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pieces de toile en draps d’Angleterre ; or la valeur de ces cent pieces de toile ne pouvoit pas être réglée sur la quantité des draps d’Angleterre, ni sur ce qu’elles valoient à Amsterdam, parce que ces draps étoient d’une plus grande valeur à Amsterdam qu’à Londres où ils devoient être livrés. Réciproquement, la valeur des draps d’Angleterre ne pouvoit pas être réglée sur la quantité des toiles d’Hollande, ni sur ce que ces draps valoient à Londres, parce que les toiles étoient d’une plus grande valeur à Londres qu’à Amsterdam où elles avoient été livrées.

L’argent étant très-portatif, & par cette qualité à-peu-près de la même valeur en différens endroits, étoit employé à servir de mesure pour connoître la proportion des effets livrés en différens endroits. Si les cent pieces de toile valoient à Amsterdam mille onces d’argent fin, & que mille onces d’argent fin valussent à Londres vingt pieces de draps de la qualité que le marchand hollandois demandoit en échange ; alors vingt pieces de ce drap livrées à Londres, étoient l’équivalent de ces cent pieces de toile livrées à Amsterdam.

Les contrats, promesses, &c. étant payables en effets, étoient sujets aux disputes, les effets de même espece différant beaucoup en valeur. Exemple : A prêtoit cinquante mines de blé à B, & B s’engageoit à les rendre dans une année. A prétendoit que le blé que B lui rendoit, n’étoit pas de la bonté de celui qu’il avoit prêté ; & comme le blé n’étoit pas susceptible d’un titre, on ne pouvoit pas juger du préjudice que A recevoit, en prenant son payement en blé, d’une qualité inférieure : mais l’argent étant capable d’un titre, étoit employé à servir de valeur dans laquelle on contractoit ; alors celui qui prêtoit, prenoit le contrat payable en tant d’onces d’argent, de tel titre, & par-là évitoit toute dispute.

On avoit de la peine de trouver des effets que l’on demandoit en échange. Exemple : A avoit du blé plus qu’il n’en avoit besoin, & cherchoit à troquer contre du vin ; mais comme le pays n’en produisoit point, il étoit obligé de transporte : son blé, pour le troquer, sur les lieux où il y avoit du vin.

L’argent étant plus portatif, étoit employé à servir de moyen terme, par lequel les effets pouvoient être plus commodément échangés ; alors A troquoit son blé contre l’argent, & portoit l’argent sur les lieux, pour acheter les vins dont il avoit besoin.

L’argent avec ses autres qualités, étant divisible sans diminuer de sa valeur, étant d’ailleurs portatif, étoit d’autant plus propre à servir à ces usages ; & ceux qui possédoient des effets dont ils n’avoient pas immédiatement besoin, les convertissoient en argent. Il étoit moins embarrassant à garder que les autres effets : sa valeur étoit alors moins sujette au changement ; comme il étoit plus durable, & divisible sans perdre de sa valeur, on pouvoit s’en servir en tout ou en partie selon le besoin ; donc, l’argent en matiere, ayant les qualités nécessaires, étoit employé à servir aux usages auxquels la monnoie sert présentement. Étant capable de recevoir une empreinte, les princes établirent des bureaux pour le porter à un titre, & le fabriquer. Par-là, le titre & poids étoient connus, & l’embarras de le peser & rafiner épargné.

Mais la fabrique ne donne pas la valeur à la monnoie, & sa valeur n’est pas imaginaire. La monnoie reçoit sa valeur des matieres dont elle est composée ; & sa valeur est plus ou moins forte, selon que la quantité est proportionnelle à la demande. Ainsi sa valeur est réelle, comme la valeur des blés, vins & autres effets. Il est vrai, que si les hommes trouvoient quelque autre métal plus propre que l’argent, à faire la monnoie, & à servir

aux autres usages auxquels l’argent en matiere est employé, comme de faire de la vaisselle, & que ce métal fût à bon marché, l’argent baisseroit considérablement de sa valeur, & ne vaudroit pas la dépense de le tirer des mines. De-même, si les hommes trouvoient quelque boisson plus agréable, plus saine, & à meilleur marché que le vin, les vignes ne seroient plus estimées, & ne vaudroient pas la dépense de les cultiver. On employeroit les terres à produire ce qui suppléeroit alors à l’usage du vin.

Il n’est pas difficile de répondre à la troisieme question, si le souverain doit faire des changemens à la monnoie, l’affoiblir, la surhausser, & fixer la proportion entre l’or & l’argent. L’expérience a fait voir que la premiere opération est funeste, la seconde & la troisieme inutiles. Tout affoiblissement de monnoie dans un royaume, au-lieu d’attirer les especes & matieres étrangeres, fait transporter les especes du pays quoique plus foibles, & les matieres en pays étrangers. Sous le nom d’affoiblissement, j’entends les frais de la fabrique, les droits que les princes prennent sur la monnoie, les surhaussemens des especes, & la diminution de leur poids ou titre.

Le surhaussement des monnoies n’en augmente pas le prix. On a été long-tems dans cette erreur, que la même quantité d’especes surhaussées, faisoit le même effet, que si la quantité avoit été augmentée. Si, en faisant passer l’écu de trois livres pour quatre, on augmentoit la valeur de l’écu ; & que cet écu ainsi surhaussé produisît le même effet que quatre livres produisoient, quand l’écu étoit à trois livres, il n’y auroit rien à dire. Mais cette idée est la même, que si un homme qui auroit trois cens aunes d’étoffe pour tapisser un appartement, prétendoit faire servir les trois cens aunes, en les mesurant avec une aune de trois quarts, il auroit alors quatre cens aunes d’étoffe ; cependant l’apparcement ne sera pas tapissé plus complétement. Les surhaussemens font que les especes valent plus de livres, mais c’est en rendant les livres moins valables.

Je veux croire que les ministres savent bien que les surhaussemens des especes ne les rendent pas plus valables, & qu’ils ne font de changement dans la monnoie, que pour épargner ou trouver des sommes au prince ; mais il est vraissemblable qu’ils ne savent pas toutes les mauvaises suites de ces changemens.

Les anciens estimoient la monnoie sacrée ; elle étoit fabriquée dans les temples ; les Romains fabriquoient la monnoie aux dépens de l’état ; le même poids en matiere & en espece de même titre, étoit de la même valeur.

L’autorité publique, en fabriquant la monnoie, est supposée garantir que les especes seront continuées de même poids & titre, & exposées pour le même nombre de livres, sols & deniers. Le prince est obligé en justice & en honneur, envers ses sujets & les étrangers qui trafiquent avec eux, de ne point faire de changement dans la monnoie. C’est la quantité & la qualité de la matiere qui font la valeur de la monnoie, & non le prix marqué par le prince. Les matieres qui sont propres aux usages de la monnoie, doivent être fabriquées, mais le prix des especes faites de différentes matieres, ne doit pas être reglé par le prince.

Il ne doit pas non plus fixer la proportion entre l’or & l’argent, parce qu’elle varie sans cesse, & ce changement occasionne dans l’intervalle des transports ruineux, ou nuit à certains commerces. Il suffit que le prix du marc d’argent soit fixé, le commerce fixera, suivant ses besoins, le prix du