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constant & plus étendu, & par la même raison le plomb doit avoir eu la préférence sur les autres métaux. Quelques auteurs ont admis sur ces faits un merveilleux que les hommes ont aimé de tous les tems à se persuader. Tel est celui qui a rapporté que l’iliade & l’odyssée avoient été écrites en lettres d’or sur le boyau d’un dragon, long de cent vingt piés. Mais comme les romans conservent toujours des parties d’usage & de vérité ; on voit par-là que les anciens ont écrit sur des boyaux, ce qui, dans le fond est fort naturel. On peut avoir écrit des ouvrages sur l’ivoire, mais indépendamment de la rareté dont cette matiere étoit autrefois, les feuilles d’une épaisseur aussi médiocre que la chose est possible, auroient encore produit un poids excessif ; dans la portée des feuilles ordinaires, elles se seroient rompues. Cependant il est certain que les Romains écrivoient sur des tablettes d’ivoire les lettres missives, & souvent leurs affaires domestiques, usage qui s’est même conservé jusqu’à nous.

On ne convient pas du tems où l’on a commencé à se servir du papyrus pour en faire du papier. Varron place cette découverte dans le tems des victoires d’Alexandre le Grand, lorsque ce prince eut fondé la ville d’Alexandrie en Egypte ; mais Pline lui-même réfute le sentiment de Varron, & se fonde sur le témoignage de Cassius Hemina, ancien annaliste, qui dit que Cn. Terentius Scribe, travaillant à un fonds de terre qu’il avoit sur le Janicule, trouva dans une caisse de pierre les livres du roi Numa, écrits sur ce papier ; & qu’ils s’étoient conservés jusqu’à ce tems-là, sans pourriture, parce qu’ils étoient frottés d’huile de cedre, quoiqu’il y eût 535 ans qu’ils avoient été mis sous terre. Il rapporte encore que Mucien qui avoit été trois fois consul, assuroit qu’étant préfet de Lycie, il avoit vu dans un temple une lettre sur du papier d’Egypte, écrite de Troye par Sarpedon, roi de Lycie. Mais on a des autorités plus sûres, quoique moins anciennes, qui prouvent que le papier d’Egypte étoit en usage long-tems avant Alexandre le Grand ; Guilandin cite Homere, Hérodote, Eschile, Platon, Anacréon, Alcée, &c.

Pline, liv. XIII. ch. xj. a décrit amplement la maniere dont les Egyptiens faisoient leur papier. Voici ce qu’il en rapporte. On sépare, dit-il, avec une éguille la tige du papyrus en lames ou feuillets fort minces, & aussi larges qu’il est possible, dont on compose les feuilles de papier. Les lames du milieu sont préférées, & ensuite selon l’ordre de la division. On étend les meilleures sur une table, en leur laissant toute la longueur qu’elles peuvent avoir, & coupant seulement ce qui déborde aux extrémités sur cette premiere feuille déliée, on en étend un autre en travers, & d’un autre sens. L’eau du Nil, dont on les humecte, sert de colle pour les joindre ensemble. On y emploie aussi quelquefois la colle même ; ces feuilles ainsi colées sont mises à la presse, d’où on les retire pour les faire secher au soleil. Après cela, on les joint ensemble, les meilleures d’abord, ainsi à mesure, selon qu’elles diminuent de bonté ; enfin les plus mauvaises ; il n’y en a jamais plus de vingt dans une tige.

Ce papier, avant que d’être lavé, étoit anciennement appellé hiératique, sacré, & ne servoit que pour les livres de la religion. Ce même papier étant lavé prit le nom d’Auguste, & porta celui de Livie sa femme, après avoir été lavé une seconde fois ; ainsi, le papier hiératique descendit du premier rang au troisieme ; un autre, fort semblable, avoit été appellé amphithéatrique, du lieu où on le faisoit : porté à Rome dans la boutique de Fannius, dont les ouvriers étoient fort habiles, il fit de ce papier commun, rendu plus fin par une manœuvre particuliere, un papier qui surpassoit les autres, & auquel on donna son nom :

l’amphithéatrique, qui n’avoit pas été préparé de la même façon, conserva le sien.

