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la bat & on la remet dans des caisses comme devant, & dans cet état on l’appelle la seconde matiere. Il faut entendre la même chose d’une troisieme préparation qui rend la pâte propre à passer encore dans des mortiers, où elle est battue de-rechef, jusqu’à ce qu’étant mêlée avec de l’eau claire & brassée çà & là, elle paroisse comme la farine délayée dans de l’eau sans aucuns grumeaux.

La pâte ainsi préparée, on la passe encore une fois dans un mortier creux, dont le marteau n’est pas garni de fer. On fait couler continuellement de l’eau dans ce mortier, par le moyen d’un auget, tandis qu’on travaille à la chaudiere. Quand l’eau & la pâte sont absolument incorporées ensemble, on retire la pâte pour la mettre dans la chaudiere, & l’on ôte de la pâte des caisses pour en remettre dans le mortier, & ainsi successivement.

La chaudiere est préparée suivant les regles, quand la liqueur a acquis une telle proportion de pâte que le moule, étant trempé dedans, en emporte autant qu’il en faut pour une feuille de l’épaisseur qu’on la veut. Un moule est une grille quarrée d’un pouce d’épaisseur, dont le fond est fait de fil de laiton, soutenu de petites barres de bois pour empêcher qu’il ne cave, & le tenir parfaitement horisontal ; car s’il creusoit quelque part, une partie de la feuille seroit plus épaisse que l’autre.

Le plongeur trempe ce moule dans la chaudiere, & le retire en le remuant, afin que l’eau qui est dans la pâte s’écoule par la grille : dans cet état il le donne au coucheur, qui couche la feuille sur un feutre posé sur une planche, & met un autre feutre par-dessus, & ainsi successivement une feuille & un feutre, une feuille & un feutre jusqu’à ce qu’il y en ait de quoi remplir une pressée, c’est-à-dire environ 6 mains : on fait au moins 20 pressées par jour. Le coucheur ayant fait son office, rend le moule au plongeur, & le plongeur au coucheur successivement.

Quand il y en a plein une presse de fait, le plongeur ou le coucheur donne un coup de sifflet qui fait venir 4 ou 5 ouvriers, dont un tire la pile sous la presse avec deux petits crochets, & les autres la pressent fortement jusqu’à ce qu’il n’y reste plus d’eau, ce qui se fait promptement en 2 ou 3 secousses.

Cela fait, on tire la pile hors de la presse, & on la met au côté droit du siege du leveur : alors le leveur ôte le premier feutre, le rend au coucheur, & met la premiere feuille sur le siege : sur cette feuille il en met une seconde, ensuite une troisieme, & continue de la sorte jusqu’à ce que tout soit levé. Ce tas est laissé là jusqu’au soir : alors on presse une seconde fois tout l’ouvrage du jour, & on le met exactement l’un sur l’autre, de façon que cela ressemble à un monceau de pâte solide.

Après que ce monceau a reçu 2 ou 3 coups de presse, comme ci-devant, le sécheur le retire, le porte dans une chambre faite exprès, & étend 6 ou 7 feuilles ensemble sur des cordes attachées à une machine appellée trible, chaque trible contenant 30 cordes de 10 ou 12 piés de long.

Quand il est séché on le retire, on le met sur un siege à 3 piés : dans cet état on l’adoucit avec les mains, ensuite on le met en monceau de 7 ou 8 piés de haut, dans un lieu bien sec, où il reste jusqu’à ce qu’on le colle, c’est la derniere préparation.

