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12 S. d’Aire, 39 S. de Bordeaux, 167 S. O. de Paris. Long. suivant Cassini, 17d 22′ 30″. lat. 43d 15′.

Henri IV. naquit à Pau, le 13 Décembre 1553, dans le château qui est au bout de la ville. « La France n’a point eu de meilleur ni de plus grand roi ; il unit aux sentimens les plus élevés une simplicité de mœurs charmante, & à un courage de soldat, un fond d’humanité inépuisable. Il rencontra ce qui forme & ce qui déclare les grands hommes, des obstacles à vaincre, des périls à essuyer, & sur-tout des adversaires dignes de lui. Enfin, comme l’a dit un de nos plus grands poëtes, il fut de ses sujets le vainqueur & le pere ».

Il ne faut pas lire la vie de ce monarque dans le P. Daniel, qui ne dit rien de tout le bien qu’il fit à la patrie ; mais pour l’exemple des rois, & pour la consolation des peuples, il importe de lire ce qui concerne les tems de ce bon prince, dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe, & dans les mémoires de Sully. Le précis que M. de Voltaire en a fait dans son histoire générale, est aussi trop intéressant pour n’en pas transcrire quelques particularités.

Henri IV. dès son enfance, fut nourri dans les troubles & dans les malheurs. Il se trouva à 14 ans à la bataille de Moncontour ; rappellé à Paris, il n’épousa la sœur de Charles IX. que pour voir ses amis assassinés autour de lui, pour courir lui-même risque de sa vie, & pour rester près de trois ans prisonnier d’état. Il ne sortit de sa prison que pour essuyer toutes les fatigues & toutes les fortunes de la guerre. Manquant souvent du nécessaire, s’exposant comme le plus hardi soldat, faisant des actions qui ne paroissent pas croyables, & qui ne le deviennent que parce qu’il les a répétées ; comme lorsqu’à la prise de Cahors en 1599, il fut sous les armes pendant cinq jours, combattant de rue en rue, sans presque prendre de repos. La victoire de Coutras fut dûe principalement à son courage ; son humanité après la victoire devoit lui gagner tous les cœurs.

Le meurtre de Henri III. le fit roi de France ; mais la religion servit de prétexte à la moitié des chefs de l’armée & à la ligue, pour ne pas le reconnoître. Il n’avoit pour lui que la justice de sa cause, son courage, quelques amis, & une petite armée qui ne monta presque jamais à douze mille hommes complets ; cependant avec environ cinq mille combattans, il battit à la journée d’Arques auprès de Dieppe, l’armée du duc de Mayenne, forte de plus de vingt-cinq mille hommes. Il livra au même duc de Mayenne, la fameuse bataille d’Ivry, & gagna cette bataille comme il avoit gagné celle de Coutras, en se jettant dans les rangs ennemis, au milieu d’une forêt de lances. On se souviendra dans tous les siecles, des paroles qu’il dit à ses troupes : « Si vous perdez vos enseignes, ralliez-vous à mon pennache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur & de la gloire ».

Profitant de la victoire, il vint avec quinze mille hommes assiéger Paris, où se trouvoient alors cent quatre-vingt mille habitans ; il est constant qu’il l’eût prise par famine, s’il n’avoit pas permis lui-même par trop de pitié, que les assiégeans nourrissent les assiégés. En vain ses généraux publioient sous ses ordres des défenses sous peine de mort, de fournir des vivres aux Parisiens ; les soldats leur en vendoient. Un jour que pour faire un exemple, on alloit pendre deux paysans qui avoient amené des charrettes de pain à une poterne, Henri les rencontra en allant visiter ses quartiers : ils se jetterent à ses genoux, & lui remontrerent qu’ils n’avoient que cette maniere de gagner leur vie : allez en paix, leur dit le roi, en leur donnant aussi-tôt l’argent qu’il avoit sur lui ; le

béarnois est pauvre, ajoûta-t-il, s’il en avoit davantage il vous le donneroit. Un cœur bien né ne peut lire de pareils traits sans quelques larmes d’admiration & de tendresse.

Le duc de Parme fut envoyé par Philippe II. au secours de Paris avec une puissante armée. Henri IV. courut lui présenter la bataille ; & c’est alors qu’il écrivit du champ où il croyoit combattre, ces deux lignes à la belle Gabrielle d’Estrée : « Si je meurs, ma derniere pensée sera à Dieu, & l’avant-derniere à vous ». Le duc de Parme n’accepta point la bataille ; il empêcha seulement la prise de Paris ; mais Henri IV. le côtoyant jusqu’aux dernieres frontieres de la Picardie, le fit rentrer en Flandres, & bien-tôt après il lui fit lever le siége de Rouen.

Cependant les citoyens lassés de leurs malheurs, soupiroient après la paix ; mais le peuple étoit retenu par la religion ; Henri IV. changea la sienne, & cet événement porta le dernier coup à la ligue ; il est vrai qu’on a depuis appliqué les vers suivans à la conduite de ce prince.

Pour le point de conviction
Au jugement du Ciel un chrétien l’abandonne ;
Mais souffrez que l’homme soupçonne
Un acte de religion
Qui se propose une couronne.

On voit assez ce qu’il pensoit lui-même de sa conversion, par ce billet à Gabrielle d’Estrées : c’est demain que je fais le saut périlleux ; je crois que ces gens-ci me feront haïr saint Denis, autant que vous haïssez… Personne ne fut plus affligé de l’abjuration de Henri IV. que la reine Elisabeth. La lettre qu’elle écrivit alors à ce prince est bien remarquable, en ce qu’elle fait voir en même tems son cœur, son esprit, & l’énergie avec laquelle elle s’exprimoit dans une langue étrangere : « Vous m’offrez, dit-elle, votre amitié comme à votre sœur. Je sais que je l’ai méritée, & certes à un très-grand prix. Je ne m’en repentirois pas, si vous n’aviez pas changé de pere ; je ne peux plus être votre sœur de pere ; car j’aimerai toujours plus chérement celui qui m’est propre que celui qui vous a adopté »

La conversion d’Henri IV. n’augmentoit en rien son droit à la couronne, mais elle hâta son entrée dans sa capitale, sans qu’il y eût presque de sang répandu. Il renvoya tous les étrangers qu’il pouvoit retenir prisonniers ; il pardonna à tous les ligueurs. Il se réconcilia sincerement avec le duc de Mayenne, & lui donna le gouvernement de l’île de France. Non seulement il lui dit, après l’avoir lassé un jour dans une promenade : « Mon cousin, voilà le seul mal que je vous ferai de ma vie ». Mais il lui tint parole, & il n’en manqua jamais à personne.

Il recouvra son royaume pauvre, déchiré, & dans la même subversion où il avoit été du tems des Philippe de Valois, Jean & Charles VI. Il se vit forcé d’accorder plus de graces à ses propres ennemis qu’à ses anciens serviteurs, & son changement de religion ne le garantit pas de plusieurs attentats contre sa vie. Les finances de l’état dissipées sous Henri III. n’étoient plus qu’un trafic public des restes du sang du peuple, que le conseil des finances partageoit avec les traitans. En un mot, quand la déprédation générale força Henri IV. à donner l’administration entiere des finances au duc de Sully, ce ministre aussi éclairé qu’integre trouva qu’en 1596 on levoit 150 millions sur le peuple, pour en faire entrer environ 30 dans le trésor royal.

Si Henri IV. n’avoit été que le plus brave prince de son tems, le plus clément, le plus droit, le plus honnête homme, son royaume étoit ruiné : il falloit un prince qui sût faire la guerre & la paix, connoître toutes les blessures de son état & connoître les reme-