Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choisi ceux qui, par rapport à leur grand âge, étoient présumés avoir le plus d’expérience, on leur donna aussi le titre de patres, peres, soit par respect pour leur âge, soit parce qu’on les regardoit comme les peres du peuple ; de ce titre patres se forma celui de patricii que l’on donna aux cent premiers sénateurs, & selon d’autres aux 200 ou 300 premiers & à leurs descendans ; on les appelloit patricii, quasi qui & patrem & avum ciere poterant ; ils étoient les seuls auxquels Romulus permit d’aspirer à la magistrature, & exercerent seuls les fonctions du sacerdoce jusqu’en l’année 495 de la fondation de Rome.

Ils étoient obligés de servir de patrons aux plébéiens, & de les protéger dans toutes les occasions.

Les cruautés exercées par les patriciens contre les plébéiens, pour se venger de ce que ceux-ci tâchoient d’anéantir leur autorité, donnerent lieu à la loi agraire, concernant le partage des terres.

La loi des douze tables avoit défendu aux patriciens de contracter mariage avec des plébéiennes, mais cette disposition fut bien-tôt supprimée par le peuple.

Il fut seulement encore défendu par la loi papia, pappæa, aux patriciens d’épouser celles des plébéiennes qui n’étoient pas de condition libre, ou qui exerçoient des métiers vils & deshonorans, tel que celui de comédienne ; les filles qui se prostituoient ou qui favorisoient la prostitution, les filles surprises en adultere avec un homme marié, & les femmes répudiées pour le même crime.

Le nombre des familles patriciennes qui n’étoit d’abord que de cent, s’accrut dans la suite considérablement par les diverses augmentations qui furent faites au nombre des sénateurs.

Romulus lui-même, peu de tems après l’établissement du sénat, créa encore cent sénateurs ; d’autres disent que ce fut Tullus Hostilius.

Quoi qu’il en soit, ces 200 premiers sénateurs furent appellés patres majorum gentium, chefs des grandes familles, pour les distinguer des 100 autres sénateurs qui furent ajoutés par Tarquin l’ancien, que l’on appella patres minorum gentium, comme étant chefs de familles moins anciennes & moins considérables que les premieres.

Ce nombre de 300 sénateurs fut long-tems sans être augmenté, car Brutus & Publicola, après l’expulsion des rois, n’augmenterent pas le nombre des sénateurs ; ils ne firent qu’en remplacer un grand nombre qui manquoient.

Ceux qui furent mis par Brutus & autres qui vinrent ensuite, furent appellés patres conscripti, pour dire que leur nom avoit été inscrit avec celui des premiers ; & insensiblement ce titre devint commun à tous, lorsqu’il ne resta plus aucun des anciens sénateurs.

Gracchus étant tribun du peuple, doubla le nombre des sénateurs, y mettant 300 chevaliers. Sylla y fit encore une augmentation ; César en porta le nombre jusqu’à 900, & après sa mort les duumvirs en ajouterent encore ; de sorte qu’il y en avoit jusqu’à 1000 ou 1200 du tems d’Auguste, lequel les réduisit à 600.

Du terme patres, qui étoit le nom que Romulus donna aux premiers sénateurs, se forma celui de patricii, que l’on donna aux descendans des 200 premiers sénateurs, ou selon quelques autres, des 300 premiers ; on leur donna le titre de patricii quasi qui patrem, avum ciere poterant ; & en effet, dans les assemblées du peuple, ils étoient appellés chacun en particulier par leur nom, & par celui de l’auteur de leur race.

Les familles sénatoriennes, autres que celles qui descendoient des 200 premiers sénateurs, ne tenoient pas d’abord le même rang ; cependant insensiblement

tous les sénateurs & leurs descendans furent mis dans l’ordre des patriciens, du-moins Tite-Live remarque que les choses étoient sur ce pié du tems d’Auguste.

Quant aux privileges des patriciens, Romulus avoit attribué à eux seuls le droit d’aspirer à la magistrature.

Ils exercerent aussi seuls les fonctions du sacerdoce jusqu’en l’année 495 de la fondation de Rome.

Les patriciens tiroient la considération dans laquelle ils étoient, de deux sources ; l’une de la bonté & ancienneté de leur race, ce que l’on appelloit ingenuitas & gentilitas ; l’autre étoit la noblesse, laquelle chez les Romains ne procédoit que des grands offices ; mais cette noblesse n’étoit pas héréditaire, elle ne s’étendoit pas au-delà des petits enfans de l’officier.

Mais peu-à-peu les patriciens déchurent de presque tous leurs privileges ; les plébéiens, qui étoient en plus grand nombre, firent tout décider à la pluralité des voix ; on les admit dans le sénat, & même aux plus hautes magistratures, & aux charges des sacrifices ; de sorte qu’il ne resta plus d’autre prérogative aux patriciens que l’honneur d’être descendus des premieres & des plus anciennes familles ; & la noblesse, à l’égard de ceux qui étoient revêtus de quelque grand office, ou qui étoient enfans ou petits-enfans de quelque grand officier.

La chûte de la république, & l’établissement de l’empire, affoiblirent & diminuerent nécessairement l’autorité des familles patriciennes dans les affaires politiques ; mais cette révolution ne les dégrada point d’abord, & elles se soutinrent à peu-près dans toute leur pureté & leur considération, jusqu’au tems où les Grecs d’Europe, d’Asie & d’Alexandrie, inonderent Rome ; il se fit alors une étrange confusion de familles romaines avec les étrangers.

Cette confusion augmenta encore lorsque les empereurs ne furent plus de familles proprement romaines.

Tacite dans le XI. liv. de ses annales, rapporte que l’empereur Claude mit au nombre des patriciens, tous les plus anciens du sénat, ou ceux qui avoient eu des parens distingués ; il ajoute qu’il restoit alors bien peu de ces anciennes familles que Romulus avoit appellées patres majorum gentium ; que même celles qui y avoient été substituées par César, suivant la loi cassia, & par Auguste par la loi brutia, étoient aussi épuisées. On voit par-là combien il s’introduisit de nouvelles noblesses, tant sous César & sous Auguste, que par la création de Claude.

Les guerres civiles qui agiterent l’empire entre Neron & Vespasien, acheverent sans doute encore de détruire beaucoup d’anciennes familles.

Sous l’empire de Trajan, combien d’espagnols ; sous Septime Severe, combien d’afriquains ne vinrent pas s’établir à Rome ; & s’y étant enrichis, firent par leur fortune disparoître les nuances qui séparoient le patricien & le plébéien. Les guerres civiles occasionnées par les différens prétendans à l’empire, & qui épuisoient le plus beau & le plus pur sang de Rome : ces hordes de barbares que les divers concurrens appelloient imprudemment à leur secours, qui soumirent enfin ceux qui les avoient employés à soumettre les autres, & devinrent les maîtres de ceux dont ils auroient toujours dû être les esclaves : la bassesse des sujets qu’une armée élevoit tumultuairement à l’empire, & qui montés sur le trône, donnoient les premieres charges de l’état aux compagnons de leur ancienne fortune, nés comme eux dans l’obscurité : enfin l’anéantissement de la dignité de consul, qui ne fut plus qu’un vain nom depuis la chûte de la république, & sur-tout depuis les Antonins jusqu’à Justinien, après lequel cesse l’ordre chronologique des consuls, ces places étant d’ailleurs souvent occupées