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Aguans tenoient pour Omar, comme les Persans pour Ali ; & Maghmud chef des Aguans, mêloit les plus lâches superstitions aux plus détestables cruautés. Il mourut en démence en 1725, après avoir désolé la Perse.

Un nouvel usurpateur de la nation des Aguans, lui succéda. Il s’appelloit Aszrass, ou Archruff, ou Echeref ; car on lui donne tous ces noms. La désolation de la Perse redoubloit de tous côtés. Les Turcs l’inondoient du côté de la Géorgie, l’ancienne Colchide. Les Russes fondoient sur ses provinces, du nord à l’occident de la mer Caspienne, vers les portes de Derbent dans le Shirvan, qui étoit autrefois l’Ibérie & l’Albanie.

Un des fils de Scha-Husseim, nommé Thamas, échappé au massacre de la famille impériale, avoit encore des sujets fideles, qui se rassemblerent autour de sa personne vers Tauris. Les guerres civiles & les tems de malheur produisent toujours des hommes extraordinaires, qui eussent été ignorés dans des tems paisibles. Le fils du gouverneur d’un petit fort du Khorasan devint le protecteur du prince Thamas, & le soutien du trône, dont il fut ensuite l’usurpateur. Cet homme qui s’est placé au rang des plus grands conquérans, s’appelloit Nadir (Chah).

Nadir ne pouvant avoir le gouvernement de son pere, se mit à la tête d’une troupe de soldats, & se donna avec sa troupe au prince Thamas. A force d’ambition, de courage, & d’activité, il fut à la tête d’une armée. Il se fit appeller alors Thamas Kouli-Kan, le Kan esclave de Thamas. Mais l’esclave étoit le maître sous un prince aussi foible & aussi efféminé que son pere Husseim. Il reprit Ispahan & toute la Perse, poursuivit le nouveau roi Airaf jusqu’à Candahar, le vainquit, le prit prisonnier en 1729, & lui fit couper la tête après lui avoir arraché les yeux.

Kouli-Kan ayant ainsi rétabli le prince Thamas sur le trône de ses ayeux, & l’ayant mis en état d’être ingrat, voulut l’empêcher de l’être. Il l’enferma dans la capitale du Khorasan, & agissant toujours au nom de ce prince prisonnier, il alla faire la guerre au Turc, sachant bien qu’il ne pouvoit affermir sa puissance, que par la même voie qu’il l’avoit acquise. Il battit les Turcs à Erivan en 1736, reprit tout ce pays, & assura ses conquêtes en faisant la paix avec les Russes. Ce fut alors qu’il se fit déclarer roi de Perse, sous le nom de S’cha-Nadir. Il n’oublia pas l’ancienne coutume, de crever les yeux à ceux qui peuvent avoir droit du trône. Les mêmes armées qui avoient servi à désoler la Perse, servirent aussi à la rendre redoutable à ses voisins. Kouli-Kan mit les Turcs plusieurs fois en fuite. Il fit enfin avec eux une paix honorable, par laquelle ils rendirent tout ce qu’ils avoient jamais pris aux Persans, excepté Bagdat & son territoire.

Kouli-Kan, chargé de crimes & de gloire, alla conquérir l’Inde, par l’envie d’arracher au Mogol, tous ces trésors que les mogols avoient pris aux Indiens. Il avoit des intelligences à la cour du grand-mogol, & entr’autres deux des principaux seigneurs de l’empire, le premier visir, & le généralissime des troupes. Cette expédition lui réussit au-delà de ses espérances ; il se rendit maître de l’empire, & de la personne même de l’empereur en 1739.

Le grand-mogol Mahamad sembloit n’être venu à la tête de son armée, que pour étaler sa vaine grandeur, & pour la soumettre à des brigands aguerris. Il s’humilia devant Thamas Kouli-Kan, qui lui parla en maître, & le traita en sujet. Le vainqueur entra dans Delhi, ville qu’on nous représente plus grande & plus peuplée que Paris ou Londres. Il traînoit à sa suite ce riche & misérable empereur. Il l’enferma d’abord dans une tour, & se fit proclamer lui-même roi des Indes.

