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patriciens qui étoient descendus des deux cens premiers sénateurs institués par Romulus, & aussi, selon quelques-uns, des autres cent sénateurs qui furent ajoutés par Tarquin l’ancien.

De ces trois degrés d’ingénuité, il n’y avoit d’abord que le dernier, savoir celui des patriciens, qui eût la noblesse proprement dite, qui étoit celle de dignité.

Mais depuis que les plébéïens furent admis à la magistrature, ceux qui y étoient élevés participerent à la noblesse qui étoit attachée à cet emploi, avec cette différence seulement qu’on les appelloit hommes nouveaux, novi homines, pour dire qu’ils étoient nouvellement annoblis.

Ainsi la noblesse plus ou moins ancienne provenoit toûjours des grands offices qui étoient conférés par tout le peuple assemblé, appellés magistratus currules & magistratus populi romani, tels que la place d’édile, de questeur, de censeur, de consul, de dictateur.

Les sénateurs qui n’avoient point eu les grands offices, ni leurs prédécesseurs, n’étoient pas non plus au commencement réputés nobles ; mais depuis que les plébéïens furent admis aux grands offices, la noblesse fut donnée aux sénateurs.

La valeur militaire étoit fort estimée, mais elle n’attribuoit qu’une noblesse imparfaite, que l’on peut appeller considération plutôt qu’une noblesse proprement dite.

Les chevaliers romains n’étoient pas non plus réputés nobles, quoique l’on se fit honneur d’être issu ex equestri familiâ.

Les vrais nobles étoient donc 1°. les patriciens, c’est-à-dire, ceux qui étoient descendus des trois cens premiers sénateurs ; 2°. ceux qui étoient élevés aux grandes magistratures ; 3°. les sénateurs ; 4°. ceux dont le pere & l’ayeul avoient été successivement sénateurs, ou avoient rempli quelque office encore plus élevé, d’où est venu cette façon de parler, que la noblesse, attachée à la plûpart des offices, ne se transmet aux descendans que patre & avo consulibus.

Mais la noblesse des sénateurs ne s’étendoit pas au-delà des petits-enfans, à moins que les enfans ou petits enfans ne possédassent eux mêmes quelque place qui leur communiquât la noblesse.

Ces nobles avoient droit d’images, c’est-à-dire, d’avoir leurs images & statues au lieu le plus apparent de leur maison : leur postérité les gardoit soigneusement ; elles étoient ornées des attributs de leur magistrature autour desquels leurs gestes étoient décrits.

Au reste, la noblesse romaine ne faisoit pas, comme parmi nous, un ordre à part ; ce n’étoit pas non plus un titre que l’on ajoutât à son nom, comme on met aujourd’hui les titres d’écuyer & de chevalier, c’étoit seulement une qualité honorable qui servoit à parvenir aux grandes charges.

Sous les empereurs les choses changerent de face ; on ne connoissoit plus les anciennes familles patriciennes, qui étoient la plûpart éteintes ou confondues avec des familles plébéïennes ; les grands offices dont procédoit la noblesse furent la plûpart supprimés, d’autres conférés au gré des empereurs ; le droit d’images fut peu à-peu anéanti, & la noblesse qui procédoit des offices de la république fut tout-à-fait abolie ; les empereurs établirent de nouvelles dignités auxquelles elle fut attachée, telles que celles de comte, de préfet-proconsul, de consul, de patrice.

Les sénateurs de Rome conserverent seuls un privilege, c’étoit que les enfans des sénateurs qui avoient eu la dignité d’illustres, étoient sénateurs nés, ils avoient entrée & voix déliberative au sénat lors-

qu’ils étoient en âge ; ceux des simples sénateurs y

avoient entrée mais non pas voix, de sorte qu’ils n’étoient pas vrais sénateurs ; ils avoient seulement la dignité de clarissime, & même les filles, & étoient exempts de charges & peines auxquelles les plébéïens étoient sujets.

Les enfans des décurions & ceux des vieux gendarmes, appellés veterani, étoient aussi exempts des charges publiques, mais ils n’avoient pas la noblesse.

Au reste, la noblesse chez les Romains ne pouvoit appartenir qu’aux citoyens de Rome ; les étrangers, même ceux qui habitoient d’autres villes sujettes aux Romains, & qui étoient nobles chez eux, étoient appellés domi-nobiles, c’est-à-dire, nobles chez eux ou à leur maniere, mais on ne les reconnoissoit pas pour nobles à Rome.

L’infamie faisoit perdre la noblesse, quoiqu’elle ne fît pas perdre l’avantage de l’ingénuité & de la gentilité.

En France, la noblesse tire sa premiere origine des Gaulois, chez lesquels il y avoit l’ordre des chevaliers, distingué des druides & du commun du peuple.

Les Romains ayant fait la conquête des Gaules, y établirent peu-à-peu les regles de leur noblesse.

Enfin, lorsque les Francs eurent à leur tour conquis les Gaules sur les Romains, cette nation victorieuse forma le principal corps de la noblesse en France.

On sait que les Francs venoient des Germains, chez lesquels la noblesse héréditaire étoit déja établie, puisque Tacite, en son liv. II. des mœurs des Germains, dit que l’on choisissoit les rois dans le corps de la noblesse. Ce terme ne signifioit pas la valeur militaire ; car Tacite distingue clairement l’une & l’autre, en disant : reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt.

Les nobles faisoient tous profession de porter les armes ; ainsi l’on ne peut douter que les Francs qui étoient un essain des Germains, & qui aiderent Clovis à faire la conquête des Gaules, étoient tous nobles d’une noblesse héréditaire, & que le surnom de franc qu’on leur donna, parce qu’ils étoient libres & exempts de toutes impositions, désigne en même tems leur noblesse, puisque cette exemption dont ils jouissoient étoit fondée sur leur qualité de nobles.

Il y avoit donc au commencement de la monarchie trois sortes de nobles : les uns qui descendoient des chevaliers gaulois qui faisoient profession de porter les armes, d’autres qui venoient de magistrats romains, lesquels joignoient l’exercice des armes à l’administration de la justice & au gouvernement civil & des finances ; & la troisieme sorte de nobles étoit les Francs qui, faisant tous profession des armes, étoient exempts de toutes servitudes personnelles & impositions, ce qui les fit nommer Francs, à la différence du reste du peuple qui étoit presque tout serf, & cette franchise fut prise pour la noblesse même, de sorte que franc, libre ou noble, étoient ordinairement des termes synonymes.

Dans la suite, les Francs s’étant mélés avec les Gaulois & les Romains, ne formerent plus qu’une même nation ; & tous ceux qui faisoient profession des armes étoient réputés nobles également, de quelque nation qu’ils tirassent leur origine.

Toute sorte de noblesse fut d’abord exprimée par la seule qualité de noble, ensuite la simple noblesse par la qualité d’écuyer, laquelle venoit des Romains ; l’on appella gentilhomme celui qui étoit noble de race, & chevalier celui qui a été annobli par l’accolade, ou qui est de race de chevalier.

On distingua aussi les nobles en trois classes : savoir, les chevaliers bannerets qui avoient droit de