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ger des peines qu’on aura prises ; quelquefois on s’est bien trouvé de plier les morts dans des peaux de moutons récemment égorgés, dans des linges bien chauds, trempés d’eau-de-vie, leur ayant fait avaler auparavant, par force, quelque élixir spiritueux, puissant, sudorifique. On ne doit pas négliger l’application des épithèmes, des épicarpes composés avec des cordiaux les plus vifs, parce qu’on n’a aucun mauvais effet à en redouter, & quelque observation en constate l’efficacité ; Borel assure s’être servi avec succès de roties de pain pénétrées d’eau-de-vie chaude, qu’on appliquoit sur la région du cœur, & qu’on changeoit souvent. Il est encore un secours imaginé par la tendresse, consacré par beaucoup d’expériences & d’observations, & par l’usage heureux qu’en faisoient les Prophetes, au rapport des historiens. Ils se couchoient sur la personne qu’ils vouloient résusciter, souffloient dans la bouche, & rappelloient ainsi l’exercice des fonctions vitales ; c’est par cet ingénieux stratagème qu’un valet rendit la vie à un maître qu’il chérissoit : lorsqu’il vit qu’on alloit l’enterrer, il se jette avec ardeur sur son corps, l’embrasse, le secoue, appuie sa bouche contre la sienne, l’y laisse collée pendant quelque-tems, il renouvelle par ce moyen le jeu des poumons, qui ranime la circulation, & bien tôt il s’apperçoit que la vie revient. On a substitué à ce secours, qui pourroit être funeste à l’ami généreux qui le donne, l’usage du soufflet, qui peut, par le même méchanisme, opérer dans les poumons les mouvemens alternatifs d’inspiration & d’expiration. Ce secours peut être principalement utile aux noyés, & à ceux qui meurent par le défaut de respiration dans les mouffetes, dans les caves, dans les tombeaux, &c. quelquefois il n’est pas possible d’introduire l’air dans les poumons, l’épiglotte abaissé fermant exactement l’orifice du larinx ; si alors on ne peut pas la soulever, il faut en venir promptement à l’opération de la trachéotomie, & se servir du trou fait à la trachée-artere pour y passer l’extrèmité du soufflet ; outre ces secours généraux, qu’on peut employer assez indifféremment dans toutes sortes de morts, il y en a de particuliers qui ne conviennent que dans certains cas. Ainsi, pour rappeller à la vie ceux qui sont morts de froid, il ne faut pas les présenter au feu bien fort tout de suite ; il ne faut les rechauffer que par nuances, les couvrir d’abord de neige, ensuite du fumier, dont on peut augmenter graduellement la chaleur. Lorsqu’il arrive à quelque voyageur dans le Canada de mourir ainsi de froid, on l’enterre dans la neige, où on le laisse jusqu’au lendemain, & il est pour l’ordinaire en état de se remettre en chemin. Le secours le plus avantageux aux pendus sont les frictions, les bains chauds & la saignée ; ils ne manquent guere de réussir quand ils sont appliqués à tems, & qu’il n’y a point de luxation ; lorsque la mort n’est qu’une affection nerveuse, c’est-à-dire, dépendante d’un spasme universel ou particulier au cœur, on la dissipe par la simple aspersion de l’eau froide, par l’odeur fétide de quelque résineux, & par les sternutatoires. Je remarquerai seulement à l’égard de ces morts, qu’il n’est pas nécessaire de beaucoup se presser de les secourir ; la mort imparfaite est assez longue, & l’irritabilité se soutient assez long-tems ; je crois même qu’il seroit plus prudent d’attendre que la constriction spasmodique eût été détruite par la mort même ; les remedes appliqués pour lors opéreroient plutôt & plus efficacement ; en effet, on observe que souvent la mort récente résiste aux secours les plus propres précipitamment administrés, tandis que deux, trois jours après, elle se dissipe presque d’elle même. D’ailleurs, par une guerison trop prompte, on prévient les bons effets qui pour-