Quelques officiers mogols essayerent de profiter d’une nuit, où les Persans s’étoient livrés à la débauche, pour prendre les armes contre leurs vainqueurs. Thamas Kouli-Kan livra la ville au pillage ; presque tout fut mis à feu & à sang. Il emporta autant de trésors de Delhi, que les Espagnols en prirent à la conquête du Méxique. On compte que cette somme monta pour sa part à quatre-vingt-sept millions & demi sterling, & qu’il y en eut sept millions & demi sterling pour son armée. Ces richesses amassées par un brigandage de quatre siecles, ont été apportées en Perse par un autre brigandage, & n’ont pas empêché les Persans d’être long-tems les plus malheureux peuples de la terre. Elles y sont dispersées ou ensevelies pendant les guerres civiles, jusqu’au tems où quelque tyran les rassemblera.

Kouli-Kan en partant des Indes pour retourner en Perse, laissa le nom d’empereur à ce Mahamad qu’il avoit détrôné ; mais il laissa le gouvernement à un vice-roi qui avoit élevé le grand-mogol, & qui s’étoit rendu indépendant de lui. Il détacha trois royaumes de ce vaste empire, Cachemire, Caboul & Multan, pour les incorporer à la Perse, & imposa à l’Indoustan un tribut de quelques millions. L’indoustan fut alors gouverné par le vice-roi, & par un conseil que Thamas Kouli-Kan avoit établi. Le petit-fils d’Autang-Zel garda le titre de roi des rois, & ne fut plus qu’un fantôme.

Thamas Kouli-Kan arrivé chez lui, donna la régence de la Perse à son second fils Nesralla Mirza, recruta son armée, & marcha contre les tartares Eusbegs, pour les châtier des désordres qu’ils avoient commis dans le Khorasan, pendant qu’il étoit occupé dans l’Inde. Il traversa des déserts presque impraticables, & l’on crut qu’il y périroit infailliblement ; mais il revint quelques mois après, amenant quantité d’Eusbegs qui avoient pris parti dans son armée, & il soumit dans son passage plusieurs peuples inconnus même aux Persans.

Cependant l’année suivante, qui étoit en 1742, les Arabes se souleverent de toutes parts, & défirent totalement ses troupes. Obligé de faire la guerre par mer & par terre, & ne voulant pas toucher aux trésors immenses qu’il avoit apportés de l’Inde, il mit sur toute la Perse un nouvel impôt de sept cens mille tomans (quatorze millions d’écus.) En même tems il fit publier, qu’ayant reconnu la religion des Sunnis pour la seule véritable, il l’avoit embrassée, & qu’il désiroit que ses sujets suivissent son exemple. Il se prépara à attaquer les Turcs, & mit en marche une partie de ses troupes pour qu’elles se rendissent à Mosul, tandis que lui-même marcheroit à Vau, dans le dessein d’attaquer les Turcs par deux différens côtés, & de pousser ses conquêtes jusqu’à Constantinople ; mais le succès ne répondit point à ses espérances.

A peine s’étoit-il mis en marche, que les peuples de diverses provinces persanes se révolterent, ce qui l’obligea de retourner sur ses pas pour étouffer la rébellion. Mais le mécontentement étoit général ; le feu de la révolte gagnoit par-tout. A mesure que Nadir (ou si vous voulez, Thamas Kouli-Kan) l’éteignoit d’un côté, il s’allumoit d’un autre. Ne pouvant courir dans toutes les provinces révoltées, il fit la paix avec les Turcs en 1746.

Enfin s’étant rendu de plus en plus odieux aux Persans par ses cruautés envers ceux dont la fidélité lui étoit suspecte, il se forma contre lui une conspiration si générale, qu’ayant été obligé de se sauver d’Ispahan, & ayant cru être plus en sûreté dans son armée, ses propres troupes se souleverent, & le massacrerent dans son camp. Il fut assassiné par Ali-Kouli-Kan, son propre neveu, comme l’avoit été Myrr-Weis, le premier auteur de la révolution. Ainsi à