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sition morale, entierement opposée à la passion dominante, en leur inspirant les vertus dont ils ont besoin, en les rappellant à la raison par le moyen de la religion, de la philosophie, selon qu’on les connoît susceptibles de l’un ou de l’autre de ces secours moraux, en les portant à la patience, pour les aider à supporter les maux inévitables de cette vie ; à prendre courage pour résister à l’adversité, aux chagrins ; à s’armer de prudence pour prévenir les malheurs que l’on craint ; à prendre le parti de la tranquillité, pour ne pas être affectés des troubles, des desavantages que l’on ne peut pas empêcher ; ainsi des autres sentimens que l’on tâche d’insinuer pour dissiper les peines d’esprit que l’on voit être la principale cause des maladies dont il s’agit : qu’un médecin, homme de sens, qui sait manier le raisonnement à propos, entretenir, amuser ses malades, en se mettant à la portée de chacun, parviendra à guérir plus surement & plus agréablement, souvent même sans aucun remede de conséquence, & seulement avec ceux auxquels il fait prendre confiance ; tandis qu’un autre médecin, sans les mêmes ressources, n’emploiera les remedes les plus nombreux & les plus composés, que pour faire prendre la plus mauvaise tournure aux maladies de cette espece. Medicina consolatio animi : c’est-là une des grandes qualités qui doivent donner à l’art ceux qui l’exercent avec habileté.

Mais si l’on ne peut pas réussir par les exhortations, par les consolations aidées, soutenues par les artifices qu’il doit être permis d’employer à cet égard, pour parvenir à changer l’imagination : on ne doit pas se flatter de réussir par le seul moyen des remedes physiques, de quelque nature qu’ils puissent être ; à moins que ce ne soit l’action même desirée, à l’égard de l’objet de la passion, comme la satisfaction en fait d’amour, la vengeance en fait de haine : encore peut-on considérer les moyens comme opérant plus moralement que physiquement : d’ailleurs, tout ce que l’on pourroit tenter en ce genre, seroit absolument inutile, & ne feroit souvent qu’aigrir le mal, excepté l’usage des anodins, qui n’en corrige pas la cause, mais qui en suspend les effets, & contribue par le repos & le sommeil qu’il procure, à empêcher l’épuisement des forces par la dissipation des esprits trop continuée.

Les compositions médicinales que l’on voit dans les pharmacies, sous les noms spécieux d’exhilarans, d’anti-mélancholiques, de confortatifs, pour le cœur, pour l’esprit, de calmans, &c. ont été imaginés plus pour l’ostentation que dans l’espérance, tant-soit-peu fondée sur l’expérience, de leur faire produire les effets desirés dans les maladies de l’ame : comme c’est le plus souvent la force de l’imagination qui les produit, ce ne peut être qu’un changement à cet égard qui les guérisse, en tant que les passions sont satisfaites, ou que les objets qui les produisent cessent d’affecter aussi vivement, ou que l’état du cerveau auquel est attachée l’idée dominante qui entretient le desordre est succédé par une nouvelle modification : ce qui est très-rarement l’effet des secours de l’art. Ainsi, dans la langueur, le délire érotique, la fureur utérine, c’est le coït, lorsqu’il peut être praticable, qui est ordinairement le moyen le plus sûr de guérison pour ces maladies : Non est amor medicabilis herbis. Voyez Erotomanie, fureur utérine.

Cependant la durée du trouble dans l’économie animale causée par les passions, est souvent suivie de vices dans les solides & les fluides, qui font comme des maladies secondaires, auxquelles il est bien des remedes qui peuvent convenir, & même devenir nécessaires ; surtout lorsque la maladie primitive dégénere, comme il arrive le plus souvent, en affection mélancholique, hypochondriaque ou hystérique ; alors les bains, les eaux minérales appropriées,

une diete particuliere pour faire cesser la trop grande tension du genre nerveux, pour corriger l’acrimonie, l’échauffement du sang ; le changement d’air, le séjour de la campagne, l’exercice, l’équitation, la dissipation en tous genres, par le moyen de la musique, des concerts d’instrumens, de la danse, &c. sont des secours très-efficaces pour changer la disposition physique qui fatigue l’ame ; pour faire succéder des idées différentes par la diversion qu’ils operent, en causant des impressions nouvelles, sont des secours que l’art fournit & que l’on emploie souvent avec les plus grands succès. Voyez Mélancholie.

Mais pour éviter ici un plus grand détail sur tout ce qui a rapport aux effets des passions dans l’économie animale, aux maux qu’elles y causent, & à sa maniere d’y remédier ; on renvoie à l’excellente dissertation de Baglivi : De medendis animi morbis, & instituenda eorumdem historia, comme à une des meilleures sources connues où l’on puisse puiser à cet égard, telle qu’est aussi le chapitre second de l’Hygieine d’Hoffman : philosophiæ corporis humani viri & sani, lib. II. de animæ conditione motus vitales vel conservante, vel destruente ; & sa dissertation de animo sanitatis & morborum fabro.

Passion, (Peint.) telle est la structure de notre machine, que quand l’ame est affectée d’une passion, le corps en partage l’impression ; c’est donc à l’artiste à exprimer par des figures inanimées cette impression, & à caractériser dans l’imitation les passions de l’ame & leurs différences.

On a remarqué que la tête en entier prend dans les passions des dispositions & des mouvemens différens ; elle est abaissée en avant dans l’humilité, la honte, la tristesse ; panchée à côte dans la langueur, la pitié ; élevée dans l’arrogance ; droite & fixe dans l’opiniâtreté : la tête fait un mouvement en arriere dans l’étonnement, & plusieurs mouvemens réitérés de côté & d’autre dans le mépris, la moquerie, la colere & l’indignation.

Dans l’affliction, la joie, l’amour, la honte, la compassion, les yeux se gonflent tout-à-coup ; une humeur surabondante les couvre & les obscurcit, il en coule des larmes, l’effusion des larmes est toujours accompagnée d’une tension des muscles du visage, qui fait ouvrir la bouche ; l’humeur qui se forme naturellement dans le nez devient plus abondante ; les larmes s’y joignent par des conduits intérieurs ; elles ne coulent pas uniformément, & elles semblent s’arrêter par intervalles.

Dans la tristesse, les deux coins de la bouche s’abaissent, la levre inférieure remonte, la paupiere est abaissée à demi, la prunelle de l’œil est élevée & à moitié relâchée, de sorte que l’intervalle qui est entre la bouche & les yeux est plus grand qu’à l’ordinaire, & par conséquent le visage paroît alongé.

Dans la peur, la terreur, l’effroi, l’horreur, le front se ride, les sourcils s’élevent, la paupiere s’ouvre autant qu’il est possible, elle surmonte la prunelle, & laisse paroître une partie du blanc de l’œil au-dessus de la prunelle, qui est abaissée, & un peu cachée par la paupiere inférieure ; la bouche est en même tems fort ouverte, les levres se retirent, & laissent paroître les dents en haut & en bas.

Dans les mépris & la dérision, la levre supérieure se releve d’un côté, & laisse paroître les dents, tandis que de l’autre côté elle fait un petit mouvement comme pour sourire, le nez se fronce du même côté que la levre s’est élevée, le coin de la bouche recule ; l’œil du même côté est presque fermé, tandis que l’autre est ouvert à l’ordinaire ; mais les deux prunelles sont abaissées, comme lorsqu’on regarde du haut en bas.

Dans la jalousie, l’envie, les sourcils descendent & se froncent, les paupieres s’élevent, & les pru-