leur longueur, & du fardeau qu’ils doivent porter, en les supposant d’ailleurs d’une même espece & qualité de bois.

Suivant les expériences de Musschembroeck, Essais de Physique, pag. 356. les forces des pieces de bois rondes ou quarrées étant chargées sur leur bout, sont entr’elles comme les cubes de leur diametre ou grosseur pris directement, & le quarré de leur longueur pris réciproquement.

[1] En comptant le pié rhenant dont s’est servi Musschembroeck pour 11 pouces 7 lignes du pié de roi, & la livre pour 14 onces poids de marc, qu’il paroît par d’autres expériences avoir employé, on peut conclure qu’une piece de six pouces de gros en quarré, & six piés de long portera 23418 livres, le tout étant réduit aux mesures de Paris.

Cette résistance est pour le cas de l’équilibre ; comme il ne faut pas même que les bois soient exposés à plier sensiblement, on conçoit qu’il convient, dans le calcul que l’on en feroit, évaluer cette résistance au-dessous du résultat précédent.

On peut voir par les expériences de M. de Buffon, & citées dans les mémoires de l’académie des Sciences de 1741, sur la résistance des bois posés horisontalement, que plusieurs pieces de 14 piés & 5 pouces de gros qui ont été cassées sous un poids réduit de 5283 livres après avoir baissé de 10 pouces, avoient déja plié de 12 à 15 lignes au dixieme millier de la charge ; ce qui fait connoître que la résistance des pieces ainsi chargées ne doit être évaluée qu’au quart ou au tiers au plus de leur résistance absolue.

Nous manquons de pareilles expériences en grand pour les pieces qui sont posées debout ; mais comme elles sont bien moins sujettes à plier sous le fardeau dans ce sens, on croit qu’en réduisant à moitié leur résistance, ou le poids dont on peut les charger pour les rompre, elles ne seront pas exposées à plier sensiblement.

Dans ces expériences & remarques, on trouvera l’espacement qu’il faudra donner aux pieux & aux pilots en divisant le poids dont ils devront être chargés par la force de l’un de ceux que les circonstances pourront permettre d’employer.

On connoîtra, en faisant ce calcul, qu’un pieu de 36 piés de longueur & 16 pouces de grosseur réduite, qui auroit 27 piés au-dessus de la fiche & seroit moisé de 9 en 9 piés, pourroit porter 73458 livres, ayant réduit à moitié la force résultante du calcul par les raisons expliquées ci-devant.

  1. Pour appliquer l’expérience de Muschembroeck, à des pieces rondes, on a réduit dans les calculs qui suivent le bois rond en bois quarré, de même base en superficie.