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pilon toutes ces éditions rebutantes pour les élèves et déshonorantes pour l’art. Des valets tout chamarrés de dorures et des enfants sans souliers et sans livres, nous voilà ! Nos voisins d’au-delà de la Manche l’entendent un peu mieux. J’ai vu les auteurs classiques à l’usage des collèges de Londres, de Cambridge, et d’Oxford, et je vous assure que les éditions dont nos savants se contentent ne sont ni plus belles ni plus exactes.

Je n’ignore pas que des imprimeurs de notre temps ont consacré des sommes considérables aux éditions des anciens auteurs ; mais je sais aussi que plusieurs s’y sont ruinés, et il faut attendre comment leurs imitateurs heureux ou téméraires s’en tireront.

Mais j’accorde, nonobstant l’expérience faite sur les livres classiques et la multitude des contrefaçons, que l’effet de la concurrence supplée à celui de la propriété et qu’on obtienne autant et plus de la permission libre et générale que du privilège exclusif ; qu’en résultera-t-il ? À peu près le bénéfice d’un cinquième. Et sur quels ouvrages ? Sera ce sur le Coutumier général ? sur le Journal des audiences ? sur les Pères de l’Église ? sur les Mémoires des académies ? sur les grands corps d’histoire ? sur les entreprises qui demandent des avances de cent mille francs de cinquante mille écus, et dont les éditions s’épuisent à peine dans l’espace de quarante à cinquante ans ? Vous voyez bien que ce serait une folie de l’espérer. Ce ne sera donc pas l’ouvrage de dix à vingt pistoles que la permission libre et générale fera baisser. La concurrence et son effet ne tomberont que sur les petits auteurs, c’est-à-dire que le commerçant pauvre sera forcé de sacrifier son profit journalier à la promptitude du débit et n’en deviendra que plus pauvre, et que le libraire aisé, privé de ses rentrées courantes qui sont attachées aux sortes médiocres et nullement aux ouvrages de prix, cessera de publier ces derniers dont la rareté et la valeur iront toujours en croissant, et que pour m’épargner cinq sols, vous m’aurez constitué dans la dépense d’une pistole. Et puis, monsieur, toujours des faits à l’appui de mes raisons.

La dernière édition de la Coutume de Normandie de Basnage, qui appartient à la librairie de Rouen, a été faite en 1709, et manque depuis trente ans. Ce sont deux petits in-folio assez minces dont le premier prix a été de quarante francs au plus,