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qu’à l’autorité divine suppose toujours le discernement de la droite raison, afin de ne point prendre pour elle ce qui n’en a que l’apparence, & d’éviter de rendre à l’erreur un hommage qui n’est dû qu’à la vérité éternelle.

Justin martyr (Saint) étoit de Naplouse en Palestine. Il fit honneur au Christianisme par sa science & par la pureté de ses mœurs, & confirma sa doctrine par sa constance dans la foi dont il fut martyr l’an 167. Il nous reste de lui deux apologies pour les Chrétiens, un dialogue avec le juif Tryphon, deux écrits adressés aux Gentils, & un traité de l’unité de Dieu, &c. Les meilleures éditions sont celles de Robert Etienne en 1551 & 1571, en grec ; celle de Commelin en 1593, en grec & en latin ; celle de Morel en 1656, greque & latine ; & enfin celle de dom Prudent Maran, bénédictin, en 1742, in fol.

Il paroît que S. Justin a eu le premier sur le célibat & la continence des idées telles qu’elles lui ont fait regarder le mariage comme ayant par lui-même quelque chose d’impur ; du-moins ses expressions à ce sujet donnerent lieu depuis à Tatien son disciple de traiter nettement le mariage de débauche & de fornication réelle.

Irénée (Saint), célebre évêque de Lyon, né dans la Grece vers l’an 120 de Jesus-Christ, fut disciple de Papias & de S. Polycarpe. Il devint le chef des églises des Gaules, & les gouverna avec zele jusqu’à l’an 202, qu’il finit ses jours sous l’empire de Severe. Il avoit écrit en grec plusieurs ouvrages ; il ne reste qu’une version latine assez barbare des cinq livres qu’il composa contre les hérétiques ; quelques fragmens grecs rapportés par divers auteurs, & une lettre du pape Victor sur le jour de la célébration de la Pâque qu’on trouve dans Eusebe ; les meilleures éditions de ses œuvres sont celles d’Erasme en 1526, de Grabe en 1702, & du P. Massuet en 1710, mais il y faut joindre les curieuses dissertations que Dodwela composées sur les écrits de S. Irénée pour en faciliter l’intelligence, Dissertationes in Irenæum, imprimées à Oxford en 1689, in-8°. Ces dissertations ne sont pourtant que les prolégomenes d’un ouvrage étendu que ce savant projettoit de publier sur la nature des hérésies qui se formerent dans l’Eglise primitive.

Photius prétend que ce pere a corrompu, par des raisonnemens étranges & peu solides, la simplicité & l’exacte vérité des dogmes de l’Eglise. Nos critiques desireroient qu’il eût traité les vérités de la religion avec toute la gravité qui leur convient, & qu’il eut communément appuyé les dogmes de notre foi sur des fondemens plus solides que ceux dont il fait usage. Ses livres contre les hérésies ne sont pas toujours remplis de raisonnemens vrais & concluans. S. Irénée embrassa l’opinion des Millénaires : il avoit sur le tems de la mort de Jesus-Christ un sentiment tout particulier, prétendant que notre Seigneur étoit âgé de plus de 40 ans quand il commença de prêcher l’Evangile. Il a posé une maxime qui a été adoptée par plusieurs autres peres ; c’est que toutes les fois que l’Ecriture sainte rapporte quelque action des patriarches ou des prophetes sans la blâmer, quelque mauvaise qu’elle nous paroisse d’ailleurs, il ne faut pas la condamner, mais y chercher un type. Enfin il a jetté les semences d’une opinion dangereuse, soutenue dans la suite ouvertement par S. Augustin, c’est que tout appartient aux fideles & aux justes.

