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ment & tant avec de pureté, qu’il n’est pas permis de le passer sous silence.

Il est vraissemblable qu’il naquit sous le regne d’Auguste, & qu’il écrivit au commencement du regne de Tibere ; c’est ce qu’on peut inférer d’un passage de Columelle qui vivoit du tems de Claude, & qui parle de Celse comme d’un auteur qui avoit écrit avant lui, mais qu’il avoit vû. Corneille Celse, dit-il, notre contemporain, a renfermé dans cinq livres tout le corps des beaux-arts ; & ailleurs Julius Atticus & Corneille Celse sont deux écrivains célebres de notre âge. Quintilien remarque aussi que Celse avoit écrit non-seulement de la Médecine, mais de tous les arts libéraux ; cependant de tous ses ouvrages il ne nous reste que ceux qui concernent la Médecine, & quelques fragmens de la rhétorique.

Toute la Médecine de cet auteur judicieux est renfermée dans huit livres, dont les quatre premiers traitent des maladies internes, ou de celles qui se guérissent principalement par la diete. Le cinquieme & le sixieme, des maladies externes ; à quoi il a ajouté diverses formules de médicamens internes & externes. Le septieme & le huitieme parlent des maladies qui appartiennent à la Chirurgie.

Hippocrate & Asclépiade sont les principaux guides que Celse a choisis, quoiqu’il ait emprunté plusieurs choses de ses contemporains : il suit le premier, lorsqu’il s’agit du prognostic & de plusieurs opérations de Chirurgie. Il va même jusqu’à traduire sur cette matiere Hippocrate mot-à-mot, d’où il a acquis le surnom d’Hippocrate latin. Quant au reste de la Médecine, il paroît s’être conformé à Asclépiade, qu’il cite comme un bon auteur, & dont il convient avoir tiré de grands secours. Voilà ce qui a donné lieu à quelques-uns de compter Celse entre les méthodiques. Mais quand il ne seroit pas évident par la maniere dont il parle des trois sectes principales qui partageoient la Médecine de son tems, qu’il n’en embrasse aucune en particulier, on n’auroit qu’à conférer sa pratique avec celle des méthodiques pour se garantir ou pour sortir de cette erreur. En un mot, si Celse ne se déclara pas pour la secte éclectique, il est du-moins certain qu’il en suivit les principes, choisissant avec beaucoup d’esprit ce qui lui paroissoit le meilleur dans chaque secte & dans chaque auteur. On en peut juger par ses écrits qui sont entre les mains de tout le monde ; il seroit inutile par cette seule raison d’en faire ici l’analyse ; mais je ne puis m’empêcher de rapporter le conseil qu’il donne pour la conservation de la santé, & qui seul peut suffire pour faire connoître son génie & ses lumieres.

Un homme né, dit-il, d’une bonne constitution, qui se porte bien & qui ne dépend de personne, doit ne s’assujettir à aucun régime & ne consulter aucun médecin. Pour diversifier sa maniere de vivre, qu’il demeure tantôt à la campagne, tantôt à la ville ; mais plus souvent à la campagne. Il navigera, il ira à la chasse, il se reposera quelquefois, & prendra fréquemment de l’exercice, car le repos affoiblit & le travail rend fort. L’un hâte la vieillesse, l’autre prolonge la jeunesse. Il est bon qu’il se baigne tantôt dans l’eau chaude, & tantôt dans l’eau froide ; qu’il s’oigne en certain tems, & qu’il n’en fasse rien en un autre ; qu’il ne se prive d’aucune viande ordinaire ; qu’il mange en compagnie & en particulier ; qu’il mange en un tems un peu plus qu’à l’ordinaire ; qu’en un autre il se regle ; qu’il fasse plutôt deux repas par jour qu’un seul ; qu’il mange toujours assez, & un peu moins que sa faim. Cette maniere de s’exercer & de se nourrir est autant nécessaire que celle des athletes est dangereuse & superflue. Si quelques affaires les obligent d’interrompre l’ordre de leurs exercices, ils s’en trouvent

mal ; leurs corps deviennent replets, ils vieillissent promptement, & tombent malades.

