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vaporent ; & enfin, après leur dissipation il ne reste aucun vestige d’homme. Il me paroît qu’on pourroit distinguer dans la mort deux états bien différens, & établir en conséquence deux especes ou deux degrés remarquables de mort. J’appellerai le premier degré mort imparfaite, ou susceptible de secours, qui comprendra tout ce tems où il n’y a qu’un simple inexercice des fonctions vitales, & où les organes, instrumens de ces fonctions, sont encore propres à recommencer leur jeu. Le second degré le complément de la mort imparfaite, sera connu sous le nom de mort absolue, irrévocablement décidée. Il est caractérisé non-seulement par la cessation des mouvemens, mais encore par un état des organes tels qu’ils sont dans une impossibilité physique de les renouveller ; ce qui arrive le plus souvent par leur destruction opérée par la putréfaction, ou par des moyens méchaniques, quelquefois aussi par un desséchement considérable, ouvrage de l’art ou de la nature. Le tems qui se passe entre la mort imparfaite, & la mort absolue, est indéterminé ; il varie suivant les causes, les sujets, les accidens, les saisons, &c. En général, l’intervalle est plus long dans ceux qui meurent subitement ou de mort violente, que dans ceux où la mort est l’effet d’une maladie, ou de la vieillesse ; dans les enfans que dans les adultes, dans l’hiver que dans l’été, sous l’eau que dans un air libre, &c. La distinction que je viens d’établir, est fondée sur un grand nombre de faits par lesquels il conste évidemment que des personnes ont resté pendant assez long-tems dans cet état que nous avons appellé mort imparfaite, & qui après cela, ou par des secours appropriés, ou d’elles-mêmes, sont revenues à la vie. De ce nombre sont les morts volontaires ou extatiques ; quelques historiens assurent avoir vû des personnes qui par le seul acte de la volonté, suspendoient chez eux tous les mouvemens vitaux, & restoient pendant un certain tems sans pouls, sans respiration, roides, glacées, & après cela reprenoient d’elles-mêmes l’exercice des sens. Cheyne auteur connu, digne de foi, raconte qu’il a été témoin oculaire d’un semblable fait, & que la mort lui paroissoit si bien décidée, qu’il avoit déja pris le parti de se retirer ; cependant l’extase finit, la mort cessa, le pouls & la respiration revinrent par degrés. Il y a des gens qui réiterent souvent pour satisfaire les curieux ces morts imparfaites. On dit que les Lapons sur-tout excellent dans ce métier ; on en a cependant vû quelquefois mourir tout-à-fait victimes de ces dangereuses tentatives, de même qu’un anglois qui pouvoit suspendre avec la main le mouvement de son cœur ; il mourut enfin ayant poussé trop loin cette expérience. Le traité important, quoique mal digéré, que M. Bruhier médecin a donné sur l’incertitude des signes de la mort, contient un recueil intéressant & curieux d’observations, qu’il a pris la peine de rassembler & d’extraire de différens auteurs, qui prouvent que des morts mis sur la paille, dans la biere, & dans le tombeau même, en sont sortis vivans, après plusieurs jours.

