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nius. Outre le Fil du labyrinthe, on a de lui un ouvrage intitulé, Fundamenta interpretationis & administrationis generalia ex mundo, mente & Scripturis jacta, ou Ostium vel atrium naturoc schnographicè delineatum. Il admet trois principes ; la matiere, l’esprit & la lumiere. Il appelle la matiere la masse mosaïque ; il la considere sous deux points de vue, l’un de premiere création, l’autre de seconde création. Elle ne dura qu’un jour dans son état de premiere création ; il n’en reste plus rien. Le monde, tel qu’il est, nous la montre dans son état de seconde création. Pour passer de-là à la genese des choses, il pose pour principe que la masse unie à l’esprit & à la lumiere constitue le corps ; que la masse étoit informe, discontinue, en vapeurs, poreuse & cohérente en quelque sorte ; qu’il y a une nature fabricante, un esprit vital, un plasmateur mosaïque, des ouvriers externes, des ouvriers particuliers ; que chaque espece a le sien, chaque individu ; qu’il y en a de solitaires & d’universaux ; que les uns peuvent agir sans le concours des autres ; que ceux-ci n’ont de pouvoir que celui qu’ils reçoivent, &c. Il déduit l’esprit vital de l’incubation de l’Esprit-saint ; c’est l’esprit vital qui forme les corps selon les idées de l’incubateur ; son action est ou médiate ou immédiate, ou interne ou externe ; il est intelligent & sage, actif & pénétrant ; il arrange, il vivifie, il ordonne ; il se divise en général & particulier, en naturel & accidentel, en terrestre & céleste, en sidéréal & élémentaire, substantifique, modifiant, &c. L’esprit vital commence, la fermentation acheve. A ces deux principes, il en ajoute un instrumental, c’est la lumiere ; être moyen entre la masse ou la matiere & l’esprit ; de-là naissent le mouvement, le froid, le chaud, & une infinité de mots vuides de sens, & de sottises que je n’ai pas le courage de rapporter, parce qu’on n’auroit pas la patience de les lire.

Il s’ensuit de ce qui précede, que tous ces auteurs plus instruits de la religion, que versés dans les secrets de la nature, n’ont servi presque de rien au progrès de la véritable philosophie.

Qu’ils n’ont point éclairci la religion, & qu’ils ont obscurci la raison.

Qu’il n’a pas dépendu d’eux qu’ils n’ayent deshonoré Moïse, en lui attribuant toutes leurs rêveries.

Qu’en voulant éviter un écueil, ils ont donné dans un autre ; & qu’au lieu d’illustrer la révélation, ils ont par un mélange insensé, défiguré la philosophie.

Qu’ils ont oublié que les saintes Ecritures n’ont pas été données aux hommes pour les rendre physiciens, mais meilleurs.

Qu’il y a bien de la différence entre les vérités naturelles contenues dans les livres sacrés, & les vérités morales.

Que la révélation & la raison ont leurs limites, qu’il ne faut pas confondre.

Qu’il y a des circonstances où Dieu s’abaisse à notre façon de voir, & qu’alors il emprunte nos idées, nos expressions, nos comparaisons, nos préjugés-mêmes.

Que s’il en usoit autrement, souvent nous ne l’entendrions pas.

Qu’en voulant donner à tout une égale autorité, ils méconnoissoient toute certitude.

Qu’ils arrêteront les progrès de la philosophie, & qu’ils avanceront ceux de l’incrédulité.

Laissant donc de côté ces systèmes, nous acheverons de leur donner tout le ridicule qu’ils méritent, si nous exposons l’hypothèse de Moïse telle que Comenius l’a introduite.

Il y a trois principes des choses, la matiere, l’esprit & la lumiere.

La matiere est une substance corporelle, brute, té-

nebreuse & constitutive des corps.

Dieu en a créé une masse capable de remplir l’abysme créé.

Quoiqu’elle fût invisible, ténébreuse & informe, cependant elle étoit susceptible d’extension, de contraction, de division, d’union, & de toutes sortes de figures & de formes.

La durée en sera éternelle, en elle-même & sous ses formes ; il n’en peut rien périr ; les liens qui la lient sont indissolubles ; on ne peut la séparer d’elle-même, de sorte qu’il reste une espece de vuide au milieu d’elle.

L’esprit est une substance déliée, vivante par elle-même, invisible, insensible, habitante des corps & végétante.

Cet esprit est infus dans toute la masse rude & informe ; il est primitivement émané de l’incubation de l’Esprit Saint ; il est destiné à l’habiter, à la pénétrer, à y regner, & à former par l’entremise de la lumiere, les corps particuliers, selon les idées qui leur sont assignées, à produire en eux leurs facultés, à coopérer à leur génération, & à les ordonner avec sagesse.

Cet esprit vital est plastique.

Il est ou universel ou particulier, selon les sujets dans lesquels il est diffus, & selon le rapport des corps auxquels il préside ; naturel ou accidentel, perpétuel ou passager.

Considéré relativement à son origine, il est ou primordial, ou seminal, ou minéral, ou animal.

En qualité de primordial, il est au dessus du céleste, ou sideré, ou élémentaire ; & partie substantifiant, partie modifiant.

Il est seminal, eu égard à sa concentration générale.

Il est minéral, eu égard à sa concentration spécifique d’or, ou de marbre.

Il se divise encore en vital, relativement à sa puissance & à ses fonctions ; & il est total ou principal, & dominant ou partiel, & subordonné & allié.

Considéré dans sa condition, il est libre ou lié, assoupi ou fermentant, lancé ou retenu, &c.

Ses propriétés sont d’habiter la matiere, de la mouvoir, de l’égaler, de préserver les idées particulieres des choses, & de former les corps destinés à des opérations subséquentes.

La lumiere est une substance moyenne, visible par elle-même & mobile, brillante, pénétrant la matiere, la disposant à recevoir les aspects, & efformatrice des corps.

Dieu destina la matiere dans l’œuvre de la création à être un instrument universel, à introduire dans la masse toutes les opérations de l’esprit, & à les signer chacune d’un caractere particulier, selon les usages divers de la nature.

La lumiere est ou universelle & primordiale, ou produite & caractérisée.

Sa partie principale s’est retirée dans les astres qui ont été répandus dans le ciel pour tous les usages différens de la nature.

Les autres corps n’en ont pris ou retenu que ce qu’il leur en falloit pour les usages à venir auxquels ils étoient préparés.

La lumiere remplit ses fonctions par son mouvement, son agitation & ses vibrations.

Ces vibrations se propagent du centre à la circonférence, ou sont renvoyées de la circonférence au centre.

Ce sont elles qui produisent la chaleur & le feu dans les corps sublunaires. Sa source éternelle est dans le soleil.

Si la lumiere se retire, ou revient en arriere, le froid est produit ; la lune est la région du froid.

La lumiere vibrée & la lumiere retirée sont l’une