Voici ses préceptes pour les gens mariés : on ne doit ni trop rechercher, ni trop fuir le commerce des femmes ; quand il est rare, il fortifie ; quand il est fréquent, il affoiblit beaucoup ; mais comme la fréquence ne se mesure pas tant ici par la répétition des actes qu’elle s’estime par l’âge, le tempérament & la vigueur, il suffit de savoir là-dessus que le commerce qui n’est suivi ni de douleur, ni de la moindre débilité, n’est pas inutile ; il est plus sur la nuit que le jour. Il faut en même tems se garder de veiller, de se fatiguer, & de manger trop incontinent après. Enfin toutes les personnes d’une forte santé doivent observer, tant qu’ils jouiront de cet heureux état, de ne pas user mal-à-propos des choses destinées à ceux qui se portent mal.

Je ne me propose point de discuter l’état de la Médecine chez les Romains. Il est vraissemblable qu’ils n’ont pas été absolument sans médecins au commencement de leur république ; mais il y a apparence que jusqu’à la venue d’Archagatus à Rome l’an 575 de la fondation de cette ville, ils ne s’étoient servi que de la Médecine empirique, telle que les premiers hommes la pratiquoient ; c’est cette Médecine qui étoit si fort du goût de Caton, & de laquelle il avoit écrit le premier de tous les Romains ; mais le regne de Jules César fut favorable à ceux de cette profession. Jules César, dit Suétone, donna le droit de la bourgeoisie de Rome à tous ceux qui exerçoient la Médecine, & à ceux qui enseignoient les arts libéraux, afin qu’ils demeurassent plus volontiers dans cette ville, & que d’autres vinssent s’y établir. Il n’en falloit pas d’avantage pour attirer un grand nombre de médecins dans cette capitale du monde, où ils trouvoient d’ailleurs des moyens de s’enrichir promptement.

En effet, dès que la profession de Médecine fut ouverte aux étrangers comme aux Romains, tous ceux qui se sentoient quelque ressource dans l’esprit, ou des espérances de faire fortune, ne manquerent pas de l’embrasser à l’exemple d’Asclépiade qui avoit abandonné le métier ingrat de la Rhétorique pour devenir médecin. Les uns se faisoient chirurgiens, d’autres pharmaciens, d’autres vendeurs de drogues & de fards, d’autres herboristes, d’autres compositeurs de médecine, d’autres accoucheurs, &c.

Auguste, successeur de Jules César, favorisa les médecins, de même que les autres gens de lettres, sur-tout depuis qu’Antonius Musa l’eut guéri d’une maladie opiniâtre par le secours des bains froids. Cette cure valut à Musa, outre de grandes largesses qui lui furent faites par l’empereur & par le sénat, le privilege de porter un anneau d’or ; privilege qu’il obtint pour ses confreres, qui furent encore exemtés de tous impôts en sa considération. Suétone ajoute que le sénat fit élever à Musa une statue d’airain, que l’on mit à côte de celle d’Esculape.

Cependant la condition servile d’Antoine Musa, avant tous les honneurs dont il fut revêtu, a persuadé quelques modernes qu’il n’y avoit que des esclaves qui exerçassent la Médecine à Rome sous le regne des premiers empereurs, & même assez long-tems après. On ne peut pas nier qu’il n’y ait eu quantité d’esclaves médecins, ou qu’on appelloit tels, & qui exerçoient toutes ou quelques parties de cet art ; cependant je n’en voudrois pas conclure qu’il n’y eût point à Rome de médecin d’une autre condition. Ce ne furent point des esclaves qui introduisirent la Médecine dans cette capitale du monde, ce furent des Grecs d’une condition libre, tels qu’étoient Archagatus & Asclépiade. Si le médecin Artorius, qui fut pris avec Jules César par des pirates, avoit été de condition servile, il semble que Plu-