Mais ce qu’il y a de plus terrible, & qu’il est à propos de remarquer dans ces histoires, c’est que presque toutes ces résurrections naturelles sont l’effet d’un heureux hasard, ou d’un concours de circonstances inattendues. Ainsi une jeune fille morte de la petite vérole revint en vie, parce que le bedeau qui la portoit laissa tomber le cercueil, dont les ais mal unis se dessassemblerent ; la secousse de cette chûte fit donner à l’enfant des signes de vie ; on la reporta chez elle, où elle revint en parfaite santé. Traité de l’incertitude des signes de la mort, §. VI. page 153. tome I. Une femme du commun etant exposée sur la paille avec un cierge aux piés, suivant l’usage, quelques jeunes gens renverserent

en badinant le cierge sur la paille qui prit feu à l’instant : dans le même moment la morte se ranima, poussa un cri perçant, & vécut long-tems après. Ibid. §. IV. page 68. Plusieurs personnes enterrées avec des bijoux, doivent la vie à l’avidité des fossoyeurs ou des domestiques, qui sont descendus dans leurs tombeaux pour les voler ; les secousses, l’agitation, les efforts faits pour arracher les anneaux, pour les dépouiller, ont rappellé ces morts imparfaits à la vie. Voyez les observations rapportées dans l’ouvrage déja cité, tome I. page 53, 61, 98, 134, 170. &c. Dans d’autres la mort a été dissipée par des incisions faites pour les ouvrir : une femme dont Terrili raconte l’histoire, donna des signes de vie au second coup de bistouri ; il est arrivé quelquefois que la vie s’est manifestée trop tard dans de semblables circonstances ; le mort ressuscité a perdu la vie sous le couteau anatomique. Ce fut un pareil événement qui causa tous les malheurs du grand Vesale, ayant ouvert un gentilhomme espagnol, il apperçut dès qu’il eut enfoncé le bistouri quelques signes de vie ; & la poitrine ouverte lui fit observer le mouvement du cœur revenu ; le fait devenu public excita les poursuites des parens & des juges de l’inquisition. Philippe II. roi d’Espagne, par autorité ou plutôt par prieres, vint à bout de le soustraire à l’avidité de ce cruel tribunal, à condition qu’il expieroit son crime par un voyage à la Terre-Sainte. On raconte du cardinal Espinosa, premier ministre de Philippe II. qu’ayant été disgracié, il mourut de douleur. Lorsqu’on l’ouvrit pour l’embaumer, il porta la main au rasoir du chirurgien, & on trouva son cœur palpitant ; ce qui n’empêcha pas le chirurgien barbare de continuer son opération, & de le mettre par là dans l’impossibilité d’échapper à la mort. Il y a plusieurs exemples de personnes qu’on alloit enterrer, ou qui l’étoient déja, que la tendresse officieuse ou l’incrédulité d’un amant, d’un parent, d’un ami, d’un mari, d’une femme, &c. ont retiré des bras de la mort. Un homme au retour d’un voyage, apprend que sa femme est morte & inhumée depuis trois jours : inconsolable de sa perte, & ne pouvant se persuader qu’elle fût réelle, descend comme un autre Orphée dans son tombeau, & plus heureux ou plus malheureux que lui, il trouve le secret de lui rendre la vie & la santé. La même chose arriva à un négociant, qui revenant aussi d’un voyage deux jours après la mort de sa femme, la trouva exposée à sa porte dans le moment que le clergé alloit s’emparer de son corps, il fit monter la biere dans sa chambre, en tira le corps de sa femme, qui ne donna aucun signe de vie. Pour mieux s’assurer de sa mort, & pour tâcher de la dissiper, s’il étoit possible, il lui fit faire des scarifications & appliquer les ventouses ; on en avoit déja mis vingt-cinq sans le moindre succès, lorsqu’une vingt-sixieme fit crier à la morte ressuscitée, ah, que vous me faites mal ! Miladi Roussel, femme d’un colonel anglois, dut la vie à l’extrème tendresse de son mari, qui ne voulut pas permettre qu’on l’enterrât, quoiqu’elle parût bien morte, jusqu’à ce qu’il se manifestât quelque signe de putréfaction. Il la garda ainsi pendant sept jours, après lesquels la morte se réveilla comme d’un profond sommeil au son des cloches d’une église voisine. Voyez d’autres observations semblables dans l’ouvrage déja cité, tome I. pages 69, 94, 106, 108, &c. & tome II. pages 56 & 58. Quelques morts dont l’enterrement a été différé par quelque cause imprévue, sont précisément revenus à la vie dans cet intervalle : un témoin oculaire raconte & certifie qu’étant à Toulouse dans l’église de saint Etienne, il vit arriver un convoi dont on différa la cérémonie jusqu’àprès un sermon pendant lequel on déposa le corps