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Comment ! vrai ! l’Encyclopédie est une affaire décidée ! Point de mauvaise plaisanterie, docteur, s’il vous plaît ; quoi ! je ne mourrai pas sans avoir fait encore une bonne action et refait un grand ouvrage ; une bonne action, en dotant, pour ma part, un établissement élevé pour l’humanité ; refait un grand ouvrage, en le conformant au plan sur lequel il avait été projeté ; je ne mourrai pas sans m’être bien dignement vengé de la méchanceté de mes ennemis ; je ne mourrai pas sans avoir élevé un obélisque sur lequel on lise : « À l’honneur des Russes et de leur souveraine et à la honte de qui il appartiendra ! » je ne mourrai pas sans avoir imprimé sur la terre quelques traces que le temps n’effacera pas ! J’y mettrai les quinze dernières années de ma vie ; mais, à votre avis, qu’ai-je à faire de mieux ?

J’étais en train, lorsque j’ai reçu votre lettre, de préparer une édition complète de mes ouvrages ; j’ai tout laissé là. Ces deux entreprises ne peuvent aller ensemble ; faisons l’Encyclopédie, et laissons à quelque bonne âme le soin de rassembler mes guenilles, quand je serai mort.

À présent que j’y réfléchis plus sérieusement, la circonspection de M. le général ne me surprend plus. L’affaire d’intérêt ne pouvait pas être aussi claire pour lui que celle d’utilité et de gloire pour la souveraine. Il s’est donné le temps d’entendre et de me connaître. Les grands sont si sujets à rencontrer des fripons qu’ils se méfient des honnêtes gens. Si nous avions été dix ou douze ans à leur place, nous nous méfierions comme eux.

M. de Sartine, je ne dis pas mon protecteur, mais mon ami de trente ans, remplace M. de La Vrillière ; jugez comme cela faciliterait ma besogne, si elle était sujette à difficultés. Renouvelez les assurances de dévouement et de respect de ma part à MM. Durand, De Lacy et de Noltken.

L’édition va son train ; nous gémissons sous deux presses, l’une à Amsterdam, l’autre ici. J’y mets tout ce que je sais. Maudit arabe que vous êtes, qui toisez l’amitié sur l’importance des services, faites-vous couper le prépuce, et puis judaïsez, et jurez après cela tant qu’il vous plaira.

Mon respect à tous les dignes commensaux de la table ronde.