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se nomment communément points lacrymaux. Ce sont les orifices des deux petits conduits qui vont s’ouvrir par-delà l’angle de l’œil dans un réservoir particulier, appellé sac lacrymal.

La caroncule lacrymale est une petite masse rougeâtre, grenue & oblongue, située précisement entre l’angle interne des paupieres & le globe de l’œil. Elle paroît toute glanduleuse étant vue par un microscope simple. On y découvre quantité de petits poils fins, qui paroissent enduits d’une matiere huileuse plus ou moins jaune.

Les vaisseaux sanguins qui se distribuent d’une maniere merveilleuse dans les parties internes de l’œil, comme Hovius & Ruysch l’ont démontré, sont des branches d’arteres qui procedent des carotides internes & externes, & dont un grand nombre deviennent enfin arteres lymphatiques. Les veines répondent à-peu-près aux arteres ; les unes se rendent au sinus de la dure-mere, & les autres aux veines jugulaires externes.

Les nerfs de l’œil & de ses appartenances sont en très-grand nombre. 1°. les nerfs optiques forment la rétine. 2°. la troisieme paire se rend aux muscles releveur, abaisseur, adducteur, oblique inférieur. 3°. le nerf pathétique se jette dans l’oblique supérieur. 4°. la cinquieme paire va aux membranes de l’œil, à la glande lacrymale, au sac lacrymal, aux paupieres, &c. 5°. Un rameau de la sixieme paire se rend au muscle abducteur.

Telle est la description anatomique, fort abregée de l’œil : on a taché de la démontrer en sculpture. Un médecin sicilien, nommé Mastiani, l’a assez heureusement executée, par deux pieces en bois de grandeur double de l’œil ; elles sont dans le cabinet du Roi, & M. Daubenton en a donné la description & les figures. Ces deux pieces peuvent s’emboîter ensemble, pour montrer le rapport que les parties charnues de l’œil ont avec les parties osseuses de l’orbite ; cependant toutes ces sortes d’imitations sont toûjours très-imparfaites & très-grossieres.

Le jeu de la nature le plus rare, est un sujet qui vient au monde sans yeux. Je n’en connois qu’un seul exemple, rapporté dans l’histoire de l’acad. des Sciences, année 1721. C’étoit un jeune garçon, né en province, sans cet organe, ni nulle apparence de cet organe. Les deux orbites, au rapport du chirurgien qui l’examina, étoient creuses ; les paupieres étoient sans séparation, & par plusieurs plis qu’elles faisoient, elles couvroient un petit trou au grand coin de l’œil.

Indiquons à-présent les usages de cet organe, & de ses appartenances.

La glande lacrymale humecte continuellement le devant du globe. Le clignotement de la paupiere supérieure étend la sérosité lacrymale, d’autant mieux qu’elle est comme légérement veloutée intérieurement. La rencontre des deux paupieres dirige cette sérosité vers les points lacrymaux. L’onctuosité des trous ciliaires l’empêche de s’échapper entre les deux paupieres. La caroncule, par sa masse & par son onctuosité, l’empêche de passer par-dessus les points lacrymaux, & l’oblige pour ainsi dire d’y couler.

Les sourcils peuvent détourner un peu la sueur de tomber sur l’œil. Les cils supérieurs plus longs que les inférieurs, peuvent aussi avoir cet usage. Ils peuvent encore de même que les cils inférieurs, empêcher la poussiere, les insectes, &c. d’entrer dans les yeux pendant qu’on les tient seulement entr’ouverts.

Pour ce qui regarde l’œil en particulier, les parties transparentes du globe modifient par différentes réfractions les rayons de la lumiere. La rétine & la

choroïde en reçoivent les impressions. Le nerf optique porte ces impressions au cerveau. La prunelle se dilate dans l’éloignement des objets & dans l’obscurité ; elle se rétrecit dans la proximité des objets & dans la clarté.

Outre que l’œil reçoit l’impression des images, on doit le regarder comme un instrument d’optique qui donne à ces images les conditions nécessaires à une sensation parfaite. Cette double fonction est distribuée aux différentes parties de cet organe : en un mot tout le corps de l’œil est une espece de lorgnette qui transmet nettement les images jusqu’à son fond.

Mais pour se former une idée de la structure de l’œil, & du méchanisme de la vision, on peut employer l’exemple de la chambre obscure dont l’œil est une espece.

Fermez une chambre de façon qu’elle soit totalement privée de lumiere ; faites un trou au volet d’une des fenêtres ; mettez vis-à-vis de ce trou, à plusieurs piés de distance, une toile ou un carton blanc, & vous verrez avec étonnement que tous les objets de dehors viendront se peindre sur ce carton, avec les couleurs les plus vives & les plus naturelles, dans un sens renversé : par exemple, si c’est un homme on le voit la tête en-bas. Quand on veut rendre ces images encore plus nettes & plus vives, on met au trou de la fenêtre, une loupe, une lentille qui en rassemblant les rayons, fait une image plus petite & plus précise.

Vous pouvez faire les mêmes expériences avec une simple boëte noircie en-dedans, & à l’entrée de laquelle vous ajouterez un tuyau & une lentille ; vous aurez de plus ici la commodité de pouvoir dessiner ces images à la transparence, en fermant le derriere de la boëte où tombera l’image, avec un papier huilé ou un verre mat ; ou bien en plaçant dans la boëte un miroir incliné qui refléchira l’image contre la paroi supérieure, où vous aurez placé un chassis de verre. Il ne manque à cette boëte pour être un œil artificiel quant à la simple optique, que d’avoir la figure d’un globe, & que la lentille soit placée au-dedans de ce globe.

Enfin l’œil n’est pas seulement l’organe du sens si précieux que nous nommons la vûe, il est lui-même le sens de l’esprit & la langue de l’intelligence. Nos pensées, nos réflexions, nos agitations secretes se peignent dans les yeux, on y pouvoit encore lire dans un âge avancé l’histoire de mademoiselle Lenclos, à ce que prétendoit l’abbé Fraguier. Il est du moins certain que l’œil appartient à l’ame plus qu’aucun autre organe, il en exprime, dit un physicien de beaucoup d’esprit, les passions les plus vives, & les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvemens les plus doux & les sentimens les plus délicats ; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu’ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre ame, ce feu, l’action, l’image de celle dont ils partent. L’œil reçoit & réfléchit en même tems la lumiere de la pensée & la chaleur du sentiment.

O miros oculos, animæ lampades,
Et quâdam propriâ notâ loquaces,
Illîc sunt sensus, hîc Venus, & Amor !

De plus (dit le même physicien dont je viens de parler, l’auteur de l’histoire naturelle de l’homme), la vivacité ou la langueur du mouvement des yeux fait un des principaux caracteres de la physionomie, & leur couleur contribue à rendre ce caractere plus marqué. Voici les autres observations de M. de Buffon.

« Les différentes couleurs des yeux sont l’orangé foncé, le jaune, le verd, le bleu, le gris & le gris mêlé de blanc ; la substance de l’iris est ve-