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séparément les bêtes de charge, afin de n’avoir aucun embarras, au cas qu’il fallût combattre : les vélites marchoient à la tête. Le général qui étoit toujours accompagné de soldats d’élite, se tenoit au milieu, ou dans l’endroit où sa présence étoit nécessaire, la marche ne se faisoit ainsi que quand on craignoit d’être attaqué.

Quand on étoit prêt d’arriver à l’endroit où l’on devoit camper, on envoyoit devant les tribuns & les centurions avec des arpenteurs, ou ingénieurs, pour choisir un lieu avantageux, & en tracer les limites ; les soldats y entroient comme dans une ville connue & policée, parce que les camps étoient presque toujours uniformes.

Les travaux des soldats dans les siéges, & dans d’autres occasions, étoient fort pénibles. Ils étoient obligés, par exemple, de faire des circonvallations, de creuser des fossés, &c. Durant la paix, on leur faisoit faire des chemins, construire des édifices, & bâtir même des villes entieres, si l’on en croit Dion Cassius, qui l’assure de la ville de Lyon. Il en est ainsi de la ville de Doesbourg dans les Pays-Bas, dans la Grande-Bretagne, de cette muraille dont il y a encore des restes, & d’un grand nombre de chemins magnifiques.

Le troisieme exercice, étoit celui des armes qui se faisoit tous les jours dans le tems de paix, comme dans le tems de guerre, par tous les soldats excepté les vétérans ; les capitaines mêmes & les généraux, comme Scipion, Pompée, & d’autres, se plaisoient à faire l’exercice ; c’étoit sur-tout dans les quartiers d’hyver qu’on établissoit des exercices auxquels présidoit un centurion, ou un vétéran d’une capacité reconnue. La pluie ni le vent ne les interrompoient point, parce qu’ils avoient des endroits couverts destinés à cet usage. Les exercices des armes étoient de plusieurs especes ; dans la marche on avoit surtout égard à la vîtesse, c’est pourquoi trois fois par mois on faisoit faire dix mille pas aux soldats armés, & quelquefois chargés de fardeaux fort pesans ; ils en faisoient même vingt mille ; si l’on en croit Végece, ils étoient obligés d’aller & de venir avec beaucoup de célérité.

Le second exercice, étoit la course sur la même ligne ; on obligeoit les soldats de courir quatre mille pas armés & sous leurs enseignes. Le troisieme consistoit dans le saut, afin de savoir sauter les fossés quand il en étoit besoin. Un quatrieme exercice, regardé comme important, étoit de nager ; il se pratiquoit dans la mer, ou dans quelque fleuve, lorsque l’armée se trouvoit campée sur le rivage, ou dans le Tibre proche le champ de Mars. Le cinquieme exercice étoit appellé palaria ; il consistoit à apprendre à frapper l’ennemi, & pour cela le soldat s’exerçoit à donner plusieurs coups à un pieu qui étoit planté à quelque distance, ce qu’ils faisoient en présence d’un vétéran, qui instruisoit les jeunes. Le sixieme exercice montroit la maniere de lancer des fleches & des javelots ; c’étoit proprement l’exercice de ceux qui étoient armés à la légere. Enfin le septieme étoit pour les cavaliers, qui fondoient l’épée à la main sur un cheval de bois. Ils s’exerçoient aussi à courir à cheval, & à faire plusieurs évolutions différentes : voilà les exercices qui étoient les plus ordinaires chez les Romains ; nous supprimons les autres.

La troisieme partie de la discipline militaire consistoit dans les lois de la guerre. Il y en avoit une chez les Romains qui étoit très-sévere, c’étoit contre les vols. Frontin, Stratag. liv. I. ch. iv. nous apprend quelle en étoit la punition. Celui qui étoit convaincu d’avoir volé la plus petite piece d’argent étoit puni de mort. Il n’étoit pas permis à chacun de piller indifféremment le pays ennemi. On y en-

voyoit des détachemens ; alors le butin étoit commun ;

& après que le questeur l’avoit fait vendre, les tribuns distribuoient à chacun sa part, ainsi personne ne quittoit son poste ou son rang. C’étoit encore une loi de ne point obliger les soldats à vuider leurs différends hors du camp, ils étoient jugés par leurs camarades.

