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comparant la briéveté du périple avec la longueur de l’expédition. Peut-être aussi ce périple d’Hannon traduit par un Grec, étoit-il l’abrégé fait par Hannon lui-même, d’un journal complet & circonstancié, que les principes exclusifs de la politique carthaginoise, ne lui permettoient pas de rendre public.

En effet, on ne trouve dans ce qui nous reste nul détail sur les différens objets du nouveau commerce dont cette entreprise ouvroit la route aux Carthaginois, & particulierement sur cet or, qu’ils alloient acheter pour des marchandises de peu de valeur ; articles sur lesquels le gouvernement ne pouvoit avoir trop de lumieres, & qu’Hannon n’avoit pas sans doute oubliés dans son récit. Mais on sait avec quelle jalousie ces républicains cachoient aux étrangers les sources de leur opulence ; ce fut toujours pour eux un des secrets de l’état, & les anciens nous ont transmis plus d’un exemple des précautions qu’ils prenoient, pour rendre impénétrable à leurs rivaux le voile dont ils cherchoient à se couvrir.

Pythéas, né à Marseille, vers le milieu ou la fin du quatrieme siecle, avant J. C. est célebre par ses connoissances astronomiques, & par ses voyages. Il partit du port de sa patrie, & voguant de cap en cap, il côtoya toute la partie orientale de l’Espagne, pour entrer dans le bras de la Méditerranée, qui baignant le midi de ce royaume, & le nord de l’Afrique, se joint à l’Océan par le détroit de Gibraltar.

Au sortir du détroit, il remonta vers le nord ; le long des côtes de la Lusitanie, & continuant de faire le tour de l’Espagne, il gagna les côtes de l’Aquitaine & de l’Armorique, qu’il doubla pour entrer dans le canal qu’on nomme aujourd’hui la Manche. Au-delà du canal, il suivit les côtes orientales de l’île Britannique ; & lorsqu’il fut à sa partie la plus septentrionale, poussant toujours vers le nord ; il s’avança en six journées de navigation, jusqu’à un pays que les Barbares nommoient Thulé, & où la durée du jour solsticial étoit de vingt-quatre heures ; ce qui suppose 66′ 30″ de latitude septentrionale. Ce pays est l’Islande, située entre les 65 & 67′ de latitude ; c’est Strabon qui nous fournit ce détail.

Le voyage au nord de l’île Britannique, n’est pas le seul qu’ait fait Pithéas ; il en entreprit un second vers le nord-est de l’Europe ; & suivant dans celui-ci, comme il avoit fait dans le premier, toute la côte occidentale de l’Océan, il entra par le canal de la Manche dans la mer du nord, & de celle-ci par le détroit du Sond dans la mer Baltique, dans laquelle il vogua jusqu’à l’embouchure d’un fleuve, auquel il donna le nom de Tanaïs, & qui fut le terme de ses courses.

Le fleuve Tanaïs de ce voyageur, étoit une des rivieres qui se jettent dans la mer Baltique ; peut-être la Vistule ou le Redaune, qui tombent dans ce fleuve auprès de Dantzig. La quantité de succin que l’on trouve sur leurs bords, rend cette conjecture assez vraissemblable. Le mot Tana ou Thènes entroit, suivant l’observation de Leibnitz, dans la composition des noms de la plûpart des grands fleuves du nord.

Pythéas composa en grec deux ouvrages, dans lesquels il exposoit ce qu’il avoit vû de remarquable. Le premier sous le titre de description de l’Océan, contenoit une relation de son voyage par mer depuis Gadés jusqu’à Thulé ; le second étoit la description de celui qu’il avoit fait le long des côtes de l’Océan, jusques dans la mer Baltique.

Ce second ouvrage est appellé période par un ancien scholiaste d’Apollonius de Rhodes, & périple dans l’abrégé d’Artémidore d’Ephèse ; ce qui pourroit faire croire que le voyage, dont il exposoit l’histoire, avoit été en partie par terre, en partie par mer. Nous n’avons plus que quelques citations de

ces écrits de Pythéas ; encore faut-il les prendre le plus souvent chez des auteurs prévenus contre lui.

