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communément que dans un petit nombre d’empereurs qui ont régné ensemble, ou qui se sont immédiatement succédés ; & le même revers s’y trouve quelquefois par milliers ; ce qui seul porte avec soi un caractere si marqué de monnoie courante, qu’il est comme impossible de se refuser à l’évidence d’un pareil témoignage.

On ne laisse pas d’en excepter les médaillons, du-moins ceux qui par leur relief, leur étendue, & leurs poids, auroient été fort à charge dans le commerce, ceux sur-tout, qui, composés de plusieurs cercles de différentes especes de cuivre, semblent nous dire encore qu’ils ont uniquement été faits pour le plaisir & l’ostentation, & nullement pour l’usage & la commodité.

Peut-être en viendra-t-on aussi à faire une classe séparée en plusieurs autres sortes de médailles qui, quoiqu’au même titre, & uniformes entr’elles par le poids & le volume, offrent des objets tout-à-fait étrangers, pour ne pas dire contraires à l’idée d’une monnoie courante. Telles sont entr’autres, ces médailles qui paroissent n’avoir été imaginées que pour honorer après leur mort, des princes & des princesses, dont le portrait n’avoit jamais été gravé, de leur vivant, des gendres, des sœurs, des nieces d’empereurs, des enfans décédés au berceau ou dans la plus tendre jeunesse. Telles encore celles, où après une assez longue succession d’empereurs, on a renouvellé l’image & le souvenir de quelques illustres romains des premiers tems de la république.

Non toutefois que ces mêmes médailles n’ayent pu être reçues & même recherchées dans le commerce, parce qu’elles étoient de la même forme & de la même valeur intrinseque ; parce que travaillées avec autant & plus de soin, on y trouvoit aussi des choses plus singulieres & plus intéressantes. Enfin, parce que frappées sans doute en moindre quantité qu’on ne frappoit des revers de la monnoie ordinaire, elles étoient dans le même tems, à-proportion aussi rares qu’elles le sont aujourd’hui.

Une autre maxime en fait de médailles, c’est lorsqu’au revers d’un empereur romain, on trouve le nom d’une ville, d’un peuple, d’un pays ; ce pays, ce peuple, cette ville doivent avoir été de la domination romaine ; ou, s’ils ne lui ont pas été immédiatement soumis, ils reconnoissoient du-moins son autorité par quelque hommage, par quelque tribut, ou autre condition équivalente stipulée dans des traités. Il en faut cependant excepter ces médailles, où l’on voit d’un côté, la tête d’un empereur, & de l’autre, celle d’un prince voisin allié de l’empire, qui s’honoroit bien du titre d’ami du peuple & des empereurs romains, φιλορωμαιος, mais dont l’alliance utile étoit quelquefois achetée par de gros subsides, que la vanité romaine qualifoit de gratifications.

A combien plus forte raison, n’en devroit-on pas excepter encore les médailles, où l’on verroit d’un côté, la tête d’un empereur romain, & de l’autre, le nom & les symboles d’une ville, qui, loin d’avoir été jamais sous sa domination, se trouveroit appartenir depuis long-tems à une autre prince puissant, lequel n’avoit rien à démêler avec l’empire ; rien à espérer de son alliance, rien à craindre de ses entreprises ? Sans cela, quelle absurde conséquence ne tireroit-on pas un jour de la médaille du czar Pierre I. frappée en 1718, avec le nom de la ville de Paris à l’exergue, Lutesiæ-Parisiorum ? & vingt autres semblables ; si ceux qui joindront la connoissance de l’histoire à celle des médailles, n’étoient pas à-portée d’expliquer ces énigmes d’or

& d’argent, comme le poëte Prudence les appelloit déjà de son tems.

On ne tariroit point sur les abus qui se sont glissés dans l’étude des médailles, & qui ont pour auteurs, je ne dis pas des hommes sans lettres, mais des écrivains d’une érudition reconnue. C’est sur la parole de ces écrivains célebres qu’on cite chaque jour des médailles, qui n’ont peut-être jamais existé ; c’est leur témoignage qui empêche de rejetter des médailles d’une autre espece, qui malgré leur antiquité, ne peuvent faire foi dans l’histoire ; c’est sur leur autorité que sont fondées ces interprétations chimériques qui dégraderoient les monumens les plus respectables, en les rendant le jouet de l’imagination de chaque particulier. Enfin, c’est principalement à ces auteurs qu’il faut imputer plusieurs fautes, où tombent tous les jours des amateurs des médailles, sur-tout ceux qui les recueillent uniquement, ou par le goût naturel qu’ils ont de ramasser, ou par le desir de s’acquérir une sorte de nom dans les lettres.

Il en est des médailles comme d’une infinité d’autres choses, qui font partie de ce qu’on appelle curiosités ; la vanité de posséder une piece rare & unique, fait souvent mettre en usage toutes sortes de ruses & d’artifices pour en imposer. De là sont venus ces catalogues informes, où des médailles qui n’ont d’autre qualité que d’avoir été frappées par des faussaires & par des ignorans, sont décrites avec de pompeux éloges. De là ces interprétations arbitraires qui vont quelquefois jusqu’à renverser les points d’histoire les plus constans. De-là cette confusion & ce mélange dans les cabinets, & dans les livres, des médailles fausses avec les vraies, ou des modernes avec les antiques. De-là enfin, mille inconvéniens que l’on découvre à chaque instant dans l’étude & dans la recherche des médailles ; car cette vanité s’étant une fois emparée de l’esprit, on ne s’en est point tenu au vrai, on a couru après le merveilleux. Chacun a voulu que sa collection fût plus singuliere que celle d’un autre, ou du-moins qu’elle passât pour telle. Pour y parvenir, on a tout fait valoir, on a tout loué, on a tout admiré.

Il est donc essentiel à un amateur de ces monumens antiques, d’être en état de juger par lui-même du mérite de chaque piece, & de ne point se laisser séduire aux pompeuses descriptions qu’il entendra faire, soit au nouvel acquéreur d’une médaille, soit à celui qui cherche à en vendre. Souvent, après avoir examiné ce qu’on lui vantoit avec tant d’emphase, il trouvera que c’est un coin moderne ; que la médaille est fausse ou réparée. Mais supposons-la antique & légitime, elle sera peut-être inutile pour l’histoire ; il cessera pour lors d’admirer cette médaille ; & ayant cessé de l’admirer ; il cessera bientôt de rechercher ce qu’il ne désiroit ardemment, que faute de le bien connoître. C’est encore un nouvel avantage pour le grand nombre des gens de lettres, à qui la nature a donné de la facilité pour les sciences, plus que la fortune ne leur a procuré de secours pur les acquérir.

Les vains curieux qui ne joignent au goût qu’ils ont pour les médailles, ni une certaine connoissance de l’histoire, ni la lecture des ouvrages de l’antiquité, n’estiment communément les médailles, qu’à proportion de leur rareté ; & cette rareté dépend souvent ou du caprice, ou de la mauvaise foi de ceux qui ont fait imprimer des catalogues de médailles, quelquefois de la beauté seule & de la conservation de la médaille, & presque toujours du hazard qui a permis qu’on ait découvert un trésor antique plûtôt ou plus tard.

Au contraire, celui qui n’envisage les médailles qu’en homme de lettres, c’est-à-dire, qui n’en me-