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qu’on n’y employa d’abord qu’une seule couleur dans chaque ouvrage, à moins que nous ne donnions le nom de seconde couleur à celle du fond sur lequel l’on travailloit. L’auteur de cette méthode, l’inventeur de la peinture proprement dite, fut Cleophante de Corinthe ; il débuta par colorier les traits du visage avec de la terre cuite & broyée : ainsi la couleur rouge, comme la plus approchante de la carnation, fut la premiere en usage. Les autres peintres monochromes, & peut-être Cléophante lui-même, varierent de tems en tems dans le choix de la couleur des figures, différente de la couleur du fond. Peut-être aussi qu’ils mirent quelquefois la même couleur pour le fond & pour les figures ; on peut le présumer par l’exemple de quelques-uns de nos camayeux, pourvu qu’on n’admette point dans les leurs l’usage du clair obscur, dont la découverte accompagna l’introduction de la peinture polychrome, ou de la pluralité des couleurs.

Ce fut Bularchus, contemporain du roi Candaule, qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. Au moyen de la pluralité de ces couleurs, l’art jusque-là trop uniforme se diversifia, & inventa dans la suite les lumieres & les ombres. Panæmus peignit la bataille de Marathon, avec la figure ressemblante des principaux chefs des deux armées. Peu après Panæmus, parut Polygnote de Thasos, qui le premier donna des draperies légeres à ses figures de femmes, & qui quitta quelquefois le pinceau pour peindre en encaustique. Damophile & Gorgasus enrichirent d’ornemens de plastique l’extérieur du temple de Cérès à Rome. Enfin à la 94e olympiade, Apollodore d’Athènes ouvrit une nouvelle carriere, & donna naissance au beau siecle de la Peinture.

Il fut suivi par Zeuxis, Parrhasius, Timanthe & Eupompe, qui tous ont été ses contemporains. On vit ensuite paroître Pausias, Pamphile de Macédoine, Euphranor, Calades, Ætion, Antidotus, Aristide, Asclépiodore, Nicomachus, Melanthius, Antiphile, Nicias, Nicophane, Apelle & Protogène, tous excellens artistes qui se sont illustrés à jamais dans l’espace d’un siecle, en différens genres d’ouvrages.

On peut partager avec Pline les peintures de la Grece en un certain nombre de classes. La premiere présente les plus anciens, qui ne sont pas les plus habiles, & qui finissent à Polygnote, vers le tems de la guerre du Péloponnèse.

La seconde classe renferme les artistes qui ont fait le beau siecle de la Peinture depuis la fin de la guerre du Péloponnèse, jusqu’après la mort d’Alexandre le grand. Il ne faut cependant mettre dans cette liste que ceux qui exerçoient alors leurs pinceaux sur de grands sujets & dans de grands tableaux.

La troisieme classe contient ceux qui se sont distingués par le pinceau, mais dans de petits tableaux ou sur de petits sujets.

La quatrieme classe est composée de ceux qui avoient pratiqué la fresque, peinture qu’on applique sur l’enduit d’une muraille. Parmi ces peintres, dit Pline, il n’y en a point qui se soient faits un grand nom. Il n’embellissoient ni murailles dont l’ornement n’auroit été que pour le maitre du logis, ni maisons stables & permanentes, qu’on ne pouvoit pas sauver de l’incendie. Pictorque rei communis terrarum erat, trait bien flatteur pour l’art & pour les artistes. Un peintre appartenoit à l’univers entier. Ces grands hommes destinoient toutes les productions de leur art à pouvoir passer de ville en ville.

La cinquieme classe comprend les plus célebres peintres encaustiques, c’est-à-dire ceux qui employoient le poinçon & non le pinceau.

La sixieme classe est réservée pour les peintres encaustiques ou autres, comme Ctésilochus, qui se plai-

soient à des ouvrages de peinture insolente.

Enfin la derniere classe offre à notre mémoire les femmes célebres qui ont réussi chez eux dans la peinture. Ils ne croyoient pas que l’ignorance, la paresse & les amusemens purement frivoles, dussent être le partage de la moitié du genre humain.

Tous ces artistes se formerent dans les écoles de Peinture que les Grecs avoient établies, & auxquelles ils avoient donnés des noms fixes comme à leurs ordres d’architecture. Leur peinture n’avoit d’abord eu que deux distinctions, l’héliadique & l’asiatique, ou l’attique & l’ionique, car on les trouve l’une & l’autre sous ces deux noms ; mais Eupompus, qui étoit de Sicyone, se rendit si recommandable par son talent, que l’on ajouta la sicyonienne par rapport à lui. Si Pline rapporte ce fait tout simplement, sans l’accompagner d’aucun détail, c’est qu’on doit présumer que les écoles ou les différentes manieres s’étant multipliées dans la Grece, on abandonna ce projet, & l’on ne parla plus, comme l’on fait aujourd’hui, que des maîtres en particulier & de leurs éleves.

On peut cependant comparer ces premiers noms à ceux que nous donnons en général, & qui nous servent de point de distinction. Telles sont les écoles de Florence, de Rome, de Pologne, de Venise, de France, de Flandre ou d’Allemagne. L’étendue ou l’éloignement de ces pays a exigé & perpétué l’usage de ces distinctions. La Grece plus resserrée & plus réunie, n’a pas eu besoin de les continuer ; mais elle forma des artistes en tout genre, qui n’ignorerent rien de tout ce que nous savons en Peinture.

Les grandes compositions héroïques, & que nous appellons l’histoire, les portraits, les sujets bas, les paysages, les décorations, les arabesques, ornemens fantastiques & travaillés sur des fonds d’une seule couleur ; les fleurs, les animaux, la miniature, les camayeux, les marbres copiés, les toiles peintes : voilà la liste des opérations des Grecs du côté des genres de peinture. Il me semble que nous ne peignons en aucun autre genre, & que nous n’avons aucun autre objet. Nous ne pouvons donc nous vanter d’avoir de plus, que la peinture en émail, encore je ne voudrois pas assurer qu’elle fût inconnue aux anciens ; mais ce qui nous appartient sans contredit, c’est l’exécution des grands plafonds & des coupoles. Les Grecs ni les Romains ne paroissent pas avoir connu ce genre d’ornement, ou du-moins avoir pratiqué la perspective jusqu’au point nécessaire pour rendre ces décorations complettes ; les modernes peuvent au contraire présenter un très-grand nombre de ces chefs-d’œuvre de l’esprit & de l’art.

On gardoit dans l’antiquité, comme on garde aujourd’hui les études & les premieres pensées des artistes, toujours pleines d’un feu proportionné au talent de leur auteur, souvent au-dessus des ouvrages terminés, & toujours plus piquans : ces premiers traits, plus ou moins arrêtés, sont plus ou moins essentiels pour la Peinture, que les idées jettées sur le papier ne le sont pour tous les autres genres d’ouvrages. Comme aujourd’hui, on suivoit avec plaisir les opérations de l’esprit d’un artiste : on se rendoit compte des raisons qui l’avoient engagé à faire ces changemens en terminant son ouvrage ; enfin, comme aujourd’hui, on cherchoit à en profiter : les hommes de mérite pour s’en nourrir ou s’en échauffer, & les hommes médiocres pour les copier servilement. Mais il est tems de passer à la peinture des Romains en particulier. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Peinture des Romains, (Peinture antique.) A l’expiration du beau siecle de la peinture grecque, lequel avoit commencé par Apollodore en l’an 404 avant Jesus-Christ, on voit en 304 pour la premiere fois, un jeune romain prendre le pinceau. « On a fait aussi de bonne heure, dit Pline, honneur à la Peinture