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de, mais on ne garantissoit point aux maris les chemins souterreins.

Nous avons peine à concevoir que de pareilles choses aient pû être faites seulement une fois. Cependant Hérodote nous assure qu’au huitieme & dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, étoit un lit magnifique où couchoit toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s’en faisoit autant à Thèbes en Egypte ; & quand la prêtresse de l’oracle de Patare en Lycie devoit prophétiser, il falloit auparavant qu’elle couchât seule dans le temple où Apollon venoit l’inspirer.

Tout cela s’étoit pratiqué dans les plus épaisses ténebres du paganisme, & dans un tems où les cérémonies payennes n’étoient pas sujettes à être contredites ; mais à la vûe des chrétiens, le Saturne d’Alexandrie ne laissoit pas de faire venir les nuits dans son temple, telle femme qu’il lui plaisoit de nommer par la bouche de Tyrannus son prêtre. Beaucoup de femmes avoient reçu cet honneur avec grand respect, & on ne se plaignoit point de Saturne, quoiqu’il soit le plus âgé & le moins galant des dieux. Il s’en trouva une à la fin, qui ayant couché dans le temple, fit réfléxion qu’il ne s’y étoit rien passé que de fort humain, & dont Tyrannus n’eut été assez capable ; elle en avertit son mari qui fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, & dieu sait quel scandale dans Alexandrie.

Le crime des prêtres, leur insolence, divers événemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies, l’obscurité, l’incertitude, & la fausseté de leurs réponses auroient donc enfin décrédité les oracles. & en auroient causé la ruine entiere, quand même le paganisme n’auroit pas dû finir ; mais il s’est joint à cela des causes étrangeres. D’abord de grandes sectes de philosophes grecs qui se sont mocqués des oracles ; ensuite les Romains qui n’en faisoient point d’usage ; enfin les Chrétiens qui les détestoient & qui les ont abolis avec le paganisme.

Tout ce qui étoit dispersé sur les oracles dans les auteurs anciens, méritoit d’être recueilli en un corps ; c’est ce qu’a exécuté avec beaucoup de gloire M. Van-Dale (Antoine), habile critique du dernier siecle par son ouvrage plein d’éruditions, de oraculis Ethnicorum, Amstoel. 1700. in-4°. Il y prouve également qu’on ne doit attribuer les oracles qu’aux tromperies des prêtres, & qu’ils n’ont cessé qu’avec le paganisme. Il a épuisé tout ce qu’on peut dire sur cette matiere.

M. de Fontenelle, l’homme le plus propre à ôter d’un livre écrit pour les savans, toute la sécheresse qui le rend de peu d’usage, & y répandre des ornemens dont tout le monde profite, en a formé son traité des oracles, qui est sans contredit un de ses meilleurs ouvrages.

Le pere Balthus, jésuite, se proposa vingt ans après de le refuter. L’historien de l’académie des Sciences crut qu’il étoit sage de ne pas répondre : il trouva dans M. du Marsais un défenseur éclairé qui le justifioit sans réplique contre les imputations du P. jésuite, mais il eut lui-même une défense expresse de faire paroître son livre ; cependant M. Dalembert s’est donné la peine d’en faire l’analyse, d’après des fragmens qui lui en ont été remis. Cette analyse intéressante est à la tête du tome VII. de l’Encyclopedie dans l’éloge de M. du Marsais.

Pour laisser de mon côté peu de chose à desirer sur cette matiere, je vais joindre ici des articles séparés de quelques-uns des principaux oracles du paganisme. Il y en avoit tant qu’un savant littérateur qui en a fait la liste dans les anciens, en indique plus de trois cens, dont le plus grand nombre étoit dans la Grece : mais il ne les a pas sans doute tous nommés ; car il y avoit peu de temples où il n’y

eût quelques oracles ou quelque espece de divination.

Il y en avoit de toutes sortes de dates, depuis celui de Dodone qu’on croit le plus ancien, jusqu’à celui d’Antinoüs, qu’on peut regarder comme le dernier. Quelquefois même le crédit de quelques-uns des anciens se perdoit, ou par la découverte des impostures de leurs ministres ou par les guerres, ou par d’autres accidens qu’on ignore. A la perte de ceux-là en succédoient de nouveaux qu’on avoit soin d’établir, & ceux-ci de même faisoient place à d’autres ; mais le tems de la décadence de plusieurs de ces oracles & de l’institution des nouveaux, ne nous est point connu. (Le chevalier de Jaucourt.)

Oracle d’Ammon, (Théolog. payenne.) L’oracle de Jupiter Ammon en Lybie, étoit aussi ancien que celui de Dodone. Il devint très-célebre, & on venoit le consulter de toutes parts, malgré les incommodités d’un si long voyage, & les sables brûlans de la Lybie qu’il falloit traverser. On ne sait trop que penser de la fidélité des prêtres qui le servoient. Quelquefois ils étoient incorruptibles, comme il paroît par l’accusation qu’ils vinrent former à Sparte, contre Lysander qui avoit voulu les corrompre dans la grande affaire qu’il méditoit pour changer l’ordre de la succession royale ; quelquefois ils n’étoient pas si difficiles, comme il paroît par l’histoire d’Alexandre, lequel pour mettre à couvert la réputation de sa mere, ou par pure vanité, vouloit passer pour fils de Jupiter, puisque le prêtre de ce dieu alla au-devant de lui, & le salua comme fils du maître des dieux.

Nous apprenons de Quinte-Curce & d’autres auteurs anciens, que la statue de Jupiter Ammon avoit la tête d’un bélier avec ses cornes ; & de Diodore de Sicile, la maniere dont ce dieu rendoit ses oracles, lorsque quelqu’un venoit le consulter. Quatre-vingt prêtres de ce dieu portoient sur leurs épaules dans un navire doré sa statue, qui étoit couverte de pierres précieuses ; & alloient ainsi sans tenir de route certaine, où ils croyoient que le dieu les poussoit. Une troupe de dames & de filles accompagnoient cette procession, chantant des hymnes en l’honneur de Jupiter. Quinte-Curce qui dit la même chose, ajoute que le navire ou la niche sur laquelle on portoit la statue de ce dieu, étoit ornée d’un grand nombre de pateres d’argent qui pendoient des deux côtés. C’étoit apparemment sur quelque signe ou sur quelque mouvement de la statue, que les prêtres annonçoient les décisions de leur Ammon : car comme le remarque Strabon, sur l’autorité de Callisthène, les réponses de ce dieu n’étoient point des paroles, comme à Delphes & chez les Branchides, mais un signe ; & il cite à cette occasion, les vers d’Homere où le poëte dit : « Jupiter donna de ses sourcils un signe de consentement. »

Jupiter fut le même qu’Ammon des Egyptiens ; & comme Ammon étoit en possession de l’oracle pour lequel les Egyptiens avoient le plus de vénération ; on consacra à Jupiter le seul oracle qu’il y eût alors parmi les Pélasges.

Thomas Gale, dans ses notes sur Jamblique, a prouvé qu’Ammon, Amoun, Amon, Amos, Amosus, Amasis, Amosis, Thémous, Thamus, ne sont qu’un même nom. (D. J.)

Oracle de Claros, (Théolog. payenne.) oracle célebre d’Apollon, établi à Claros, au pays des Colophoniens en Ionie, près de la ville de Colophon. Cet oracle avoit cela de particulier, que le prêtre répondoit verbalement à ceux qui venoient le consulter, sans qu’il employât de songes & sans recevoir des billets cachetés comme ailleurs ; mais sans