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dinaires, qui paroissent sortis de la regle. Quand Despréaux osa écrire : le chagrin monte en croupe & galope avec lui, il eut besoin d’être rassuré par des exemples, & par l’approbation de ses amis. Qu’on se représente le chagrin assis derriere le cavalier, la métaphore est hardie ; mais qu’on soutienne la pensée, en faisant galoper ce personnage allégorique, c’étoit s’exposer à la censure.

On sent assez ce que c’est que la pensée brillante, son éclat vient le plus souvent du choc des idées :

Qu’à son gré désormais la Fortune me joue,
On me verra dormir au branle de sa roue.

« Les secousses de la fortune renversent les empires les plus affermis, & elles ne font que bercer le philosophe ».

L’idée riche est celle qui présente à-la-fois non-seulement l’objet, mais la maniere d’être de l’objet, mais d’autres objets voisins, pour faire, par la réunion des idées, une plus grande impression. Prends ta foudre : le seul mot foudre nous peint un dieu irrité, qui va attaquer son ennemi & le réduire en poudre.

Et la scene françoise est en proie à Pradon.

Quel homme que ce Pradon, ou plutôt quel animal féroce, qui déchire impitoyablement la scene francoise ! elle expire sous ses coups.

La pensée fine ne représente l’objet qu’en partie, pour laisser le reste à deviner. On en voit l’exemple dans cette épigramme de M. de Maucroix.

Ami, je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu’on me propose ;
Mais toutefois ne pressons rien :
Prendre femme est étrange chose,
On doit y penser mûrement.
Gens sages, en qui je me fie,
M’ont dit que c’est fait prudemment
Que d’y penser toute sa vie.

Quelquefois elle représente un objet pour un autre objet. Celui qu’on veut présenter se cache derriere l’autre : comme quand on offre l’idée d’un livre chez l’épicier.

La pensée poëtique est celle qui n’est d’usage que dans la Poésie, parce qu’en prose elle auroit trop d’éclat & trop d’appareil.

La pensée naïve sort d’elle-même du sujet, & vient se présenter à l’esprit sans être demandée.

Un boucher moribond voyant sa femme en pleurs,
Lui dit : ma femme, si je meurs,
Comme en notre métier un homme est nécessaire,
Jacques, notre garçon, feroit bien ton affaire ;
C’est un fort bon enfant, sage, & que tu connois ;
Epouse-le, crois-moi, tu ne saurois mieux faire.
Hélas, dit-elle, j’y songeois.

Il y a des pensées qui se caractérisent par la nature même de l’objet. On les appelle pensées nobles, grandes, sublimes, gracieuses, tristes, &c. selon que leur objet est noble, grand, &c.

Il y a encore une autre espece de pensées, qui en porte le nom par excellence, sans être désignée par aucune qualité qui leur soit propre. Ce sont ordinairement des réflexions de l’auteur même, enchâssées avec art dans le sujet qu’il traite. Quelquefois c’est une maxime de morale, de politique. Rien ne touche les peuples comme la bonté : d’autres fois c’est une image vive ; trois guerriers (les Horaces) portoient en eux tout le courage des Romains.

A toutes ces especes de pensées répondent autant de sortes d’expressions. De même qu’il y a des pensées communes, & des pensées accompagnées d’agrément, il y a aussi des termes propres & sans agrément marqué, & des termes empruntés, qui ont la plûpart un

caractere de vivacité, de richesse, &c. pour représenter les pensées qui sont dans le même genre ; car l’expression, pour être juste, doit être ordinairement dans le même goût que la pensée.

Je dis ordinairement, parce qu’il peut se faire qu’il y ait dans l’expression un caractere qui ne se trouve point dans la pensée. Par exemple, l’expression peut être fine, sans que la pensée le soit. Quand Hyppolite dit en parlant d’Aricie, si je la haïssois, je ne la fuirois pas, la pensés n’est pas fine, mais l’expression l’est, parce qu’elle n’exprime la pensée qu’à-demi. De même l’expression peut être hardie, sans que la pensée le soit, & la pensée peut l’être sans l’expression : il en est de même de la noblesse, & de presque toutes les autres qualités.

Ce qui produit entr’elles cette différence, est la diversité des regles de la nature, & de celles de l’art en ce point. Il seroit naturel que l’expression eût le même caractere que la pensée, mais l’art a ses raisons pour en user autrement. Quelquefois par la force de l’expression, on donne du corps à une idée foible ; quelquefois par la douceur de l’une on tempere la dureté de l’autre : un récit est long, on l’abrege par la richesse des expressions : un objet est vil, on le couvre, on l’habille de maniere à le rendre décent : il en est ainsi des autres cas.

Enfin, si quelqu’un me demandoit quel est le choix qu’on doit faire des pensées dans l’élocution, je lui repondrois que c’est tout ensemble le génie & le gout qui peuvent l’en instruire. L’un lui suggerera les belles pensées, l’autre les placera dans leur ordre ; parce que le goût & le jugement n’adoptent que ce qui peut prendre la teinte du sujet, & faire un même corps avec le reste. Le Chevalier de Jaucourt.

Pensée, (Critiq. sacrée.) ce terme ne signifie pas toujours la simple opération de l’esprit qui pense ; l’Ecriture l’emploie quelquefois pour un dessein, un projet, une entreprise : in illâ die peribunt omnes cogitationes eorum ; Ps. cxlv. 4. leur mort dans ce jour même rompra tous leurs projets. Nemo avertere potest cogitationes ejus ; Job, xxiij. 13. personne ne peut empêcher les desseins de Dieu. Ce mot veut dire encore le soin qu’on a de quelqu’un : cogitatio illorum apud Altissimum ; Sap. v. 16. le Très-Haut a soin des justes. Il se prend pour doute, scrupule : quid cogitationes ascendunt in corda vestra ; Luc, xxiv. 28. Enfin, il se prend pour raisonnement : evanuerunt in cogitationibus suis, dit saint Paul aux Romains, j. xxj. en parlant des philosophes payens. Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnemens, c’est-à-dire, qu’ils ont été entrainés à l’idolâtrie par de faux raisonnemens ; car idole dans les Septante est appellée μάταιον, & saint Paul dit ἐματαιώθησαν. (D. J.)

Pensée, en Peinture, est une légere esquisse de ce qui s’est présenté à l’imagination, sur un sujet qu’on se propose d’exécuter. Ce terme differe de celui d’esquisse, en ce que la pensée n’est jamais une chose digérée, au lieu qu’une esquisse, quoique projet d’ouvrage, ne differe quelquefois de la perfection de l’ouvrage même que parce qu’elle est en plus petit volume ; pensée n’a pas la même signification que croquis. On dit j’ai fait un croquis de la pensée de tel, mais on ne dit point j’ai fait une pensée de la pensée de tel.

Pensée, herba Trinitatis, (Jardinage.) est une petite fleur qui, comme la violette, a trois couleurs. Ses tiges rampantes, garnies de feuilles presque rondes, se partagent en rameaux qui produisent des fleurs composées de cinq feuilles, lesquelles portent un calice partagé en cinq parties de trois couleurs blanches ou jaunes, purpurines & bleues. Il vient après ces fleurs une coque qui renferme des semences qu’on seme sur couche. On les transplante dans des plates-bandes le long des terrasses, & on en forme les mas-