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jours couvertes, excepté dans le combat ou dans quelque cérémonie. Les Romains avoient aussi des botines, mais quelquefois une seule à une des deux jambes. Les fantassins portoient de petites botines garnies de clous tout-autour, & qu’on appelloit caligæ, d’où est venu le nom de Caligula, qui fut donné à l’empereur Caïus, parce qu’il avoit été élevé parmi les simples soldats, dans le camp de Germanicus son pere.

Dans les premiers tems, les cavaliers chez les Romains n’avoient qu’une espece de veste, point de selle sur leur cheval, mais une simple couverture. Ils avoient des piques fort légeres, & un bouclier de cuir. Dans la suite, ils emprunterent leurs armes des Grecs, qui consistoient en une grande épée, une longue pique, un casque, un bouclier & une cuirasse ; ils portoient aussi quelquefois des javelots. Voilà à-peu-près les armes des soldats romains, tant à pié qu’à cheval : parlons maintenant de leurs machines de guerre.

Les machines que les Romains employoient pour assiéger les villes, étoient de différentes especes. On nomme d’abord la tortue dont ils se servoient dans les combats, en mettant leurs boucliers sur leurs têtes, pour avancer vers la muraille ; Tite-Live, liv. XLIV. ch. ix. nous en fait une très-belle description : ce qu’on entend ordinairement par tortue, étoit une machine de bois, qui couvroit ceux qui sappoient la muraille. Il y avoit outre cela, les claies, crates ; les mantelets, vineæ, avec d’autres claies couvertes de terre & de peaux de bœufs nouvellement écorchés, plutci. Toutes ces machines servoient à couvrir les travailleurs, à mesure qu’ils approchoient de la muraille. Ils employoient quelquefois des tours, montées sur des roues pour les faire avancer plus facilement, & ces tours avoient souvent plusieurs étages remplis de soldats.

Ils se servoient encore pour abattre les murailles, d’une machine qu’ils nommoient bélier : c’étoit une grosse poutre, au bout de laquelle étoit une masse de fer en forme de tête de bélier, & c’est ce qui lui fit donner ce nom. Cette machine étoit très forte ; aussi quand on assiégeoit une ville, on lui promettoit de la traiter favorablement, si on vouloit se rendre avant qu’on eût fait approcher le bélier, comme nous pouvons faire aujourd’hui par rapport au canon. Ils avoient encore des machines qu’ils appelloient catapultes & balistes, dont la force consistoit dans celle des hommes qui les faisoient agir. Les catapultes servoient à lancer de grands javelots, & les balistes à jetter des pierres, des torches allumées & autres matieres combustibles. On a souvent confondu le nom de ces deux machines, qui servoient à empêcher les ennemis d’approcher du camp ou des villes qu’ils vouloient assiéger. Il faut lire Folard sur ce sujet, que nous ne traitons ici qu’en passant.

De la maniere dont les Romains se rangeoient en bataille. Après avoir parlé des armes & des machines de guerre des Romains, il est à propos d’expliquer la maniere dont ils mettoient une armée en bataille. Elle étoit rangée de façon, que les vélites commençoient le combat : leur place étoit à la tête de toute l’armée, ou entre les deux aîles. Après eux combattoient les piquiers, hastati ; s’ils ne pouvoient enfoncer l’ennemi, ou s’ils étoient eux-mêmes enfoncés, ils se retiroient parmi ceux qu’on appelloit les principes, ou bien derriere eux s’ils étoient fatigués. Quelquefois ils se retiroient peu-à-peu, jusqu’aux triariens, auprès desquels il y avoit un corps de reserve composé des alliés. Alors ceux-ci se levant, car ils étoient assis par terre d’où on les appelloit subsidiarii, rétablissoient le combat. Les mouvemens se faisoient aisément, à cause des interval-

les qui étoient entre les compagnies arrangées en

forme d’échiquier : ces intervalles étoient ou entre les différens ordres des soldats, ou entre les compagnies de chaque ordre.

La cavalerie étoit quelquefois placée derriere l’infanterie, ce qui faisoit qu’on pouvoit l’avoir assez promptement à son secours ; mais le plus souvent on la rangeoit sur les aîles. Les alliés étoient d’un côté, & les citoyens de l’autre. L’infanterie alliée étoit ordinairement rangée aux côtés de celle des Romains. La place du géneral étoit entre ceux qu’on appelloit triariens, pour avoit plus de facilité à envoyer ses ordres partout, étant à-peu-près au centre de l’armée. Il avoit auprès de lui une partie des lieutenans, des tribuns, des préfets, & les principaux de ceux qu’ils appelloient evocati, qui étoient, à ce que je crois, une troupe d’élite. On les distribuoit aussi dans les compagnies, afin d’animer les troupes. Chacun connoissoit si bien le poste qu’il devoit occuper, que dans une nécessité, les soldats pouvoient se ranger sans commandant.

Voilà ce qui regarde la disposition ordinaire de l’armée ; mais elle se rangeoit différemment, selon les circonstances & la situation des lieux. Par exemple, on se mettoit quelquefois en forme de coin, quelquefois en forme de tenailles ou en forme d’une tour. Les centurions assignoient aux simples soldats, le poste qu’ils jugeoient à-propos ; celui qui s’en éloignoit seulement d’un pas, étoit puni très-séverement. Lorsque l’armée étoit en marche, celui qui s’éloignoit assez pour ne plus entendre le son de la trompette, étoit puni comme déserteur.

Les enseignes n’étoient d’abord qu’une botte de foin que portoit chaque compagnie, manipulus fœni : ce qui leur fit donner le nom de manipules. Ils se servirent dans la suite d’un morceau de bois mis en-travers au haut d’une pique, au-dessus de laquelle on voyoit une main, & au-dessous plusieurs petites planches rondes où étoient les portraits des dieux. On y ajouta finalement celui de l’empereur, ce qui se prouve par les médailles & autres monumens. La république étant devenue très-opulente, les enseignes furent d’argent, & les questeurs avoient soin de les garder dans le trésor public. Depuis Marius, chaque légion eut pour enseigne un aigle d’or placée sur le haut d’une pique, & c’étoit dans la premiere compagnie des triariens qu’on la portoit. Avant ce tems-là, on prenoit pour enseigne des figures de loup, de minautaure, de cheval, de sanglier. Les dragons & autres animaux servoient aussi d’enseigne sous les empereurs.

Les cavaliers avoient des étendards à-peu-près semblables à ceux de la cavalerie d’aujourd’hui, sur les quels le nom du général étoit écrit en lettres d’or. Toutes ces enseignes étoient sacrées pour les Romains ; les soldats qui les perdoient étoient mis à mort, & ceux qui les profanoient étoient punis très-sévérement ; c’est pourquoi nous lisons que dans un danger pressant, on jettoit les enseignes au milieu des ennemis, afin que les soldats excités par la honte & par la crainte de la punition, fissent des efforts incroyables pour les recouvrer. Le respect qu’on avoit pour les enseignes, engagea Constantin à faire inscrire les lettres initiales du nom de Jesus-Christ sur l’étendard impérial, appellé labarum.

Avant que de livrer la bataille, le géneral élevé sur un tribunal fait ordinairement de gazon, haranguoit l’armée. Les soldats, pour témoigner leur joie, poussoient de grands cris, levoient leur main droite, ou frappoient leurs boucliers avec leurs piques. Leur crainte & leur tristesse se manifestoient par un profond silence ; plusieurs faisoient leur testament, qui étoit seulement verbal. On appelloit ces testamens, testamenta in procinctu facta, non scripta, sed