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l’eau en soit également chargée, & que le papier qu’on en doit faire soit d’une même finesse. Les moules dans lesquels se fait chaque feuille de papier séparément, & l’une après l’autre, se nomment formes. Ce sont de petits chassis de bois quarrés, plus grands ou plus petits, suivant la qualité du papier qu’on fabrique.

Le fond ou chassis, d’un côté est fermé par quantité de menus fils de laiton, très-serrés les uns contre les autres, & joints de distance en distance, par de plus gros fils nommés verjules ou verjures, en deux endroits du fond : justement au milieu de chaque demi-feuille se mettent d’un côté la marque du manufacturier, & de l’autre, une empreinte convenable à la sorte de papier qui se fait, comme des grappes de raisin, des serpens, des noms de Jesus, &c. Comme ces marques ou empreintes sont de fil de laiton, aussi-bien que les verjules, & qu’elles excedent un peu le fond, elles s’impriment dans le papier, & paroissent au jour plus transparentes que le reste. Il y a des manufacturiers assez curieux pour former leurs marques sur les moules avec du menu fil d’argent, en maniere de filigrame.

Pour travailler au papier, chaque forme se plonge dans la cuve pleine de l’eau épaissie par la pâte faite de chiffons : lorsqu’on l’en retire, elle se trouve couverte du plus épais de cette matiere, le plus clair s’écoulant par les intervalles imperceptibles des fils de laiton ; en sorte que ce qui reste se congéle dans l’instant, & devient assez solide pour que le coucheur (ouvrier destiné à cet effet), puisse renverser la feuille de papier sur le feutre ou porce, c’est-à-dire sur un morceau de revèche, ou autre étoffe de laine écrue.

Tandis que le plongeur fait une seconde feuille de papier, en plongeant une seconde forme dans la cuve, le coucheur couvre la premiere d’un second feutre, pour recevoir l’autre feuille qui se fabrique, & ainsi successivement, jusqu’à ce qu’il y ait une pile suffisante de feuilles de papier & de feutres, pour être mises à la presse qui en doit exprimer la plus grande partie de l’eau.

Au sortir de cette presse, l’ouvrier que l’on nomme leveur, leve les feuilles de dessus les feutres, & les met les unes sur les autres sur une planche quarrée appellée le drapant ; puis elles sont remises une seconde fois sous la presse, afin de les bien unir, & d’achever d’en exprimer toute l’humidité. Quand elles ont été suffisamment pressées, on les met sécher sur des cordes dans les étendoirs, lieux où l’air se communique à proportion qu’on le juge nécessaire, par le moyen de certaines ouvertures faites exprès, que l’on ouvre & que l’on ferme par des coulisses.

Lorsque le papier est bien sec, on le colle, ce qui se fait en plongeant plusieurs feuilles ensemble dans une chaudiere de cuivre, remplie d’une colle très-claire, & un peu chaude, faite de rognures de cuir, ou de ratures & morceaux de parchemin, dans laquelle on jette quelquefois de l’alun de glace, ou de la couperose blanche en poudre.

La meilleure colle est celle du parchemin ; mais soit qu’on se serve de l’une ou de l’autre, le saleran ou séleran, c’est-à-dire le chef de la salle où l’on colle & où l’on donne les derniers apprêts & façons au papier, la doit faire bouillir 16 heures, & ne l’employer qu’après l’avoir coulée à-travers d’une chausse ou drapeau.

Après que le papier est bien & duement collé, on le met en presse afin d’en faire sortir le superflu de la colle, puis on tire les feuilles les unes après les autres pour les jetter sur des cordes qui sont dans les étendoirs, ce qui se fait par le moyen d’un instrument de bois de la figure d’un T, que l’on nomme ferlet ; quand les feuilles sont entierement séches on les ôte de dessus les cordes, ce que l’on appelle les ramasser, pour les remettre encore sous la presse.

