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ou sur de pures subtilités, ou sur de vaines allégories, ou sur de fausses explications de passages de l’Ecriture. On lui reproche d’avoir cherché à étaler une érudition mal-placée ; d’avoir jetté sur le papier sans d’assez mûres réflexions tout ce qui lui venoit dans l’esprit ; enfin d’avoir débité quelquefois des maximes ou visiblement fausses ou fort outrées. Il est vrai qu’en condamnant séverement les mœurs de son siecle, il distingue rarement l’usage légitime des choses indifférentes de leur nature d’avec l’abus le plus criminel ; mais il seroit aisé de défendre l’opinion qu’il avoit sur le salut des Païens, regardant la Philosophie comme le moyen que Dieu leur avoit donné pour y parvenir.

Tertullien (Quintus Septimius Floreus Tertullianus), prêtre de Carthage & l’un des hommes célebres que l’Afrique ait produits, étoit fils d’un centenier dans la milice. Il se fit chrétien, & se maria après son baptême : il prit ensuite la prêtrise, & alla à Rome. Il se sépara de l’Eglise catholique au commencement du iij. siecle, & se fit montaniste, se laissant séduire par des révélations ridicules. Il parvint à une extrème vieillesse, & mourut sous le regne d’Antonin Caracalla vers l’an 216. Les meilleures éditions de ses œuvres sont celles de Rigault & de Venise en 1746, in-folio.

On remarque dans ses écrits un génie austere, une imagination allumée, un style énergique & impétueux, mais dur & obscur. Ses plus grands admirateurs conviennent que les raisonnemens de Tertullien n’ont pas toute la justesse & la solidité que demanderoient les matieres importantes qu’il discute. Le P. Ceillier & M. Dupin avouent que Tertullien a débité, étant encore dans le sein de l’Eglise, des regles de morale excessivement outrées, & qu’il a fait paroître des ses premiers ouvrages beaucoup de penchant aux sentimens les plus rigides. En effet, qu’on lise les écrits de ce pere de l’Eglise avant qu’il donnât dans le montanisme, tout y respire ce tour d’esprit austere, qui ne sait pas garder un juste milieu dans ses jugemens ; cette imagination africaine qui grossit les objets, cette impétuosité qui ne laisse pas le tems de les considérer avec attention.

Dans le traité de l’idolâtrie qu’il écrivit avant d’être montaniste, il condamne tout métier, toute profession qui regardoit les choses dont les païens pouvoient faire quelque abus par des actes d’idolatrie, quand même on n’auroit pas d’autres moyens pour subsister. Il déclame contre toutes sortes de couronnes, & principalement contre celles de laurier, comme ayant du rapport à l’idolâtrie. Il blâme la recherche & l’exercice des emplois publics, il enseigne qu’il est absolument défendu aux Chrétiens de juger de la vie & de l’honneur des homme ; ce qui, dit M. Nicole, est manifestement contre la doctrine & contre la pratique de l’Eglise. Il se déclare vivement contre les secondes noces, sur-tout dans ses livres de la monogamie. Enfin il regarde comme incompatible la qualité d’empereur & celle de chrétien.

Origene, l’un des plus savans écrivains ecclésiastiques de la primitive Eglise au iij. siecle, naquit à Alexandrie l’an 185 de Jesus-Christ ; il eut pour maître S. Clément d’Alexandrie, & lui succéda dans la place de catéchiste. Il mourut à Tyr l’an 254 à 69 ans. Ses ouvrages sont fort connus : les principaux qui nous restent sont, 1° un traité contre Celse, dont Spencer a donné une bonne édition en grec & en latin, avec des notes ; 2° des homélies avec des commentaires sur l’Ecriture-sainte ; 3° la philocalie ; 4° des fragmens de ses héxaples, recueillis par le P. Montfaucon, en deux volumes in-folio ; 5° le livre des principes, dont nous n’avons plus qu’une version latine. La plus ample édition de toutes les

œuvres d’Origene est celle du P. de la Rue, bénédictin, en grec & en latin.

