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L’oreille interne renferme trois petits osselets creux, par le moyen desquels l’action de la membrane du tambour est communiquée au nerf auditif. Un de ces osselets est le marteau ; il a deux productions ou apophyses à peu près de même longueur : la plus longue est attachée au tympan ; l’autre au côté de la caisse, ou à l’os pétreux. La partie postérieure du marteau ressemble à la tête & à la queue d’un petit mousseron. Le second osselet nommé l’enclume, couché sur le dos du marteau, est long, sans apophyse, & ayant en quelque sorte la figure d’une petite écope, dont les Bateliers se servent pour vuider l’eau de leurs bateaux ; son extrémité est attachée par le moyen d’un petit ligament très-mince au troisieme & dernier osselet, qui tient lieu de l’étrier des autres animaux, mais qui n’est ici qu’une fourche sans base : chaque jambe ou dent de la fourche, se termine à une des deux ouvertures ; ces fourchons sont-ils attachés au nerf auditif ?

Ces ouvertures (qui tiennent là lieu des fenêtres rondes ou ovalaires des autres animaux) forment l’entrée de la conque ou coquille, & des canaux demi-circulaires, où se répand le nerf auditif. Ces canaux sont à quelque distance du tambour ; au lieu d’être renfermés comme chez d’autres animaux dans un corps osseux, dur & épais, ils sortent en dehors, & sont situés en dedans du crâne dans un creux terminé par une espece de voûte, où entre une partie du cerveau. En remuant la membrane du tambour, tous les petits osselets se remuent en même tems, & par conséquent ébranlent le nerf auditif.

Telle la structure curieuse de l’oreille de la taupe ; & l’on ne soupçonneroit peut-être pas les variétés qu’offre celle des autres animaux, même par rapport au seul conduit qui mene à l’os pétreux. Dans la chouette, par exemple, qui se perche sur les arbres & sur les poutres, & qui guette sa proie en écoutant de haut en bas, ce conduit avance plus en dehors par le côté de dessus, que par celui de dessous, afin de mieux recevoir jusqu’aux moindres impressions du son. Dans le renard, qui découvre de bas en haut sa proie juchée, il est plus avancé vers le bas. Dans le putois qui écoute tout droit devant lui, ce conduit avance par derriere, pour mieux recevoir les sons qui viennent du côté opposé. Dans le cerf, animal fort alerte, & toujours aux écoutes, le conduit en question est garni d’un tuyau osseux, comme d’un véritable instrument acoustique, formé par la nature, & tellement dirigé vers le derriere, qu’il peut recevoir les sons les plus doux & les plus éloignés qui viennent de ce côté-là. On peut consulter la cosmologie sacrée de Grew, lib. I. chap. v. car j’aime mieux m’attacher à l’oreille humaine, qui est encore supérieure en perfections à celle des animaux. Il faut seulement observer en passant, que l’oreille du singe ressemble le plus à celle de l’homme, & qu’elle a les trois osselets un peu cachés & enfoncés vers le sinus de l’apophyse mastoïde.

Description particuliere de l’oreille de l’homme, & d’abord de l’oreille externe en général. Il y a bien des choses à remarquer dans la figure de l’oreille externe, qui s’offre d’abord à nos yeux. Son éminence sensible qui s’éleve de part & d’autre sur l’os temporal, fait qu’il n’est guere de rayons qui puissent échapper aux deux oreilles à la fois ; & ses trois bords spiraux, font par leur fabrique, leur position, leur inclination tortueuse, & leurs contours, que les rayons sonores qui partent du point sonore, entrent en assez grande quantité dans l’une ou l’autre oreille, ou dans les deux, sont refléchis tels qu’ils étoient sans aucun changement ; s’unissent ensuite, & sont déterminés dans la conque externe.

Ces replis tortueux donnés à l’homme, suppléent

à la mobilité de l’oreille, si remarquable dans les autres animaux. Telle est leur disposition, que l’un s’ouvre dans l’autre, & qu’ainsi les rayons sonores sont refléchis jusque dans la conque. Si ces contours caves avoient été perpendiculairement élevés, les rayons eussent été repoussés hors de l’oreille ; mais il est visible que le contraire doit arriver, parce qu’ils sont inclinés vers la cavité interne de l’oreille.

Boerhaave qui savoit voir, & par son génie tirer parti des choses que les autres avoient vues avant lui, ayant un jour sous les yeux le cadavre d’un homme dont l’ouie avoit été excellente, & l’oreille très-bien formée, en prit une parfaite empreinte sur de la cire, & en examinant cette empreinte, il fit cette remarque neuve & singuliere, que si de quelque point sonore que ce soit, à un point quelconque de quelque éminence cartilagineuse de l’oreille, on tire extérieurement des lignes droites, & qu’on mesure l’angle de réflexion égal à l’angle d’incidence, la derniere réflexion conduira toujours les rayons dans le canal de l’ouie, dont l’entrée est comme le foyer commun des courbes que décrivent les diverses éminences de l’oreille.

Telle étoit aussi la structure que Denys, tyran de Sicile, donnoit à ses prisons, afin que celui qu’il plaçoit au centre de la spirale, pût entendre les prisonniers placés dans les spirales convergentes, quelque bas qu’ils pussent parler. Tout le monde sait que les tubes spiraux, larges à leurs bases, & étroits à leurs extrémités, sont les plus propres à augmenter le son, parce qu’il n’y a point de figure qui occasionne aux rayons plus d’allées & de venues, & plus de seconds sons qui se joignent au premier.

Les brutes n’ont point de pareille fabrique ; la plupart des quadrupedes ont les oreilles tortueuses, à la vérité inférieurement, mais s’allongeant en une appendice qui varie, en ce que tantôt elle est coupée courte, tantôt elle est pendante ou conique, comme dans le cheval ; mais tous les quadrupedes remuent les oreilles. Presque tous les oiseaux & les poissons n’ont guere d’oreille en dehors, & par conséquent cette analogie ne leur va pas.

Ne négligeons pas d’observer que l’oreille humaine a une surface large, que la conque & le canal de l’ouie s’étrécissent considérablement ; d’où les rayons viennent en foule à la membrane du tympan. De plus, de quelque côté qu’on tourne la tête, on montre l’une ou l’autre oreille, qui par conséquent est toujours prête à recevoir les rayons sonores. On sait de combien de façons ceux qui n’ont qu’une oreille, sont obligés de la tourner pour entendre : telle est l’utilité des deux oreilles.

On sait encore que les personnes qui ont les oreilles avancées en dehors, entendent mieux que celles qui les ont applaties ; & les gens qui d’après Elien, Martial, Ovide, mettent au rang des difformités les grandes oreilles, condamnent (peut-être sans le savoir) une beauté réelle, une perfection de l’organe pour mieux entendre, un avantage pour la finesse de l’ouie.

Des lobes des oreilles. Les Anatomistes modernes n’ont pas été plus heureux que les anciens à découvrir l’utilité des lobes des oreilles ; mais de tems immémorial on a imaginé de les percer pour y pendre les ornemens qu’on a cru propres à relever la beauté, ou à faire parade de son opulence. Les voyageurs nous parlent d’indiens, tant hommes que femmes, dont les uns cherchent à se procurer des oreilles longues, & les tirent par le bas sans les percer, autant qu’il le faut pour attacher des pendans. D’autres en aggrandissent le trou peu-à-peu, en y mettant des morceaux de bois ou de métal, qu’ils remplissent successivement par de plus gros ; cette pratique commencée dès l’enfance, fait avec le