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sent qu’avec des sons qui les caractérisent & qui les distinguent. Ainsi l’expression, qui est la peinture de la pensée, est aussi convenable & proportionnée à la passion dont la pensée elle-même n’est que l’interprete.

Quoiqu’en général chaque passion s’exprime différemment d’une autre passion, il est cependant bon de remarquer qu’il en est quelques-unes qui ont entr’elles beaucoup d’affinité, & qui empruntent, pour ainsi dire, le même ton ; telles que sont, par exemple, la haine, la colere, l’indignation. Or pour en discerner les diverses nuances, il faut avoir recours au fond des caracteres, remonter au principe de la passion, examiner les motifs & l’intérêt qui font agir les personnages introduits sur la scène. Mais la plus grande utilité qu’on puisse retirer de cette étude, c’est de connoître le cœur humain, ses replis, les ressorts qui le font mouvoir, par quels motifs on peut l’intéresser en faveur d’un objet, ou le prévenir contre, enfin comment il faut mettre à profit les foiblesses mêmes des hommes pour les éclairer & les rendre meilleurs. Car si l’image des passions violentes ne servoit qu’à en allumer de semblables dans le cœur des spectateurs, le poëme dramatique deviendroit aussi pernicieux qu’il est peut-être utile pour former les mœurs. Princ. pour la lect. des Poët. tom. II.

Passion, (Méd. Hyg. Pathol. Thér.) le desir, l’inclination pour un objet, qui est, qui peut être, ou qui paroît être agréable, avantageux, utile ; & l’éloignement, l’aversion que l’on a pour des objets qui sont désagréables, désavantageux, nuisibles, ou qui paroissent tels, sont des sentimens, des affections intérieures, que l’on appelle passions ; lorsqu’ils sont accompagnés d’agitation forte, de mouvemens violens dans l’esprit.

Dans toutes les passions, on est affecté de plaisir ou de joie, de peine ou de tristesse, de chagrin, de douleur même ; selon que le bien desiré ou dont on espere, dont on obtient sa possession, est plus considérable, peut contribuer davantage à procurer du plaisir, du bonheur ; ou que le mal que l’on craint, dont on souhaite l’éloignement, la cessation, ou dont on souffre avec peine l’idée, l’existance, est plus grand, plus prochain, ou plus difficile à éviter, à faire cesser.

Ainsi on peut distinguer les passions en agréables & en désagréables, en joyeuses & en tristes, en vives & en languissantes. Voyez Passions, Morale.

Les passions sont une des principales choses de la vie, que l’on appelle dans les écoles non-naturelles, qui sont d’une grande influence, dans l’économie animale, par leurs bons ou leurs mauvais effets ; selon qu’on se livre avec modération à celles qui, sous cette condition, peuvent se concilier avec les intérêts de la santé, telles que les plaisirs, la joie, l’amour, l’ambition ; ou que l’on se laisse aller à toute la fougue de celles qui ne sont pernicieuses que par l’excès, telles que le tourment de l’amour, de l’ambition, la fureur du jeu ; ou que l’on est en proie à tous les mauvais effets de celles qui sont toujours contraires de leur nature au bien de la santé, au repos, à la tranquillité de l’ame, qu’elle exige pour sa conservation ; telles que la haine inquiete, agitée, la jalousie portée à la vengeance, la colere violente, le chagrin constant. Voyez Non-naturelles (choses) Hygiene.

On ne peut donc pas douter que les fortes affections de l’ame ne puissent beaucoup contribuer à entretenir la santé ou à la détruire, selon qu’elles favorisent ou qu’elles troublent l’exercice des fonctions : la joie moderée rend, selon Sanctorius, la transpiration plus abondante & plus favorable, & lorsqu’elle dure long-tems, elle empêche le sommeil, elle épuise les forces : l’amour heureux dissipe la mé-

lancholie ; l’amour non-satisfait cause l’inappétence, l’insomnie, les pâles-couleurs, les oppilations, la consomption, &c. La haine, la jalousie produit de violentes douleurs de tête, des délires ; la crainte & la tristesse donnent lieu à des obstructions, à des affections hypocondriaques ; la terreur, à des flux de ventre, des avortemens, des fievres malignes ; il n’est pas même sans exemple qu’elle ait causé la mort.

L’excès ou le mauvais effet des passions, des peines d’esprit violentes est plus nuisible à la santé que celui du travail, de l’exercice outre mesure : s’il survient à quelqu’une maladie pendant qu’il est affecté d’une passion violente ; cette maladie ne finit ordinairement qu’avec la contention d’esprit qu’excite cette passion ; & la maladie changera plutôt de caractere que de se dissiper.

Ainsi, lorsqu’une maladie résiste aux remèdes ordinaires, qui paroissent bien indiqués & employés avec la méthode convenable ; le médecin doit examiner s’il n’y auroit point d’affection extraordinaire de l’ame qui entretienne le désordre des fonctions, & rende les remedes sans effet : souvent cette sorte de complication, à laquelle on ne fait pas assez d’attention, est aussi importante à découvrir que celle du mal vénerien, ou du virus scrophuleux, ou de l’affection du genre nerveux en général, &c. que l’on cherche plus ordinairement. Tout le monde sait comment Erasistrate, célebre médecin de Seleucus Nicanor, découvrit que la maladie de langueur des plus rebelles de son fils Antiochus Soter, n’étoit causée que par l’amour extrème qu’il avoit conçu pour sa belle-mere.

C’est par l’effet des passions, des contentions, des peines d’esprit dominantes dans les peres de famille, dans les personnes d’affaire, dans les gens d’étude fort appliqués à des réflexions, à des méditations, à des recherches fatigantes, que les maladies qui leur surviennent sont, tout étant égal, plus difficiles à guerir que dans ceux qui ont habituellement l’esprit libre, l’ame tranquille.

Les personnes d’un esprit ferme, qui savent supporter patiemment tous les maux de la vie, qui ne se laissent abattre par aucun évenement, qui ne sont tourmentés ni par les desirs pressans, ni par l’espérance inquiete, ni par la crainte industrieuse à grossir les objets, guérissent aisément de bien des maladies sérieuses, souvent même sans les secours de l’art ; parce que la nature n’est point troublée dans ses opérations ; tandis que des personnes timides, craintives, impatientes, foibles d’esprit, ou d’une grande sensibilité, éprouvent de plus grandes maladies & des plus difficiles à guérir, même par l’effet de petites causes morbifiques, & rendent inefficace par ces différentes dispositions analogues les remedes les mieux employés.

On voit des blessures peu considérables devenir très-longues à guérir, à cause de la crainte, souvent mal fondée, dont les malades sont frappés pour les suites qu’elles peuvent avoir, & des plaies de la plus grande conséquence guéries en peu de tems, à l’égard des malades fermes & patiens, qui savent endurer le mal qu’ils ne peuvent éviter, & ne se laissent pas aller à la frayeur, au désespoir, comme d’autres, dont la disposition physique les y porte malgré eux ; tant il est vrai que notre façon de penser, de sentir, d’être affecté ne dépend pas de la volonté, puisqu’elle est assujettie elle-même, avec différentes impressions que l’ame reçoit, par différentes causes tant externes qu’internes. Voyez Fievre, de viribus imaginationis.

La maniere de traiter les maladies qui proviennent des passions violentes ou qui sont compliquées avec elles, consiste principalement à mettre, autant qu’il est possible, les personnes affectées dans une dispo-