La largeur du papier, continue Pline, varie extrémement ; elle est de treize doigts dans le plus beau, de onze dans le hiératique, de dix dans celui de Fannius, de neuf dans le papier d’amphithéatre, & de moins encore dans celui de Saïs, qui a peine de soutenir le marteau ; la largeur du papier des marchands ne passe pas six doigts. Ce qu’on regarde le plus dans le papier, c’est qu’il ait de la finesse, du corps, de la blancheur & du poli.

L’empereur Claude a privé du premier rang le papier d’Auguste, qui, beaucoup trop fin, ne soutenoit pas la plume du roseau : de plus, sa transparente faisoit craindre que les caracteres ne s’effaçassent les uns les autres, sans compter l’œil désagréable d’une écriture qui s’apperçoit à-travers la feuille. Il augmenta aussi la largeur de la feuille, qui n’étoit auparavant que d’un pié : les feuilles les plus larges, appellées macrocolla, avoient une coudée de largeur ; mais l’expérience découvrit l’inconvénient, lorsqu’en ôtant de la presse une seule de ces feuilles, un grand nombre de pages se trouverent gâtées ; c’est pourquoi le papier d’Auguste continua d’être en usage pour les lettres particulieres, & le papier livien s’est maintenu dans l’usage où il étoit auparavant ; mais le papier claudien fut préféré à tous les autres dans l’usage général, parce que, sans avoir les défauts du papier auguste, il avoit la solidité du papier livien.

On donne le poli au papier par le moyen de l’ivoire ou de la coquille ; mais les caracteres sont sujets à se détacher. Le papier poli boit moins l’encre ; mais il a plus d’éclat. Quand le papier, dès la premiere opération, n’a pas été trempé avec précaution, il se refuse souvent au trait de celui qui écrit. Ce défaut de soin se fait sentir sous le marteau, & même à l’odeur du papier. Lorsqu’il y a des taches, on les découvre à la simple vue ; mais quand on a rapporté des morceaux pour boucher les trous, les fautes ou les déchirures ; cette opération fait boire le papier, & l’on ne s’en apperçoit que dans le moment qu’on écrit. Telle est la mauvaise foi des ouvriers. Aussi prend-on la peine de donner une nouvelle façon à ce papier.

La colle ordinaire se prépare avec la fleur de farine détrempée dans de l’eau bouillante, sur laquelle on a jetté quelques goutes de vinaigre. Car la colle des menuisiers & la gomme sont cassantes ; mais une meilleure préparation est celle qui se fait avec de la mie de pain levé, détrempé dans de l’eau bouillante, & passée par l’étamine ; le papier devient par ce moyen le plus uni qu’il se peut faire & même plus lisse que la toile de lin. Au reste cette cole doit être employée un jour après avoir été faite, ni plutôt, ni plus tard ; ensuite on bat ce papier avec le marteau ; on y passe une seconde fois de la colle, on le remet en presse pour le rendre plus lisse & uni, & on l’étend à coups de marteau. C’est ce papier qui donne une si longue durée aux ouvrages écrits de la propre main des Gracques, Tibérius & Caïus ; je les ai vu chez Pomponius secundus, poëte & citoyen du premier mérite, près de deux cens ans après qu’ils avoient été écrits. Nous voyons communément ceux de Ciceron, Auguste, & de Virgile.

Les savans voudroient bien avoir à leur disposition cette bibliotheque de Pomponius secundus. Mais que diroit Pline, s’il voyoit, comme nous, des feuilles de papier d’Egypte, qui ont mille & douze cens ans d’antiquité ?

On a vu dans ce détail de la traduction de Pline que pour les différentes especes de bon papier qui se fabriquoient en Egypte les lames du papyrus trempées dans l’eau du Nil, étoient tissues sur une table ou planche ; mais il faut retrancher le mérite de cette eau comme étant du Nil ; car toute eau de riviere eût