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assez. L’auteur et le libraire sont à deux de jeu : si celui-ci paye comme il veut, en revanche il ne sait pas ce qu’il achète.

Si M. Luneau se fût adressé à moi, et qu’il m’eut demandé la raison de la prétendue profusion qui règne dans nos planches, je lui aurais montré, et, comme il est homme de grand sens, il aurait conçu que je ne n’avais accordé à aucun art que la quotité très-rigoureuse de figures qu’il exigeait ; que ce n’était ni lui ni moi, mais l’artiste qu’il en fallait croire sur ce point ; que l’Académie des sciences, qui s’y entend aussi bien que lui et un peu mieux que moi, emploie cent planches où nous n’en employons pas vingt ; que le rhinocéros est dessiné sur une échelle qui suffit pour le reconnaître ; que ce n’est pas l’usage de l’examiner au microscope ; que la puce est de sa grandeur microscopique ; que cette figure est imitée d’un des plus célèbres observateurs du siècle ; que sous un volume mille fois, dix mille fois exagéré, il y a encore des parties qui échappent à la vue ; que la plaisanterie sur ce point serait d’une ignorance et d’une bêtise impardonnables ; que si l’on a quelque reproche à nous faire, ce n’est pas d’avoir supposé dans les ateliers des manœuvres ou des instruments qui n’y sont pas, mais d’avoir omis ou peu détaillé ceux qui y sont ; et M. Luneau m’aurait remercié de ma leçon, parce qu’on en peut recevoir sur ce qu’on ne sait pas, et qu’on est oblige à celui qui nous instruit, quelque supérieur qu’on lui soit d’ailleurs en histoire, en littérature, en philosophie, en tout autre genre.

Quant à l’affaire de M. de Réaumur, je la lui aurais expliquée de manière à le satisfaire : je lui aurais dit que nous n’avions pas employé une seule figure de Réaumur ; et un homme de bien tel que lui se laissant aller à la confiance par le sentiment intérieur qu’il en mérite et qu’il serait injuste d’en refuser à un autre homme de bien, jamais M. Luneau n’aurait pu s’empêcher de me croire. J’aurais ensuite appelé à l’appui de sa candeur naturelle l’attestation des commissaires même de l’Académie, à qui nos dessins furent présentés dans le temps, qui ont approuvé nos planches jusqu’à ce jour, et dont le témoignage pourrait, je crois, contre-balancer l’accusation de M. Luneau, quelque poids qu’on lui donnât. Il y a dans le com-