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liens, on le prendroit pour arien. Dispute-t-il contre les Pélagiens, il se montre manichéen. Attaque-t-il les Manichéens, le voilà presque pélagien. Il ne dissimule point sa conduite, & reconnoît avoir dit bien des choses à la légere, & qui demanderoient la lime.

Je pense qu’on doit mettre dans cette classe son opinion que Sara pouvoit, en se servant du droit qu’elle avoit sur le corps de son mari, l’engager à prendre Agar pour femme. Il s’est encore trompé plus fortement, en décidant que par le droit divin tout appartient aux justes ou aux fideles, & que les infideles ne possedent rien légitimement.

Mais son opinion sur la persécution pour cause de religion, est d’autant plus inexcusable qu’il avoit été d’abord dans des sentimens de douceur & de charité. Il commença par l’esprit & finit par la chair. Il osa le premier établir l’intolérance civile, maxime contraire à l’Evangile, à toutes les lumieres du bon sens, à l’équité naturelle, à la charité, à la bonne politique. S’il eût vécu quelques années de plus, il auroit senti les mauvaises suites de son principe, & le tort qu’il avoit eu d’abandonner le véritable ; il auroit vû l’Arianisme triompher par les mêmes voies, dont il avoit aprouvé l’usage contre les Donatistes !

Léon I. saint, docteur de l’Eglise, monta sur le siege de Rome après Sixte III. le 10 Mai 440. Il s’attacha beaucoup à faire observer la discipline ecclésiastique, & mourut à Rome le 11 Novembre 461. Il nous reste de lui quantité de sermons & de lettres. La meilleure édition de ses œuvres est celle du pere Quesnel, à Lyon, en 1700, in-fol.

M. Dupin trouve que saint Léon n’est pas fort fertile sur les points de morale, qu’il les traite légérement, & d’une maniere qui n’est ni onctueuse, ni touchante. Il y a plus : sa morale glace d’effroi sur la maniere de traiter les hérétiques ; car oubliant tout principe d’humanité, il approuve sans détour l’effusion du sang. C’est à lui sur-tout qu’on auroit dû répéter le discours que Jesus-Christ tint à ses apôtres pour arrêter la fougue de leur zele : « vous ne savez de quel esprit vous êtes » !

Théodoret, évêque de Cyr en Syrie au cinquieme siecle, l’un des savans peres de l’Eglise, naquit en 386. Simple dans sa maison, il embellit sa patrie de deux grands ponts, de bains publics, de fontaines, & d’aqueducs. Il montra pendant quelque tems beaucoup d’attachement pour Jean d’Antioche & pour Nestorius, en faveur duquel il écrivit. Les uns croient qu’il mourut en 451, & d’autres reculent sa mort jusqu’à l’an 470. La meilleure édition de ses œuvres est celle du pere Sirmond, en grec & en latin, en 4 volumes in-fol. Le pere Garnier, jésuite, y joignit en 1684 un cinquieme volume, pour compléter toutes les œuvres de ce pere de l’Eglise.

Il est bien difficile de justifier l’approbation que donna Théodoret à l’action d’Abdas ou Abdaa, évêque de Suze ville de Perse, qui du tems de Théodose le jeune brûla un des temples où l’on adoroit le feu, & ne voulut point le rétablir. Le roi (nommé Isdeberge) en étant averti par les mages, envoya querir Abdas, & après l’avoir censuré avec beaucoup de douceur, il lui enjoignit de faire rebâtir le temple qu’il venoit de détruire, le menaçant, au cas qu’il y manquât, d’user d’une espece de représaille sur les églises des Chrétiens ; en effet cette menace fut exécutée sur le refus obstiné d’Abdas, qui aima mieux perdre la vie & exposer les Chrétiens à une infinité de maux, que d’obéir à un ordre si juste. Théodoret qui rapporte cette histoire admire le refus d’Abdas, ajoutant que c’eût été une aussi grande impiété de bâtir un temple au feu que de l’adorer.

