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la même sincérité que je le dirais à vous et à sœur Uranie : Ne soyez point mortifiées que je vous apprenne quelque chose en littérature et en philosophie. Ne seriez-vous pas assez fières toute votre vie d’être mes maîtresses en morale, et surtout en morale pratique ? Vous connaissez le bien, vous sentez juste, vous avez le cœur sensible et l’esprit délicat ; c’est vous qui êtes des hommes, et c’est moi qui suis la cigale qui fait du bruit dans la campagne.

Mais enfin quand nous reverrons-nous ? sera-ce à la Toussaint ou à la Saint-Martin que les affaires me ramèneront celle que j’aime, et que les mauvais temps lui rendront son philosophe ? Le philosophe doit se montrer avec le mauvais temps ; c’est sa saison.

Je me sentais disposé à vous dire des choses douces ; car c’est pour vous aimer qu’il faut que je commence et que je finisse.

Si les endroits de mes lettres où je vous entretiens de mes sentiments sont ceux qu’Uranie aime le mieux à lire, ce sont aussi ceux qui ne m’ont rien coûté, et qui me plaisent le plus à écrire.

Mais voilà la messe qui sonne ; le petit Croque-Dieu[1] est arrivé. Je l’entends rire, pour me servir de la comparaison de M. Le Roy, comme un cerf au mois d’octobre ; il prétend qu’on s’y tromperait dans la forêt.

Moitié de ces femmes iront entendre la messe dans le billard, moitié dans ma chambre, d’où l’on voit la porte de la chapelle qui est l’autre côté de la cour : elles prétendent que l’efficacité d’une messe s’étend au moins à cinquante pas à la ronde. Pour nous, nous n’avons point d’opinions là-dessus.

J’ai dit un mot à Grimm de votre affaire avec Vissen ; il m’a répondu que tous ces gens-là étaient des fripons, que Vissen passait pour avoir plus de cinquante mille livres de rente, qu’il fallait tenir ferme ; qu’il était pusillanime, qu’il n’aurait jamais le courage de faire une grande vilenie, et que, sans avoir peut-être beaucoup d’honneur, il serait assez attaché à la considération publique pour craindre un esclandre : d’où je conclus qu’il faudrait faire entendre adroitement à l’oncle combien son

  1. Voir précédemment, p. 426.