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dans une chapelle. Au milieu du sermon, le cadavre parut animé, fit quelques mouvemens qui engagerent à le reporter chez lui ; de façon, ajoûte l’historien de ce fait, que sans le sermon on auroit enterré un homme vivant, ou qui étoit prêt à le devenir. lbid. tom. l. p. 62. Diemerbroek rapporte qu’un paysan étant mort de la peste, on se préparoit à l’enterrer après les vingt-quatre heures, suivant l’usage ; le défaut de cercueil fit différer jusqu’au lendemain ; & lorsqu’on voulut y mettre le corps, on s’apperçut qu’il commençoit à reprendre l’usage de la vie. Enfin, il y a eu des personnes qui rappellées à la vie dans le tombeau, en ont été retirées, ont été assez heureuses pour faire entendre leurs cris à des gens que le hasard amenoit dans le voisinage. Ainsi un régiment d’infanterie étant arrivé à Dole, plusieurs soldats manquant de logemens, obtinrent la permission de se retirer dans l’église, & de coucher sur les bancs garnis du parlement & de l’université ; quelques soldats entendirent pendant long-tems des plaintes qui sembloient sortir d’un tombeau ; ils avertirent le clerc, on ouvre un caveau où l’on avoit enterré le jour même une fille, on la trouve vivante, &c.

Quelques enfans étant allés jouer sur le tombeau d’un homme récemment enterré, furent épouvantés du bruit qu’ils entendirent ; ils raconterent la cause de leur frayeur ; on exhuma la personne qui étoit pour lors en vie. Il est évident que si ces personnes eussent été enterrées dans un cimetiere & couvertes de terre, elles n’auroient pû faire entendre leurs cris ; & même sans les circonstances imprévues qui se rencontrerent, elles seroient mortes de nouveau. Quels affreux soupçons ne font pas naître de pareils événemens sur le sort d’une infinité de personnes qu’on enterre trop promptement, & sans beaucoup de précautions, sans attendre sur-tout que la putréfaction manifestée ait décidé leur mort irrévocable. Il arrive de-là que plusieurs meurent absoiument, qui auroient pû revivre si on eût apporté à propos des secours convenables, ou du-moins si on ne les avoit pas privés d’air en les ensevelissant sous la terre, ou en les mettant dans des caveaux qui sont des especes de mouffetes ; d’autres au contraire, ce qui est encore plus terrible, revenus d’eux-mêmes à la vie, ne peuvent faire venir leurs plaintes à ceux qui pourroient les secourir, les tirer du tombeau où ils sont renfermés sans nourriture, ne revivent que pour mourir encore plus cruellement dans toutes les horreurs de la faim & du desespoir. On voit en effet souvent en exhumant les corps après plusieurs mois, qu’ils sont changés de place, de posture, de situation ; quelques-uns paroissent avec les bras, les mains rongées de rage. Dom Calmet raconte sur la foi d’un témoin oculaire, qu’un homme ayant été enterré dans le cimetiere de Bar-le-Duc, on entendit du bruit dans la fosse ; elle fut ouverte le lendemain, & on trouva que le malheureux s’étoit mangé le bras. On vit à Alais le cercueil d’une femme dont les doigts de la main droite étoient engagés sous le couvercle de son cercueil qui en avoit été soulevé. Le docteur Crafft fait mention d’une demoiselle d’Ausbourg, qui étant morte d’une suffocation de matrice, fut enterrée dans un caveau bien muré ; au bout de quelques années on ouvrit le caveau, l’on trouva la demoiselle sur les degrés près de l’ouverture, n’ayant point de doigts à la main droite. Cette histoire est fort analogue à celle d’un religieux carme, qui ayant été enterré depuis long-tems, fut trouvé à l’entrée du caveau les doigts écorchés, & la pierre qui bouchoit l’ouverture un peu dérangée ; mais ce qui doit confirmer & augmenter ces soupçons, c’est le long intervalle qui peut s’écouler entre la mort imparfaite & la

