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prit, & se lava, s’arrosa de cet or plein ; c’est-à-dire, de la liqueur contenue dans cette coupe d’or :

Ille impiger hausit
Spumantem pateram & pleno se proluit auro :

Auro est pris pour la coupe ; c’est la matiere pour la chose qui en est faite (voyez Synecdoque), ensuite la coupe est prise pour le vin.

Le ciel où les anges & les saints jouissent de la présence de Dieu, se prend souvent pour Dieu même : implorer le secours du ciel ; grace au ciel ; pater, peccavi in cælum & coram te, (mon pere, j’ai péché contre le ciel & contre vous) dit l’enfant prodigue à son pere, (Luc, ch. xv. 18.) le ciel se prend aussi pour les dieux du paganisme.

La terre se tut devant Alexandre, (I. Machab. j. 3.) siluit terra in conspectu ejus ; c’est-à-dire, les peuples de la terre se soumirent à lui. Rome désapprouva la conduite d’Appius, c’est-à-dire, les Romains désapprouverent…

Lucrece a dit (V. 1250.) que les chiens de chasse mettoient une forêt en mouvement ; sepire plagis saltum, canibusque ciere : où l’on voit qu’il prend la forêt pour les animaux qui sont dans la forêt.

Un nid se prend aussi pour les petits oiseaux qui sont encore au nid.

Carcer (prison) se dit en latin d’un homme qui mérite la prison.

IV. Le nom du lieu où une chose se fait, se prend pour la chose même. On dit un caudebec, au lieu de dire un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie.

On dit de certaines étoffes, c’est une marseille, c’est-à-dire, une étoffe de la manufacture de Marseille : c’est une perse, c’est-à-dire, une toile peinte qui vient de Perse.

A-propos de ces sortes de noms, j’observerai ici une méprise de M. Ménage, qui a été suivie par les auteurs du Dictionnaire universel, appellé communément Dictionn. de Trév. c’est au sujet d’une sorte de lame d’épée qu’on appelle olinde : les olindes nous viennent d’Allemagne, & sur-tout de la ville de Solingen, dans le cercle de Westphalie : on prononce Solingue. Il y a apparence que c’est du nom de cette ville que les épées dont je parle ont été appellées des olindes par abus. Le nom d’Olinde, nom romanesque, étoit déja connu comme le nom de Sylvie ; ces sortes d’abus sont assez ordinaires en fait d’étymologie. Quoi qu’il en soit, M. Ménage & les auteurs du Dictionnaire de Trévoux n’ont point rencontré heureusement, quand ils ont dit que les olindes ont été ainsi appellées de la ville d’Olinde dans le Brésil, d’où ils nous disent que ces sortes de lames sont venues. Les ouvrages de fer ne viennent point de ce pays-là : il nous vient du Brésil une sorte de bois que nous appellons brésil ; il en vient aussi du sucre, du tabac, du baume, de l’or, de l’argent, &c. mais on y porte le fer de l’Europe, & sur-tout le fer travaillé.

La ville de Damas en Syrie, au pié du mont Liban, a donné son nom à une sorte de sabres ou de couteaux qu’on y fait : il a un vrai damas, c’est-à-dire, un sabre ou un couteau qui a été fait à Damas. On donne aussi le nom de damas à une sorte d’étoffe de soie, qui a été fabriquée originairement dans la ville de Damas ; on a depuis imité cette sorte d’étoffe à Venise, à Gènes, à Lyon, &c. ainsi on dit damas de Venise, de Lyon, &c. On donne encore ce nom à une sorte de prune, dont la peau est fleurie de façon qu’elle imite l’étoffe dont nous venons de parler.

Faïence est une ville d’Italie dans la Romagne : on y a trouvé la maniere de faire une sorte de vaisselle de terre vernissée qu’on appelle de la faïance ; on a dit ensuite par métonymie, qu’on fait de fort belles

faïances en Hollande, à Nevers, à Rouen, &c.

C’est ainsi que le Lycée se prend pour les disciples d’Aristote, ou pour la doctrine qu’Aristote enseignoit dans le Lycée. Le Portique se prend pour la Philosophie que Zénon enseignoit à ses disciples dans le Portique… on ne pense point ainsi dans le Lycée, c’est-à-dire, que les disciples d’Aristote ne sont point de ce sentiment… le Portique n’est pas toûjours d’accord avec le Lycée, c’est-à-dire, que les sentimens de Zénon ne sont pas toûjours conformes à ceux d’Aristote. Rousseau, pour dire que Cicéron dans sa maison de campagne méditoit la Philosophie d’Aristote & celle de Zénon, s’explique en ces termes : (liv. II. od. iij.)

C’est-là que ce romain, dont l’éloquente voix
D’un joug presque certain sauva sa république,
Fortifioit son cœur dans l’étude des loix
Et du Lycée & du Portique.

Académus laissa près d’Athènes un héritage où Platon enseigna la Philosophie. Ce lieu fut appellé académie, du nom de son ancien possesseur ; de-là la doctrine de Platon fut appellée l’académie. On donne aussi par extension le nom d’académie à différentes assemblées de savans, qui s’appliquent à cultiver les Langues, les Sciences, ou les beaux Arts.

Robert Sorbon, confesseur & aumônier de saint Louis, institua dans l’université de Paris cette fameuse école de Théologie, qui, du nom de son fondateur, est appellée sorbonne : le nom de sorbonne se prend aussi par figure pour les docteurs de sorbonne, ou pour les sentimens qu’on y enseigne : la sorbonne enseigne que la puissance ecclésiastique ne peut ôter aux rois les couronnes que Dieu a mises sur leurs têtes, ni dispenser leurs sujets du serment de fidélité. Regnum meum non est de hoc mundo. Joann. xviij. 36.

V. Le signe pour la chose signifiée.

Dans ma vieillesse languissante,
Le sceptre que je tiens pese à ma main tremblante :

(Quin. Phaët. II. v.) c’est-à-dire, je ne suis plus dans un âge convenable pour me bien acquitter des soins que demande la royauté. Ainsi le sceptre se prend pour l’autorité royale ; le bâton de maréchal de France, pour la dignité de maréchal de France ; le chapeau de cardinal, & même simplement le chapeau, se dit pour le cardinalat.

L’épée se prend pour la profession militaire ; la robe, pour la magistrature & pour l’état de ceux qui suivent le barreau. Corneille dit dans le Menteur : (act. I. sc. j.)

A la fin j’ai quitté la robe pour l’épée.

Cicéron a dit que les armes doivent céder à la robe :

Cedant arma togæ, concedat laurea linguæ ;

C’est-à-dire, comme il l’explique lui-même, (orat. in Pison. n. lxxiij. aliter xxx.) que la paix l’emporte sur la guerre, & que les vertus civiles & pacifiques sont préférables aux vertus militaires : more poëtarum locutus hoc intelligi volui, bellum ac tumultum paci atque otio concessurum.

« La lance, dit Mézerai, (Hist. de Fr. in-fol. tom. III. pag. 900.) étoit autrefois la plus noble de toutes les atmes dont se servissent les gentilshommes françois » : la quenouille étoit aussi plus souvent qu’aujourd’hui entre les mains des femmes. De-là on dit en plusieurs occasions lance pour signifier un homme, & quenouille pour marquer une femme. Fief qui tombe de lance en quenouille, c’est-à-dire, qui passe des mâles aux femmes. Le royaume de France ne tombe point en quenouille, c’est-à-dire,