roient résulter d’une suspension totale de mouvement

dans la machine. La précipitation est encore plus funeste dans les morts qui sont la suite d’une blessure considérable, & l’effet d’une grande hémorragie ; il est certain que dans ce cas toute l’espérance du salut est dans la mort ; l’hémorragie continue tant qu’il y a du mouvement dans les humeurs ; leur repos permet au contraire aux vaisseaux de se consolider, & au sang de se cailler ; c’est aussi une méthode très-pernicieuse que d’essayer de tirer par des cordiaux actifs les malades de la syncope, ou de la mort salutaire où ils sont ensevelis ; ces remedes ne font qu’un effet passager, qui est bien-tôt suivi d’une mort absolue ; ainsi, lorsque la blessure n’est pas extérieure, & qu’on ne peut pas v appliquer des styptiques, il faut laisser long-tems les morts à eux-mêmes, & après cela ne les ranimer qu’insensiblement, & les soutenir, autant qu’on pourra, dans cet état de foiblesse. Nous avertissons en finissant, qu’on doit varier les différens secours que nous avons proposés suivant les causes qui ont excité la mort, l’état du corps qui l’a précédé, & les symptomes qu’on observe. (m)

Mort civile, (Jurisprud.) est l’état de celui qui est privé de tous les effets civils, c’est-à-dire de tous les droits de citoyen, comme de faire des contrats qui produisent des effets civils, d’ester en jugement, de succéder, de disposer par testament : la jouissance de ces différens droits compose ce que l’on appelle la vie civile ; de maniere que celui qui en est privé est reputé mort selon les lois, quant à la vie civile ; & cet état opposé à la vie civile, est ce que l’on appelle mort civile.

Chez les Romains la mort civile provenoit de trois causes différentes ; ou de la servitude, ou de la condamnation à quelque peine qui faisoit perdre les droits de cité, ou de la fuite en pays étranger.

Elle étoit conséquemment encourue par tous ceux qui souffroient l’un des deux changemens d’état appellés en Droit maxima & minor, seu media capitis diminutio.

Le mot caput étoit pris en cette occasion pour la personne, ou plûtôt pour son état civil pour les droits de cité ; & diminutio signifioit le changement, l’altération qui survenoit dans son état.

Le plus considérable de ces changemens, celui que l’on appelloit maxima capitis diminutio ; étoit lorsque-quelqu’un perdoit tout à-la-fois les droits de cité & la liberté, ce qui arrivoit en différentes manieres. 1°. Par la condamnation au dernier supplice ; car dans l’intervale de la condamnation à l’exécution, le condamné étoit mort civilement. 2°. Lorsque pour punition de quelque crime on étoit déclaré esclave de peine, servus pana : on appelloit ainsi ceux qui étoient damnati ad bestias, c’est-à-dire condamnés à combatre contre les bêtes. Il en étoit de même de tous ceux qui étoient condamnés à servir de spectacle au peuple. Le czar Pierre I. condamnoit des gens à être fous, en leur disant je te fais fou. Ils étoient obligés de porter une marote, des grelots & autres signes, & d’amuser la cour. Il condamnoit quelquefois à cette peine, les plus grands seigneurs ; ce que l’on pourroit regarder comme un retranchement de la société civile. Ceux qui étoient condamnés in metallum, c’est-à-dire à tirer les métaux des mines ; ou in opus metalli, c’est-à-dire à travailler aux métaux tirés des mines. La condamnation à travailler aux salines, à la chaux, au soufre, emportoit aussi la privation des droits de cité, lorsqu’elle étoit prononcée à perpétuité. Les affranchis qui s’étoient montrés ingrats envers leurs patrons, étoient aussi déclarés esclaves de peine. 3° Les hommes libres qui avoient eu la lâcheté de se vendre eux-mêmes, pour toucher le prix de leur liber-