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ce au cœur : après qu’on a satisfait en particulier à l’infame passion dont il est ici question, on reste foible, anéanti, & dans une triste confusion qui augmente encore la foiblesse. Sanctorius, exact observateur de tous les changemens opérés dans la machine, assure que « l’évacuation même immodérée de semence dans le commerce avec une femme qu’on a desiré passionnément, n’est point suivie des lassitudes ordinaires ; la consolation de l’esprit aide alors la transpiration du cœur, augmente sa force, & donne lieu par-là à une prompte réparation des pertes que l’on vient de faire ». Sect. vj. aphor G. C’est ce qui a fait dire à l’auteur du tableau de l’amour conjugal, que le commerce avec une jolie femme affoiblissoit moins qu’avec une autre.

3°. La manustrupation étant devenue, comme il arrive ordinairement, passion ou fureur, tous les objets obscènes, voluptueux, qui peuvent l’entretenir & qui lui sont analogues, se présentent sans cesse à l’esprit qui s’absorbe tout entier dans cette idée, il s’en repaît jusque dans les affaires les plus sérieuses, & pendant les pratiques de religion ; on ne sauroit croire à quel point cette attention à un seul objet énerve & affoiblit. D’ailleurs les mains obéissant aux impressions de l’esprit se portent habituellement aux parties génitales ; ces deux causes rendent les érections presque continuelles ; il n’est pas douteux que cet état des parties de la génération n’entraîne la dissipation des esprits animaux ; il est constant que ces érections continuelles, quand même elles ne seroient pas suivies de l’évacuation de semence, épuisent considérablement : j’ai connu un jeune homme qui ayant passé toute une nuit à côté d’une femme sans qu’elle voulût se prêter à ses desirs, resta pendant plusieurs jours extraordinairement affoibli des simples efforts qu’il avoit fait pour en venir à bout.

4°. On peut tirer encore une nouvelle raison de l’attitude & de la situation gênée des mastrupateurs dans le tems qu’ils assouvissent leur passion, qui ne contribue pas peu à la foiblesse qui en résulte & qui peut même avoir d’autres inconvéniens, comme il paroît par une observation curieuse que. M. Tissot rapporte d’un jeune homme qui, donnant dans une débauche effrénée sans choix des personnes, des lieux & des postures, satisfaisoit ses desirs peu délicats souvent tout droit dans des carrefours, fut attaqué d’un rhumatisme cruel aux reins & d’une atrophie, & demi-paralysie aux cuisses & aux jambes, qui le mirent au tombeau dans quelques mois.

Pour donner un nouveau poids à toutes ces raisons, nous choisirons parmi une foule de faits celui que rapporte M. Tissot, comme plus frappant & plus propre à inspirer une crainte salutaire à ceux qui ont commencé de se livrer à cette infame passion. Un jeune artisan, robuste & vigoureux, contracta à l’âge de dix-sept ans cette mauvaise habitude, qu’il poussa si loin qu’il y sacrifioit deux ou trois fois par jour. Chaque éjaculation étoit précédée & accompagnée d’une légere convulsion de tout le corps, d’un obscurcissement dans la vûe, & en même tems la tête étoit retirée en arriere par un spasme violent des muscles postérieurs, pendant que le col se gonfloit considérablement sur le devant. Après environ un an passé de cette façon, une foiblesse extrème se joignit à ces accidens qui, moins forts que sa passion, ne purent encore le détourner de cette pernicieuse pratique ; il y persista jusqu’à ce qu’enfin il tomba dans un tel anéantissement que craignant la mort qui lui sembloit prochaine, il mit fin à ses déréglemens. Mais il fut sage trop tard, la maladie avoit déja jetté de profondes racines. La continence la plus exacte ne pût en arrêter les progrès. Les parties génitales étoient devenues si mobiles, que le moindre

aiguillon suffisoit pour exciter une érection imparfaite même à son insû, & déterminer l’excrétion de semence ; la rétraction spasmodique de la tête étoit habituelle, revenoit par intervalles, chaque paroxisme duroit au moins huit heures, quelquefois il s’étendoit jusqu’à quinze, avec des douleurs si aiguës que le malade poussoit des hurlemens affreux ; la déglutition étoit pour-lors si gênée qu’il ne pouvoit prendre la moindre quantité d’un aliment liquide & solide, sa voix étoit toûjours rauque, ses forces étoient entierement épuisées. Obligé d’abandonner son métier, il languit pendant plusieurs mois sans le moindre secours, sans consolation, pressé au contraire par les remords que lui donnoit le souvenir de ses crimes récens, qu’il voyoit être la cause du funeste état où il se trouvoit réduit. C’est dans ces circonstances, raconte M. Tissot, qu’ayant ouï parler de lui, j’allai moi-même le voir : j’apperçus un cadavre étendu sur la paille, morne, défait, pâle, maigre, exhalant une puanteur insoutenable, presqu’imbécille, & ne conservant presqu’aucun caractere d’homme, un flux involontaire de salive inondoit sa bouche, attaqué d’une diarrhée abondante il étoit plongé dans l’ordure. Ses narines laissoient échapper par intervalles un sang dissous & aqueux ; le désordre de son esprit peint dans ses yeux & sur son visage étoit si considérable qu’il ne pouvoit dire deux phrases de suite. Devenu stupide, hébêté, il étoit insensible à la triste situation qu’il éprouvoit. Une évacuation de semence fréquente sans érection ni chatouillement, ajoutoient encore à sa foiblesse & à sa maigreur excessive ; parvenu au dernier degré de marasme, ses os étoient presque tous à découvert à l’exception des extrémités qui étoient œdémateuses ; son pouls étoit petit, concentré, fréquent ; sa respiration gênée, anhéleuse ; les yeux qui dès le commencement avoient été affoiblis, étoient alors troubles, louches, recouverts d’écailles (lemosi) & immobiles : en un mot, il est impossible de concevoir un spectacle plus horrible. Quelques remedes toniques employés diminuerent les paroxismes convulsifs, mais ils ne purent empêcher le malade de mourir quelque tems après ayant tout le corps bouffi, & ayant commencé depuis longtems de cesser de vivre. On trouve plusieurs autres observations à-peu-près semblables dans différens auteurs, & sur-tout dans le traité anglois dont nous avons parlé, & dans l’ouvrage intéressant de M. Tissot. Il n’est même personne qui ayant vécu avec des jeunes gens n’en ait vû quelqu’un qui, livré à la manustupration, n’ait encouru par-là des accidens très fâcheux ; c’est un souvenir que je ne rappelle encore qu’avec effroi, j’ai vû avec douleur plusieurs de mes condisciples emportés par cette criminelle passion, dépérir sensiblement, maigrir, devenir foibles, languissans, & tomber ensuite dans une phthysie incurable.

Il est à remarquer que les accidens sont plus prompts & plus fréquens dans les hommes que dans les femmes ; on a cependant quelques observations rares des femmes qui sont devenues par-là hystériques, qui ont été attaqués de convulsions, de douleurs de reins, qui ont éprouvé en conséquence des chûtes, des ulceres de la matrice, des dartres, des allongemens incommodes du clitoris : quelques-unes ont contracté la fureur utérine : une femme à Montpellier mourut d’une perte de sang pour avoir soutenu pendant toute une nuit les caresses successives de six soldats vigoureux. Quoique les hommes fournissent plus de tristes exemples que les femmes, ce n’est pas une preuve qu’elles soient moins coupables ; on peut assurer qu’en fait de libertinage les femmes ne le cedent en rien aux hommes ; mais répandant moins de vraie semence dans l’éjaculation,