Athénagore, philosophe chrétien d’Athènes, se distingua dans le ij. siecle par son zele pour la foi & par sa science. On a de lui une apologie pour les Chrétiens, adressée à Marc-Aurele Antonin & à Lucius-Aurele Commode l’an 179, si nous en croyons Baronius, ou l’an 168, si nous en croyons Dodwel. Son autre ouvrage est sur la résurrection des morts. Ces deux écrits se trouvent dans la bibliotheque des

peres, & à la fin des éditions de S. Justin. Les Œuvres d’Athénagore ont été imprimés à Oxford en 1682, par les soins de l’évêque Fell, en grec & en latin, avec des notes : on les réimprima à Leipsick en 1684 & 1686. Il faut y joindre la dissertation du P. Nourry, qui est la troisieme du second tome de son Apparatus ad bibl. veter. patrum.

Athénagoras n’est pas bien purgé de toute hétérodoxie, selon l’opinion de plusieurs critiques. Ils trouvent qu’il est rempli d’idées platoniciennes. Il abandonne la providence particuliere de toutes choses aux, anges que Dieu a établis sur chacune, & laisse à l’Etre suprème une providence générale ; cette opinion vient en effet des principes de la philosophie de Platon. Il admet aussi deux sortes de mauvais anges : l’une comprend ceux que Dieu créa, & qui s’acquitterent mal de la commission qu’ils avoient reçue de gouverner la matiere ; l’autre renferme ceux qu’ils engendrerent par le commerce qu’ils eurent avec les femmes. Athénagore n’a pas bien appliqué le passage de l’Evangile qui blâme ceux qui répudient une femme pour en épouser une autre ; car il s’en sert à condamner les secondes nôces, qu’il traite sans détour d’honnête adultere. Je ne dirai rien des fausses idées qu’on lui reproche au sujet de la Trinité ; on peut lire sur cet article les originianæ de M. Huet, l. II. c. iij. Quant au style de ce philosophe chrétien, il est pur & bien attique, mais un peu trop chargé d’hyperbates & de parenthèses.

On a quelque raison d’être surpris que ce pere de l’Eglise ait été inconnu à Eusebe, à S. Jérôme, & à presque tous les autres écrivains ecclésiastiques ; car on ne le trouve cité que dans un ouvrage d’Epiphanes.

M. Huet parle amplement d’un roman qui a paru sous le nom d’Athénagoras, & qu’il conjecture être de Philander ; ce roman dont on ne connoît qu’une traduction françoise est intitulé : « Du vrai & parfait amour ; écrit en grec par Athénagoras, philosophe athénien, contenant les amours honnêtes de Théogone & de Charide, de Phérécidès & de Mélangénie. Paris 1599 & 1612, in-12».

Clément d’Alexandrie (Saint), après avoir étudié dans la Grece, en Italie & en Orient, renonça aux erreurs du Paganisme, & fut prêtre & catéchiste d’Alexandrie en 190. Il mourut vers l’an 220 : il nous reste de lui plusieurs ouvrages en grec, qui ont été traduits en latin : ils sont remplis de beaucoup d’érudition. Les principaux sont les stromates, l’exhortation aux gentils, & le pédagogue. On a perdu un de ses ouvrages divisé en huit livres, & intitulé, les hypotyposes ; Hervet a traduit le premier ces traités de grec en latin. Heinsius en a donné une édition à Leyde en 1616, & ensuite en 1629, in-fol. C’est la meilleure de toutes. L’edition de Paris en 1641 est moins correcte & moins belle.

Tous les critiques ne sont pas également remplis d’admiration pour S. Clement d’Alexandrie. M. Dupin étoit d’avis de retrancher tous les endroits du pédagogue, où il est parlé de péchés contraires à la chasteté. M. Buddeus observe, d’après lui, que ce pere a transporté dans le Christianisme plusieurs choses des dogmes & des expressions de la philosophie stoïcienne. Il représente son gnostique (ou l’homme chrétien) comme un homme entierement exempt de passions. On desireroit de l’ordre dans les livres des stromates, ainsi que dans l’ouvrage du pédagogue : le style en est aussi trop négligé, & manque d’une gravité convenable. S. Clement fait profession de n’y point garder de méthode ; cependant en matiere de morale, la liaison des pensées & l’ordre des sujets qu’on traite ne sont pas des choses indifférentes.

On trouve encore que les raisonnemens de ce pere de l’Eglise sont d’ordinaire vagues, obscurs, fondés