Son traité de la priere qui n’avoit jamais été imprimé, le fut en grec & en latin à Oxford l’an 1686. Sa réponse au philosophe Celsus, qui est un des meilleurs livres de ce célebre écrivain, a été publié en françois en 1700 : c’est M. Bouhereau qui est l’auteur de cette version.

M. Dupin a discuté fort au-long tout ce qui regarde la vie & les ouvrages de ce pere de l’Eglise. Il n’est pas le seul, il faut lui joindre 1° M. de la Motthele-Vayer, vie de Tertulien & d’Origene, Paris 1675, in-8° ; 2° l’histoire des mouvemens arrivé, dans l’Eglise au sujet d’Origene & de sa doctrine. Le P. Doucin jésuite est l’auteur de ce dernier ouvrage imprimé à Paris en 1700 ; il contient aussi un abrégé de la vie d’Origene.

On ne peut le lire, dit Bayle, sans déplorer le sort bisarre de l’esprit humain. Les mœurs d’Origene étoient d’une pureté admirable ; son zele pour l’Evangile étoit très-ardent ; affamé du martyr, il soutint avec une constance incroyable les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui ; tourmens d’autant plus insupportables qu’on les faisoit durer long-tems, en évitant avec soin qu’il n’expirât dans la torture. Son esprit fut grand, beau, sublime ; son savoir & sa lecture très-vaste, & néanmoins il tomba dans un prodigieux nombre d’hérésies, dont il n’y en a aucune qui ne soit monstrueuse ; ce sont les termes du P. Doucin ; & apparemment il n’y tomba qu’à cause qu’il avoit tâché de sauver de l’insulte des païens les vérités du Christianisme, & de les rendre même croyables aux philosophes, ce qu’il desiroit avec une ardeur extrème, ne doutant pas qu’avec eux il ne convertit l’univers. Tant de vertus, tant de beaux talens, un motif si plein de zele, n’ont pu le garantir des erreurs dans les matieres de la foi !

On ne s’imagine pas ordinairement que les erreurs de ce rare génie ayent quelque liaison, elles semblent être la production d’un esprit vague & irrégulier ; cependant il paroît, après un peu d’examen, qu’elles coulent d’une même source, & que ce sont des faussetés de systèmes qui forment une chaîne de conséquences. C’est dans ses trois livres des principes qu’il a développé & établi ses hérésies, tellement liées qu’on les voit toutes naître d’un même principe.

L’Origénisme charnel ne dura guere, & fut plus aisé à détruire que l’Origénisme spirituel qui étoit une maniere de Quiétisme. Le charnel fut abhorré de tout le monde, ceux-même qui en étoient infectés n’oserent produire aux yeux des hommes une doctrine de cette espece ; mais l’Origénisme spirituel dont les sectateurs, selon S. Epiphane, étoient irreprochables du côté de la pureté, ne put être éteinte qu’après plus de deux siecles, & ce n’a pas été pour toujours.

Cyprien (Saint), natif de Carthage, y enseigna la rhétorique avant que d’être chrétien. Après sa conversion, arrivée en 246, il prit le nom de Cécile, & fut déclaré évêque de Carthage en 248. Il eut la tête tranchée dans la persécution de Valérien en 258. Les meilleures éditions de ses œuvres sont celles de Pamelius en 1568, de Rigault en 1648, d’Oxford en 1682, & finalement celle de M. Baluze, avec une préface de dom Prudent Maran bénédictin. M. Lambert Ponce a publié les œuvres de S. Cyprien en françois, & dom Gervais ancien abbé de la Trappe a écrit sa vie.

La seconde naissance du nouvel homme dans ce pere de l’Eglise hâta ses progrès dans la piété, sans le mettre à l’abri des erreurs humaines. Il se trompa dans son opinion de la défense de soi-même en la condamnant même pour sauver sa vie contre les attaques d’un injuste aggresseur. Il outra les idées de