Dans le tems que Pythéas alloit vers le septentrion pour reconnoître les îles qui fournissoient l’étain, & les contrées d’où l’on pouvoit tirer l’ambre jaune ; un autre Marseillois fut envoyé par ses compatriotes vers le midi, pour découvrir sur les côtes d’Afrique les pays d’où on tiroit la poudre d’or ; ce Marseillois nommé Euthymene, fit un voyage dans l’Océan du côté du Sud, dans lequel tomboit un fleuve considérable qui couloit vers l’occident, & dont les bords étoient peuplés de crocodiles.

Strabon a eu tort de te déchaîner en toutes occasions contre les observations de Pythéas dans ses voyages ; s’il avoit fait plus d’usage de son esprit & de son savoir, il auroit rendu plus de justice à ce célebre marseillois ; non que ses relations soient exemptes de fautes, comme on le reconnoît par le peu de fragmens qui nous en restent. Etranger dans les pays qu’il a décrits, il n’avoit eu ni le tems, ni la facilité de vérifier ce que lui disoient les habitans ; il vivoit dans un siecle rempli de préjugés sur les matieres physiques. Enfin, il étoit grec & voyageur ; que de sources de méprises, & peut-être de fictions !

Mais ces méprises que produit une ignorance qu’on ne peut pas même blâmer, ces fictions de détail que seme dans une relation l’amour du merveilleux, autorisent-elles à rejetter une foule de vérités, qui fait l’essentiel de l’ouvrage ? En remarquant ces fautes de quelque genre qu’elles fussent, en condamnant même avec sévérité celles qui méritoient de l’être, il falloit louer l’exactitude des observations de Pythéas, & faire sentir le mérite de ses voyages & de ses découvertes. Il falloit en un mot, le représenter comme un homme auquel on ne peut refuser l’honneur d’avoir établi le premier la distinction des climats, par la différente longueur des jours & des nuits, & frayé la route vers des contrées que l’on croyoit inhabitables. Toutes ces judicieuses réfléxions sont de M. de Bougainville ; il nous reste à parler d’Arrien & de son périple.

Cet historien & philosophe célebre, étoit de Nicomédie en Bithynie. Il fleurissoit du tems d’Adrien, & des deux Antonius ; son savoir & son éloquence lui firent donner le titre de nouveau Xenophon, & l’éleverent dans Rome à toutes les dignités, jusqu’au consulat. Il étoit gouverneur de Cappadoce l’an 134 de J. C. & nous avons de lui la relation d’un voyage qu’il fit autour du Pont-Euxin, & qu’il adressa à l’empereur Adrien.

Cet ouvrage connu sous le nom de periplus Ponti-Euxini, a paru en grec à Genève en 1577 ; M. Fabricius ne parle d’aucune édition de Genève ; il en cite une de 1577 de Lyon, in-fol. en grec & en latin, de la version d’Adrien Turnebe, procurée par Jean-Guillaume Auckius de Zurich, qui fit imprimer dans ce même volume le periplus maris Erythrai, avec le commentaire & les cartes d’Abraham Ortelius. La premiere édition en grec est de Bâle, chez Froben en 1533, in-4°. Sigismond Gelenius donna dans un volume, le periplus Ponti Euxini, le periplus maris Erythrœi, le voyage de Hannon, le traité de Plutarque, des Fleuves & des Montagnes, & l’abrégé de Strabon. Il y a d’autres éditions plus nouvelles, & entr’autres celle de M. Hudson en 1698, à Oxford, qui a donné les deux voyages, dans le premier tome de son recueil des anciens géographes Grecs, nommés les Petits, avec de savantes dissertations chronologiques de Dodwell, mais qui ne sont pas exemptes de préjugés.

Le periplus Ponti Euxini, ou navigation du Pont-Euxin, n’est que comme une lettre ou une relation adressée à l’empereur Adrien, par Arrien. Il commandoit alors à Trébizonde & aux environs, soit