Lorsqu’elles sont retirées de cette presse, on les trie pour séparer les défectueuses d’avec les bonnes : on les lisse avec une pierre légerement frottée de graisse de mouton, on les plie, on les compte pour en former des mains, & lorsque ces mains sont formées, on les remet de nouveau en presse ; ensuite on les ébarbe (c’est-à-dire que l’on en rogne légerement les extrémités), & l’on les met par rames, chaque rame s’enveloppant de gros papier que l’on appelle maculature ou trace : enfin après qu’elles sont liées d’une ficelle, on les met pour la derniere fois sous la presse, ce qui est la derniere façon qu’on donne au papier, étant pour lors en état d’être vendu ou employé.

Voici présentement la maniere de faire le papier de vieux linge de chanvre & de lin en Angleterre.

Après les avoir préparés, on les apporte dans les moulins à papier, on les sépare en ce qu’on appelle grobin fin, grobin deuxieme, grobin troisieme, car pour le reste, ce sont des chiffons de laine & de lin, que la saleté empêche de reconnoître jusqu’à ce qu’ils ayent été lavés. La façon de les laver, est de les mettre dans un poinçon dont le fond est percé de beaucoup de trous, & qui a sur le côté des grilles faites de fil d’archal qui soit fort : là on remue souvent ces morceaux de linge, afin que la saleté s’en sépare.

Quand ils sont suffisamment lavés, on les met en tas quarrés, & on les couvre bien serrés avec des pieces de grosse toile propre, jusqu’à ce qu’ils suent & s’épaississent, c’est ce qu’on appelle fermentation ; elle se fait ordinairement en 4 ou 5 jours ; si on ne les retiroit pas à-propos, ils pourroient se gâter tout-à-fait, changer de couleur & prendre feu. Quand ils ont bien fermenté, on les tord par poignées, ensuite on les hache avec un instrument de fer tranchant & crochu, qui est stable dans une forme, la pointe en-haut & le tranchant du côté de l’ouvrier, en observant de les tirer à soi, & les couper pieces par pieces d’un pouce & demi de long, ou comme les doigts le permettent.

Les chiffons étant ainsi préparés on les jette dans des mortiers ovales, d’environ 2 piés de profondeur, faits de bon cœur de chêne : au fond de chaque mortier est une plaque de fer épaisse d’un pouce, large de 8, & longue de 30, qui est façonnée en-dedans comme un moule pour un saumon de plomb avec la tête & la queue arrondie : dans le milieu est un lavoir qui a 5 trous, & un morceau de tamis de crin, attaché en-dedans pour empêcher que les marteaux n’y touchent, & que rien n’en sorte, excepté l’eau sale.

Les mortiers sont fournis d’eau jour & nuit par le moyen de petits augets, qui sont eux-mêmes remplis par l’eau d’une citerne, que leur distribuent des sceaux attachés à chaque rayon d’une roue, tant que la roue tourne.

Les chiffons étant battus dans ces mortiers, deviennent propres à être mis en une presse qui est auprès : on les tire avec de petits sceaux de fer hors de chaque mortier, dont on peut arrêter le marteau sans que les autres cessent d’aller : c’est ce qu’on appelle la premiere matiere.

Cette premiere matiere tirée des mortiers, est mise dans des caisses de bois de 5 piés de haut, semblables à celles dont se servent les marchands de blé, dont le fond est de planches posées de biais, avec une petite séparation dans le milieu pour écouler l’eau. La pâte de chiffons y étant mise, on ôte du couvercle autant de planches qu’il est nécessaire, & on presse cette masse de pâte à force de bras ; le lendemain on y remet encore de la pâte jusqu’à ce que la caisse soit remplie, & là on la laisse mûrir une semaine, plus ou moins selon le tems. Dans tout ce procédé il faut prendre garde qu’il n’y ait point d’instrument de fer sujet à se rouiller, car il teindroit de rouille la pâte, & gâteroit le papier.

Ensuite on met la pâte dans d’autres mortiers, on