mort absolue, c’est-à-dire, depuis le tems où les organes ont cessé leurs mouvemens, jusqu’à celui ou ils perdent l’aptitude à les renouveller. On a vu qu’il n’est pas rare de revivre après deux ou trois jours ; l’exemple de myladi Roussel prouve qu’on peut être pendant sept jours dans l’état de mort imparfaite. Il y a des observations incontestables de noyés, qui ont resté trois, quatre, & cinq jours sous l’eau. On lit dans les mélanges des curieux de la nature, un fait attesté par Kunkel, touchant un jeune homme qui étant tombé dans l’eau, n’en fut retire qu’après huit jours ; & Pechlin assure qu’un jeune homme fut pendant plus de quarante-deux jours enseveli sous les eaux, & qu’enfin retiré la septieme semaine, septimâ demum hebdommadâ extractum, on put le rappeller à la vie. Ces résurrections qu’on pourroit regarder comme des-miracles de la Médecine, passeront pour des fictions, pour des evénemens supposés dans l’esprit de quelques lecteurs, qui confondant les bornes du possible avec celles de leur connoissance, ignorent que le vrai peut bien souvent n’être pas vraissemblable. Tous ces faits, quelque merveilleux qu’ils paroissent, n’ont rien que de naturel & de conforme aux lois de l’économie animale : les anciens avoient déja observé qu’on peut rester sans pouls & sans respiration pendant très-long-tems ; ils ont même décrit une maladie sous le nom d’ἄπνος, qui veut dire sans respiration, où ils assurent qu’on peut être pendant trente jours sans aucun signe de vie, ne différant d’un véritable mort, que par l’absence de la putréfaction. Il y a un traité grec sur cette maladie, περι τῆς ἄπνου, que Galien, Pline, & Diogene de Laerce, croient avoir été composé par Héraclide de Pont, & que Celse attribue à Démocrite. Cet ouvrage fut fait à l’occasion d’une femme qui reprit l’usage de la vie, après avoir été pendant sept jours sans en donner la moindre marque. L’histoire naturelle nous fournit dans les animaux des exemples qui confirment ceux que nous avons rapportés : tout le monde sait que les loirs restent pendant tout l’hiver au fond d’une caverne, ou enterrés sous la neige, sans manger & sans respirer ; & qu’après ce tems lorsque la chaleur revient, ils sortent de l’engourdissement ; parfaite image de la mort dans laquelle ils étoient ensevelis : plusieurs oiseaux passent aussi tout l’hiver sous les eaux ; telles sont les hirondelles entre autres, qui loin d’aller suivant l’erreur populaire fort accréditée, dans des climats plus chauds, se précipitent au fond de la mer, des lacs, & des rivieres, & y passent ainsi sans plumes & sans vie jusqu’au retour du printems ; lorsque la chûte des feuilles annonce les approches du froid, dit un poëte latin.
Avolat (hirundo) & se credit aquis præcepsque sub illas
 Mersa, in dumosâ mortua valle jacet.

Flebilis, exanimis, deplumis, nuda, neque ullam
     Vivifici partem masta caloris habens
Et tamen huic redeunt in sensus munera vitæ,
     Cum novus herbosam flosculus ornat humum, &c.

David Herlicius, épigram. lib. VI.

M. Falconet, medecin de Paris, étant en Bresse, vit apporter une masse de terre que les pêcheurs avoient tirée de l’eau ; & après l’avoir lavée & débrouillée, il apperçut que ce n’étoit autre chose qu’un amas d’hirondelles qui approchées du feu se déroidirent & reprirent la vie. On lui assura qu’il n’étoit pas rare d’en pêcher de la sorte en cette province. Traité de l’incertitude, &c. tome I. page 131. Tous ces faits vérifient bien la remarque de Pline, qui sert d’épigraphe à l’ouvrage de M. Bruhier : « telle est la condition des hommes, dit ce savant naturaliste, ils sont exposés à des jeux de hasard,