On choisit un jour clair & sec : on met dans une chaudiere 2 barils d’eau, & quand elle commence à être chaude, on y jette 60 livres de rognures de parchemin, ou raclures de vélin, qu’on y fait bouillir jusqu’à ce qu’elles soient réduites parfaitement en colle, alors on la passe à-travers une chausse, & sur le tout on répand une dose convenable de vitriol blanc, & d’alun de glace réduit en poudre très-fine, dans un vase d’un pié de profondeur : auprès de ce

vase on apporte 5 ou 6 rames de papier, on en trempe dans la colle une certaine quantité, à-peu-près autant qu’on en peut prendre à la fois avec les mains & par un certain maniement vif & prompt, ils font en sorte que chaque feuille est collée. Après cela on met le tout en presse : le tout étant pressé, on l’ôte & on le transporte dans le séchoir, où on l’étend ordinairement feuille par feuille, jusqu’à ce qu’il soit sec. Mais il faut avoir soin que les rayons du soleil ne donnent pas directement dessus, avant que le tout soit sec, car autrement le soleil pourroit faire évaporer la colle. Dès que le papier est entierement sec, on le retire, on l’adoucit, on le polit avec les mains comme auparavant, on le met en pile, on le presse fortement, & on le laisse dans cet état passer la nuit. Le lendemain matin on le retire & on le porte au magasin pour le trier : ce qui est pour le dedans des mains est mis à part, ce qui est dessus pareillement ; ensuite on le presse encore, & on le laisse ordinairement toute la nuit dans cet état.

Le lendemain matin on l’arrange par main de 24 ou 25 feuilles chacune, on le plie, on le met en monceau, & quand il y a une presse pleine, on le presse encore en double tout de suite, & alors on l’arrange en rames de 20 mains chacune, & en ballot de 10 rames chacune. Voyez Hought, collect. tome II. p. 412.

Les feuilles rompues se mettent ordinairement ensemble, & on met deux mains à chaque côté de la rame : cela fait, on les enveloppe avec le papier fait de l’écume de la chaudiere, & dans cet état il est propre à être vendu.

Avec cette pâte dont nous venons de parler, on fait aussi le carton de la même maniere que le papier, excepté qu’il est plus épais. Voyez Carton.

Avec une certaine sorte fine de ce carton, on fait des cartes pour jouer. Voyez Cartes.

Avec de l’eau, où l’on a jetté différentes couleurs détrempées avec de l’huile & du fiel de bœuf, on fait le papier marbré. Voyez Papier marbré.

Les manufactures de papier se sont multipliées dans presque toute l’Europe ; cependant la France, la Hollande, Gènes & l’Angleterre sont les pays où on le fait le mieux. En général il dépend beaucoup de la qualité du linge dont on se sert dans les lieux où on fabrique le papier : car selon que l’on porte le lin fin, grossier, ou peu blanc, &c. les morceaux ou chiffons, & conséquemment le papier qui en résulte, doivent avoir les mêmes qualités. C’est pour cela que les papiers de Hollande & de Flandres sont plus blancs que ceux d’Italie & de France, & beaucoup plus que celui d’Allemagne.

La Grande-Bretagne, dans le dernier siecle, tiroit presque tout son papier de l’étranger. Elle ne date son premier moulin de papier, bâti à Dartfort, que de l’an 1588. Un poëte de ce tems-là le consacra par des vers à son honneur : présentement l’Angleterre a compris que la vraie consécration des choses utiles consistoit à les multiplier ; aussi tire-t-elle aujourd’hui peu de papier de l’étranger. Cependant elle pourroit encore perfectionner beaucoup ses papeteries, & les étendre davantage dans les trois royaumes, à l’imitation de la Hollande qui fait le plus beau papier du monde, & en plus grande quantité. (Le chevalier de Jaucourt.)

Papier, (Chimie, Mat. med.) on en retire à la distillation à la violence du feu un esprit qui n’est autre chose qu’un alkali volatil, résous, très-foible & très-délayé, & gras ou huileux, provenu en partie du linge & en partie de la colle employée à la préparation du papier, & une huile empyreumatique provenue des mêmes sources. On a érigé en remede particulier cet esprit & cette huile, auxquels c’est assurément faire assez d’honneur que d’attribuer les propriétés les plus communes des esprits alkalils volatils, & des huiles