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limitée par sa nature même, par l’intention de ceux de qui le monarque la tient, & par les loix fondamentales de son état. Comme les peuples qui vivent sous un bonne police, sont plus heureux que ceux qui, sans regles & sans chefs, errent dans les forêts ; aussi les monarques qui vivent sous les lois fondamentales de leur état sont-ils plus heureux que les princes despotiques, qui n’ont rien qui puisse regler le cœur de leurs peuples, ni le leur. (D. J.)

Monarchie élective, (Gouvernement politiq.) On appelle ainsi tout gouvernement dans lequel on ne parvient à la royauté que par élection ; c’est sans doute une maniere très-légitime d’acquérir la souveraineté, puisqu’elle est fondée sur le consentement & le choix libre du peuple.

L’élection d’un monarque est cet acte par lequel la nation désigne celui qu’elle juge le plus capable de succéder au roi défunt pour gouverner l’état ; & sitôt que cette personne a accepté l’offre du peuple, elle est revêtue de la souveraineté.

L’on peut distinguer deux sortes de monarchies électives, l’une dans laquelle l’élection est entierement libre, l’autre dans laquelle l’élection est gênée à certains égards. La premiere a lieu lorsque le peuple peut choisir pour monarque celui qu’il juge à-propos ; l’autre, quand le peuple par la constitution de l’état est astreint d’élire pour souverain une personne qui soit d’une certaine nation, d’une certaine famille, d’une certaine religion, &c. Parmi les anciens Perses, aucun, dit Ciceron, ne pouvoit être élu roi s’il n’avoit été instruit par les Mages.

Mais une nation qui jouit du privilege d’élever à la monarchie un de ses citoyens, & principalement une nation qui seroit encore soumise aux lois de la nature, n’est-elle pas en droit de tenir à ce citoyen lors de ton élection, le discours suivant ?

« Nous sommes bien aises de mettre la puissance entre vos mains, mais en même tems nous vous recommandons d’observer les conventions faites entre nous ; & comme elles tendent à entretenir une réciprocité de secours si parfaite qu’aucun ne manque, s’il est possible, du nécessaire & de l’utile, nous vous enjoignons de veiller de votre mieux à la conservation de cet ordre, de nous faciliter les moyens efficaces de le maintenir, & de nous encourager à les mettre en usage. La raison nous a prescrit cette regle, & nous vous prions de nous y rappeller sans cesse. Nous vous conférons le pouvoir & l’autorité des lois sur chacun de nous ; nous vous en faisons l’organe & le héraut. Nous nous engageons à vous aider, & à contraindre avec vous quiconque de nous seroit assez dépourvu de sens pour désobéir. Vous devez concevoir en même tems que si vous même alliez jusqu’à nous imposer quelque joug contraire aux lois, ces mêmes lois vous déclarent déchu de tout pouvoir & de toute autorité.

» Nous vous jugeons capable de nous gouverner, nous nous abandonnons avec confiance aux directions de vos conseils : c’est un premier hommage que nous rendons à la supériorité des talens dont la nature vous a doué. Si vous êtes fidele à vos devoirs, nous vous chérirons comme un présent du ciel, nous vous respecterons comme un pere : voilà votre récompense, votre gloire, votre grandeur. Quel bonheur de pouvoir mériter que plusieurs milliers de mortels vos égaux s’intéressent tendrement à votre existence & à votre conservation !

» Dieu est un être souverainement bienfaisant ; il nous a fait sociables, maintenez-nous dans la société que nous avons choisie ; comme il est le moteur de la nature entiere, où il entretient un ordre admirable, soyez le moteur de notre corps politi-

que : en cette qualité vous semblerez imiter l’Etre

suprème. Du reste, souvenez-vous qu’à l’égard de ce qui vous touche personnellement, vous n’avez d’autres droits incontestables, d’autres pouvoirs que ceux qui lient le commun des citoyens, parce que vous n’avez point d’autres besoins, & que vous n’éprouvez pas d’autres plaisirs. Si nous pensons que quelqu’un des vôtres soit après vous capable du même commandement, nous y aurons beaucoup d’égard, mais par un choix libre & indépendant de toute prétention de leur part ».

Quelle capitulation, quel droit d’antique possession peut prescrire contre la vérité de cet édit perpétuel, peut en affranchir les souverains élus à ces conditions ? Que dis-je, ce seroit les priver d’un privilege qui les revêt du pouvoir de suprèmes bienfaiteurs, & les rend par là véritablement semblables à la divinité. Que l’on juge sur cet exposé de la forme ordinaire des gouvernemens ! (D. J.)

Monarchie limitée, (Gouvernement.) sorte de monarchie où les trois pouvoirs sont tellement fondus ensemble, qu’ils se servent l’un à l’autre de balance & de contrepoids La monarchie limitée héréditaire, paroît être la meilleure forme de monarchie, parce qu’indépendamment de sa stabilité, le corps législatif y est composé de deux parties, dont l’une enchaîne l’autre par leur faculté mutuelle d’empêcher ; & toutes les deux sont liées par la puissance exécutrice, qui l’est elle-même par la législative. Tel est le gouvernement d’Angleterre, dont les racines toujours coupées, toujours sanglantes, ont enfin produit après des siecles, à l’étonnement des nations, le mélange égal de la liberté & de la royauté. Dans les autres monarchies européennes que nous connoissons, les trois pouvoirs n’y sont point fondus de cette maniere ; ils ont chacun une distribution particuliere suivant laquelle ils approchent plus ou moins de la liberté politique. Il paroît qu’on jouit en Suede de ce précieux avantage, autant qu’on en est éloigné en Danemark ; mais la monarchie de Russie est un pur despotisme. (D. J.)

MONARQUE, s. m. (Gouvernement.) souverain d’un état monarchique. Le trône est le plus beau poste qu’un mortel puisse occuper, parce que c’est celui où on peut faire le plus de bien. J’aime à voir l’intérêt que l’auteur de l’esprit des lois prend au bonheur des princes, & la vénération qu’il porte à leur rang suprème.

Que le monarque, dit-il, n’ait point de crainte, il ne sauroit croire combien on est porté à l’aimer. Eh ! pourquoi ne l’aimeroit-on pas ? Il est la source de presque tout le bien qui se fait, & presque toutes les punitions sont sur le compte des lois. Il ne se montre jamais au peuple qu’avec un visage serein : sa gloire même se communique à nous, & sa puissance nous soutient. Une preuve qu’on le chérit, c’est qu’on a de la confiance en lui, & que lorsqu’un ministre refuse, on s’imagine toujours que le prince auroit accordé, même dans les calamités publiques : on n’accuse point sa personne ; on se plaint de ce qu’il ignore, ou de ce qu’il est obsédé par des gens corrompus. Si le prince savoit, dit le peuple : ces paroles sont une espece d’invocation.

Que le monarque se rende donc populaire ; il doit être flatté de l’amour du moindre de ses sujets : ce sont toujours des hommes. Le peuple demande si peu d’égards, qu’il est juste de les lui accorder : la distance infinie qui est entre le monarque & lui, empêche bien qu’il n’en soit gêné. Il doit aussi savoir jouir de soi à part, dit Montagne, & se communiquer comme Jacques & Pierre à soi-même. La clémence doit être sa vertu distinctive ; c’est le caractere d’une belle ame que d’en faire usage, disoit Ciceron à César.