Jusqu’à l’an 347, les soldats Romains ne reçurent aucune paye, & chacun servoit à ses dépens. Mais depuis ce tems-là jusqu’à Jules-César, on leur donnoit par jour environ deux oboles, qui valoient cinq sols. Jules-César doubla cette paye, & Auguste continua de leur donner dix sols par jour. Dans la suite la paye augmenta à un point, que du tems de Domitien, ils avoient chacun quatre écus d’or par mois, au rapport de Juste-Lipse ; mais je crois que Gronovius de Pecun. vet. liv. III. chap. 21. pense plus juste, en disant que les soldats avoient douze écus d’or par an. Les centurions recevoient le double de cette somme, & les chevaliers le triple. Quelquefois on donnoit une double ration, ou bien une paye plus forte qu’à l’ordinaire à ceux qui s’étoient distingués par leur courage. Outre cela on accordoit aux soldats quatre boisseaux de blé, mesure romaine, par mois, afin que la disette ne les obligeât pas à piller ; mais il leur étoit défendu d’en vendre. Les centurions en avoient le double, & les chevaliers le triple, ce n’est pas qu’ils mangeassent plus que les autres ; mais ils avoient des esclaves à nourrir : on leur fournissoit aussi de l’orge pour leurs chevaux.

Les fantassins des alliés avoient autant de blé que ceux des Romains ; mais leurs chevaliers n’avoient que huit boisseaux par mois, parce qu’ils n’avoient pas tant de monde à nourrir que les chevaliers romains. Tout cela se donnoit gratis aux alliés, parce qu’ils servoient de même. On retranchoit aux Romains une fort petite partie de leur paye, pour le blé & les armes qu’on leur fournissoit. On leur donnoit aussi quelquefois du sel, des légumes, du lard ; ce qui arriva sur-tout dans les derniers tems de la république. Il n’étoit permis à personne de manger avant que le signal fût donné, & il se donnoit deux fois par jour ; ils dinoient debout, frugalement, & ne mangeoient rien de cuit dans ce repas : leur souper qu’ils apprêtoient eux-mêmes, valoit un peu mieux que leur dîner. La boisson ordinaire des soldats étoit de l’eau pure, ou de l’eau mêlée avec du vinaigre ; c’étoit aussi celle des esclaves.

La récompense & les punitions sont les liens de la société & le soutien de l’état militaire : c’est pour cela que les Romains y ont toûjours eu beaucoup d’égard. Le premier avantage de l’état militaire étoit que les soldats n’étoient point obligés de plaider hors du camp ; ils pouvoient aussi disposer à leur volonté de l’argent qu’ils amassoient à la guerre. Outre cela, le général victorieux récompensoit les soldats qui s’étoient distingués par leur bravoure ; & pour distribuer les récompenses, il assembloit l’armée. Après avoir rendu graces aux dieux, il la haranguoit, faisoit approcher ceux qu’il vouloit récompenser, leur donnoit des louanges publiques, & les remercioit.

Les plus petites récompenses qu’il distribuoit, étoient par exemple, une pique sans fer, qu’il donnoit à celui qui avoit blessé son ennemi dans un combat singulier ; celui qui l’avoit renversé & dépouillé, recevoit un brasselet s’il étoit fantassin ; & s’il étoit cavalier, une espece de hausse-col d’or ou d’argent. On leur faisoit aussi quelquefois présent de petites chaînes, ou de drapeaux, tantôt unis, tantôt de différentes couleurs, & brodés en or.

Les grandes récompenses étoient des couronnes de différentes especes : la premiere & la plus considérable, étoit la couronne obsidionale que l’on don-