Mais la décision de Théodoret n’est pas judicieuse, parce qu’il n’y a personne qui puisse se dispenser de cette loi de la religion naturelle : « il faut réparer par

restitution ou autrement, le dommage qu’on a fait à son prochain ». Abdas, simple particulier & sujet du roi de Perse, en brûlant le temple des mages, avoit ruiné le bien d’autrui, & un bien d’autant plus privilégié qu’il appartenoit à la religion dominante. D’ailleurs, il n’y avoit point de comparaison entre la construction d’un temple sans lequel les Perses n’auroient pas laissé d’être aussi idolâtres qu’auparavant, & la destruction de plusieurs églises chrétiennes. En vain répondroit-on que le temple qu’il auroit rebâti auroit servi à l’idolatrie, ce n’eût pas été lui qui l’auroit employé à cet usage.

Grégoire I. saint, surnommé le Grand, naquit à Rome d’une famille patricienne. Pelage II. l’envoya nonce à Constantinople pour demander du secours contre les Lombards, mais il ne réussit pas dans ses négociations. Sa nonciature étant finie par le décès de l’empereur Tibere qui mourut en 582, il revint à Rome, servit quelque tems de secrétaire au pape Pelage, & ensuite il fut élu pape lui-même par le clergé, par le sénat, & par le peuple romain, le 3 Septembre 590.

Il parut par sa conduite qu’on ne pouvoit pas choisir un homme qui fût plus digne de ce grand poste, car, outre qu’il étoit savant, & qu’il travailloit par lui-même à l’instruction de l’Eglise, soit en écrivant, soit en prêchant, il avoit l’art de ménager l’esprit des princes en faveur des intérêts temporels & spirituels de la religion, & nous verrons dans la suite qu’il poussa cet art trop loin.

Il entreprit la conversion des Anglois sous le regne d’Ethelrede, & en vint à bout fort heureusement par le secours de Berthe femme de ce prince, qui contribua extrèmement à la conversion du roi son époux, & à celle de ses sujets.

Le pere Maimbourg dit « que comme le diable se servit autrefois des artifices de trois impératrices, qui furent femmes l’une de Licinius, l’autre de Constantius, & la troisieme de Valens, pour établir l’hérésie arienne en orient : Dieu, pour renverser sur son ennemi ses machines, & le combattre de ses propres armes, se voulut aussi servir de trois illustres reines, Clotilde femme de Clovis, Ingonde épouse de saint Ermenigilde, & Theodelinde femme d’Agilulphe, pour sanctifier l’occident, en convertissant les Francs du paganisme, & en exterminant l’arianisme de l’Espagne & de l’Italie par la conversion des Visigots & des Lombards ».

Il y a beaucoup d’apparence que le zele que saint Grégoire témoigna contre l’ambition du patriarche de Constantinople étoit mal réglé. Mais il n’est pas certain qu’il ait fait détruire les beaux monumens de l’ancienne magnificence des Romains, afin d’empêcher que ceux qui venoient à Rome ne fissent plus d’attention aux arcs de triomphe, &c. qu’aux choses saintes du Christianisme. On doit porter le même jugement de l’accusation qu’on lui intente d’avoir fait brûler une infinité de livres payens, & nommément Tite-Live. Il est vrai cependant qu’il regarda l’étude de la Critique, de la Littérature & de l’Antiquité, comme indigne non-seulement d’un ministre de l’Evangile, mais encore d’un simple chrétien ; c’est ce qu’il déclare dans une lettre à Didier, archevêque de Vienne.

Sur la fin de son pontificat, quoiqu’il eût sur les bras toutes les affaires chrétiennes, il composa son antiphonaire, & s’appliqua principalement à régler l’office & le chant de l’Eglise. Il mourut le 10 Mars 604.

S’il étoit vrai qu’après sa mort on eût brûlé une partie de ses écrits, on pourroit en conclure que la gloire de ce pontife, aussi-bien que celle de quelques autres anciens peres, ressemble aux fleuves, qui de très-petits qu’ils sont à leur source, deviennent très-grands lorsqu’ils en sont fort éloignés. Il est certain