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froideur de l’air qu’elles ont à traverser pour parvenir jusqu’à la surface de la terre.

Mais premierement, à quelque hauteur qu’un orage puisse s’élever, peut-on raisonnablement supposer que l’air qui se trouve au-dessous, soit assez froid pour glacer & durcir dans un instant une matiere qui, indépendamment de son mouvement de liquidité, a deux autres mouvemens également propres à empêcher cet effet ; savoir, un mouvement de chaleur que la fermentation doit lui avoir laissé ; & un mouvement de translation qui la précipite vers la terre ?

En second lieu, nous savons que la moyenne région de l’air, qui est la région des vents & des orages, ne s’étend pas tout-à-fait jusqu’au sommet des plus hautes montagnes. Or je demande si ceux qui y sont montés, ont senti cet air froid capable de produire un effet aussi surprenant. Si cela étoit, ils y seroient morts sans doute, & ils ne seroient jamais revenus nous apprendre que des caracteres tracés sur la poussiere se sont conservés pendant plusieurs années, sans souffrir la plus petite altération.

Ces raisons & quelques autres que j’obmets pour abréger, m’ont toujours empêché d’adopter le systême ordinaire sur la formation de la grêle ; & j’ai toujours cru que cette matiere qui se détache des orages lorsqu’ils fondent, & qui se glace & se durcit en tombant, portoit du sein même de l’orage, où elle a fermenté, le principe qui produit cet effet pendant sa chute.

Pour expliquer ce que c’est que ce principe, je commence par observer premierement, que la grêle étant une espece de glace, il est très-vraissemblable qu’elle se forme à-peu-près comme la glace ordinaire ; & secondement, que de l’aveu de la plûpart des physiciens, la glace se forme au moyen de parties de nitre répandues dans l’air, que quelques-uns appellent esprits frigorifiques, lesquelles, selon les uns, s’insinuent comme de petits coins dans les intervalles que les parties du liquide laissent entre elles, & par-là empêchent que la matiere extrèmement agitée, qui est la cause de la liquidité, ne puisse y passer avec assez de liberté pour produire son effet ordinaire ; & selon d’autres, fichent leur pointe dans différentes parties du même liquide, & en forment des molécules si grossieres, que la cause de la liquidité ne pouvant plus les agiter, elles tombent les unes sur les autres, & forment ainsi un corps dur. La maniere dont on fait la glace artificielle est une assez bonne preuve de la solidité de l’une ou de l’autre de ces deux opinions.

D’où je pourrois conclure sans autre preuve, car ici les vraissemblances doivent tenir lieu de démonstrations, que ce sont ces mêmes parties de nitre, ces mêmes esprits frigorifiques, ou du-moins des parties de matiere analogues à celles-là, qui faisant partie de ce mélange de vapeurs & d’exhalaisons qui se détachent d’un orage lorsqu’il fond, les glacent en tombant, & les convertissent en grêle.

Mais pour appuyer cette conjecture & la tourner en preuve, j’expliquerai en peu de mots comment cela doit arriver, conformément au système proposé.

Lorsque la fermentation diminue, le volume de la matiere qui fermente diminue aussi dans la même proportion, c’est-à-dire, que ses petites parties se rapprochent les unes des autres, à mesure qu’elles perdent de leur mouvement ; mais les moins subtiles & les plus grossieres, du nombre desquelles seront les parties de nitre & autres semblables, lorsqu’à cause de leur roideur & de leur inflexibilité, elles auront résisté[1] plus que les autres à l’action de la fermentation, doivent faire plus que se rap-

procher : leur propre poids & le retour de l’air

environnant attiré tout-à-la-fois par la descente & par la réduction du volume de la matiere qui forme l’orage, doivent les faire tomber les unes sur les autres, & les rassembler ainsi par pelotons d’autant plus grands que la fermentation tombe avec plus de promptitude. Ces pelotons renfermeront nécessairement quelques parties de cet air extrèmement dilaté, dans lequel ils se forment, & le tout ensemble descendra vers la terre.

Or je dis que ces pelotons ainsi composés, doivent se glacer en tombant indépendamment de la froideur de l’air qu’ils ont à traverser : car le ressort de l’air intérieur, de cet air raréfié qu’ils portent du sein même de l’orage où ils se sont formés, va toujours s’affoiblissant depuis qu’il n’est plus soutenu par la chaleur de la fermentation, & se réduit presque à rien ; par conséquent il n’oppose presque point de résistance à l’action de l’air extérieur, qui les environnant de toutes parts dans leur trajet, presse leurs petites parties les unes contre les autres, & les tient ainsi dans un repos respectif,[2] que l’on peut comparer au repos d’une eau dormante. Donc ces parties de nitre, ces esprits frigorifiques, qui entrent dans la composition de ces petits grumeaux de matiere liquide, doivent y produire le même effet que celui qu’ils produisent dans l’eau dormante durant le froid de l’hiver, ou encore mieux le même effet que celui qu’ils produisent dans l’eau quand on fait de la glace artificielle. En un mot, forcés d’obéir à la pression de l’air extérieur, ils doivent s’arranger dans le liquide de la maniere la plus propre à réduire sa masse au plus petit volume qu’il est possible. Ils doivent donc boucher ses pores, ou si l’on veut, ficher leurs pointes dans ses petites parties, & par-là arrêter l’action de cette matiere extrèmement agitée, qui est la cause de leur liquidité.

Il faut pourtant convenir qu’il doit y avoir deux différences notables entre la glace ainsi formée, & la glace d’hiver ; mais ces différences viennent à l’appui de mon hypothèse, bien loin de la combattre ; car il suit des principes ci-dessus établis, que cette matiere qui se glace ainsi en tombant, doit se glacer en très-peu de tems, & plus promptement que l’eau ne se glace en plein air durant l’hiver le plus rude, puisqu’ici l’air intérieur ne fait point d’obstacle à l’affaissement des parties, au lieu que le ressort de l’air qui est dans l’eau en souleve les parties & les empêche de se rapprocher ; tellement qu’elle ne se convertit en glace, qu’en écartant cet air & en le contraignant de s’assembler en petits grumeaux ou petites bulles, que l’on voit éparses çà & là dans l’intérieur de la glace ; aussi ne doutai je pas qu’on ne fît de la glace artificielle avec de l’eau purgée d’air plus facilement & plus promptement qu’avec de l’eau commune.

La seconde différence qu’il doit y avoir entre la glace & la grêle, c’est que la grêle doit être plus solide & plus compacte que la glace, puisqu’il y a beaucoup moins d’air dans l’une que dans l’autre. C’est pour la même raison que la glace qui se fait dans la machine pneumatique après qu’on en a pompé l’air grossier, est plus compacte & contient plus de matiere propre sous le même volume, que celle qui se fait en plein air.

Tonnerre, foudre, éclairs. Après avoir expliqué comment un léger mouvement de fermentation

  1. Voyez ci-après l’explication du phénom. 7. pag. suiv.
  2. C’est ce repos des parties, les unes à l’égard des autres, qui est cause que l’eau douce dont on fait provision dans les vaisseaux destinés pour les voyages de long cours, se glace avec la même facilité que sur la terre ferme, malgré le mouvement de translation qui lui est commun avec le vaisseau.